Après des semaines de télétravail en confinement, l’épuisement guette

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SOURCE : Slate

Depuis le 17 mars, des millions de salarié·es travaillent depuis leur domicile sans l’avoir choisi ni réfléchi. Isolement, hyperconnexion ou management inadapté, les raisons de craquer sont nombreuses.

«C'est insatisfaisant pour nous, notre travail et nos clients comme pour notre famille, et surtout nos enfants.» | JBehrouz Mehri / AFP

Confinement oblige, des milliers d’entreprises et de salarié·es font l’expérience du télétravail, à marche forcée pour certain·es, parfois de manière inattendue et contrainte.

En temps normal, le télétravail représente pour un·e employé·e un ou deux jours travaillés depuis son domicile ou tout autre espace choisi. Ces jours ont été pensés par l’employé·e, en concertation avec son entreprise, et sont encadrés par une charte de télétravail.

Entre ce télétravail habituel et le télétravail au temps du confinement, les différences sont légion. Le personnel s’est retrouvé en télétravail brutalement imposé, du jour au lendemain et à temps plein.

Apprentissage sur le tas

Les cas de figure sont nombreux: petit appartement ou grande maison, confiné en couple, avec des enfants, autonomes ou en bas âge… Le contexte dans lequel est effectué le télétravail confiné a un impact important sur le moral des équipes.

Surtout, une part des entreprises qui n’avaient encore jamais expérimenté le télétravail ne l’avaient jamais pensé et encore moins encadré. Pour leurs salarié·es, l’adaptation n’a pas toujours été chose aisée: pas le matériel nécessaire, pas d’espace de travail organisé, etc.

«Mon chef m’a apporté un vieux PC portable et m’a dit que le disque dur était à changer. J’ai dû aller chercher un monstre d’imprimante que j’ai installé à côté de mon lit. J’ai passé plusieurs jours sans les applis nécessaires. Un informaticien m’appelait à 23 heures pour installer tout ça, il était débordé»,raconte Joséphine, responsable RH.

«Le télétravail a en particulier généré de l’anxiété chez les personnes qui n’avaient jamais télétravaillé et qui n’avaient pas pu expérimenter les différents outils. L’apprentissage s’est fait d’un coup sans temps de préparation, parfois sans aide ni accompagnement. Certains salariés n’ont même pas osé poser la question», commente Marie-Anne Gautier, médecin du travail et experte à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).

«En soixante-douze heures, on passait de tout à rien. Ça a été brutal et inattendu. Je n’ai d’ailleurs pas récupéré toutes mes affaires!»

Sophie, enseignante en lycée professionnel

«Le télétravail nécessite une charte, des formations préalables, une phase d’expérimentation. Tout le monde ne trouve pas dans le télétravail une organisation qui lui convient! Là, il n’y a évidemment eu aucun test pour certains», ajoute son collègue Jacques Leïchlé, ingénieur à l’INRS, spécialiste de l’organisation du travail.

Enseignante dans un lycée professionnel, Sophie témoigne de ces difficultés: «En soixante-douze heures, on passait de tout à rien. Le 13 mars, on pensait tous revenir au lycée le lundi. Ça a été brutal et inattendu. Je n’ai d’ailleurs pas récupéré toutes mes affaires! Beaucoup de profs qui ont de l’expérience font tout au lycée. Certains n’ont en conséquence pas d’ordinateur, ou un ordinateur pas assez performant pour installer des tas de trucs dont on aurait besoin pour bien travailler. On manque clairement d’outils et de formations pour enseigner à distance, car c’est un vrai métier!»

Burn-out en vue

Selon une étude réalisée par le cabinet Empreinte Humaine, 44% des salarié·es se trouveraient en situation de détresse psychologique. «Un quart des salariés est en risque de dépression nécessitant un traitement», précise l’enquête.

Épuisement, insomnie, angoisse, anxiété, perte d’appétit, de motivation: les risques psychosociaux sont bien réels et peuvent être à l’origine d’un état dépressif, d’un syndrome d’épuisement professionnel ou encore de troubles musculo-squelettiques.

«Les problématiques habituelles vont avoir tendance à se rigidifier pendant cette période. Beaucoup de salariés sont effectivement en arrêt de travail parce qu’ils n’ont peuvent plus, surchargés, débordés. Ils souffrent de troubles anxio-dépressifs, d’une détresse psychologique, ils n’en peuvent plus»,confirme Marlène Biotteau, psychologue du travail et ergonome.

«Le premier risque sera la perte de motivation. À plus long terme, le risque majeur, c’est le burn-out. C’est pourquoi il est primordial d’être vigilant à l’hyperconnexion et de bien faire la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée», complète Estelle Nouhra, psychologue clinicienne et psychothérapeute.

La base d’un télétravail réussi, confiné ou non, consistera entre autres à s’imposer des rituels avant de commencer sa journée de travail (se laver et s’habiller, par exemple), s’aménager un espace de travail confortable, faire des pauses, changer de posture et se lever régulièrement, respecter des horaires de travail acceptables et être capable de se déconnecter. Mais pour beaucoup, la réalité est toute autre.

«Pour ce qui est des limites entre le travail et la vie privée, nous nous sommes imposés des règles: pas d’ordinateur de travail ni de tel pro en dehors de la pièce aménagée en bureau, expose Marine, assistante commerciale et maman d’une petite fille de 3 ans. Lorsque l’on est avec Alice, on ne s’occupe plus du travail, on se consacre pleinement aux activités avec elle. Quand l’un travaille, on s’efforce de ne pas le déranger et on essaye d’être efficace un maximum. Sans ces règles, l’équilibre de la maison bascule et c’est invivable.» Après quatre semaines en télétravail, «je me sens fatiguée moralement et nerveusement», admet-elle.

Sur tous les fronts

Toujours selon l’enquête menée par Empreinte Humaine, les femmes sont davantage touchées par les troubles psychologiques liés au télétravail en confinement. «Les femmes sont plus impactées par le confinement, puisqu’elles sont 22% à être en détresse élevée contre 14% pour les hommes»,écrit le cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux dans son communiqué de presse.

«Les femmes sont celles qui habituellement gèrent les deux univers, professionnel et personnel, celles qui font le plus de concessions et de sacrifices. Le fonctionnement de chacun reste le même en confinement. Celui-ci ne rebat pas les cartes mais au contraire accentue la situation», observe Marlène Biotteau.

Les femmes confinées avec conjoint et enfants cumulent ainsi les rôles et les tâches, tiennent la maison, s’occupe des enfants et travaillent –tout ça en même temps. Le poids de la charge mentale s’en trouve décuplé.

«Gérer le boulot d’avocate, de manager, de maîtresse d’école en étant performante partout, on le tient quelque temps. Pas six semaines.»

Alice, avocate

Alice, avocate dans un cabinet de conseil et responsable d’une équipe, maman de deux jeunes enfants, reconnaît se sentir «mal»psychologiquement: «Mon sommeil, ou plutôt mes insomnies, en sont un bon indicateur. Mais je suis suivie par une psychiatre que je consulte en visio régulièrement, ce qui m’aide un peu à recentrer mon quotidien.»

«La situation est cependant de plus en plus pesante, poursuit-elle. Gérer le boulot d’avocate, de manager, de maîtresse d’école, de nounou du soir et de maîtresse de maison en étant performante partout, on le tient quelque temps. Pas six semaines. Pas sans y laisser quelques plumes. Nous allons avoir besoin de souffler rapidement.»

Ne pourrait-elle pas s’arrêter quelques jours, le temps de reprendre des forces? «Poser des congés, je l’ai fait comme on me l’a demandé [sa société a fait une demande de chômage partiel, ndlr], mais sans aucun congé de pris dans les faits. Il n’y a aucune limite en télétravail, c’est du 100%: matin, journée, soir, repas, week-end, et même lors des congés que l’on nous a “invités” à prendre. L’ordinateur est ouvert en permanence. Si ce n’est pas le cas, le téléphone sonne.»

Colère et culpabilité

«C’est insatisfaisant pour nous, notre travail et nos clients comme pour notre famille, et surtout nos enfants, qui ne comprennent pas que l’on soit là sans être là, soupire l’avocate. Nous avons expliqué qu’il y avait un espace de travail et un espace de jeu, mais pour des enfants de 3 et 6 ans… Personne n’y trouve son compte. C’est épuisant, et la situation donne l’impression d’être un mauvais élément de travail, une mauvaise mère, car essayer de tout mener de front et y arriver relève de l’utopie. On est dans l’incomplétude dans chaque domaine.»

Juliette, assistante de direction et responsable RH, ressent elle aussi une forte culpabilité envers ses petites filles de 5 et 8 ans. Alors que son conjoint doit travailler à l’extérieur, elle est seule à la maison à jongler entre ses filles et son poste à responsabilité.

«Je savais que la plupart des gens, comme mes amies ou les voisines, faisaient l’école le matin et l’après-midi, c’était loisirs créatifs. Moi, c’est plutôt atelier “essayez de vous occuper seules” et les devoirs sont vite faits… Je ne supporte pas les photos de toutes les adorables créations des enfants de mes contacts envoyées par SMS ou partagées sur les réseaux sociaux. Le pire, c’est d’entendre: “Restez chez vous, prenez du temps avec vos enfants, du temps de qualité”, alors que notre temps à nous n’est pas du tout de qualité! Je leur crie dessus pour qu’elles se taisent car je suis souvent au téléphone, et elles regardent beaucoup trop la télévision, ce qui me fait également culpabiliser.»

Concernant son travail, contrairement à Alice, c’est surtout de la colère que Juliette ressent: «Personne ne prend en considération le fait que j’ai autre chose à faire que d’être en conf call pendant des heures. Je suis en colère parce qu’on me laisse me débrouiller avec cette tonne de travail. Je ne suis pas efficace du tout, je dois travailler plus longtemps. Je finis mes journées plus tard, et beaucoup de dossiers ne sont pas traités.»

En vacances lors de l’entretien qu’elle nous a accordé, Juliette continuait pourtant à travailler. «Là, je suis en vacances et je viens de recevoir un SMS de mon chef pour une conf call dans dix minutes. Je travaille un peu pendant les vacances, je n’ai pas fini les paies. On nous a tellement sollicitées… Le pire arrivera sans doute après les vacances, ma collègue sera à son tour en vacances, donc ce sera deux jobs, avec deux filles», poursuit la jeune mère, qui concède s’être vraiment sentie en surcharge de travail.

Lien social à maintenir

Ces risques psychosociaux sont accentués par l’isolement, l’élément qui pèse le plus sur le moral des employé·es passées les premières semaines. Malgré les visioconférences ou les messageries instantanées, le lien et la cohésion d’équipe s’effilochent si on n’y prend pas garde.

Dans un environnement de travail normal, le rôle de soupape des collègues est primordial, notamment quand la pression est trop forte. À la cantine, au détour d’un couloir, autour de la machine à café, on évoque ses contrariétés, on entend celles des autres, on trouve des solutions, on se rend compte que rien n’est vraiment simple pour personne. On est moins seul·e.

«Notre sentiment de bien-être dépend étroitement de nos liens sociaux. Il est nécessaire de continuer à communiquer avec ses collègues.»

Estelle Nouhra, psychologue et psychothérapeute

«Le sentiment d’inutilité est très fort, et il est difficile à vivre pour les jeunes enseignants. Surtout, ils sont seuls face à leur ordinateur; d’habitude, ces problèmes, on les évoque en salle des profs. Les difficultés des élèves sont les mêmes que le reste de l’année, mais en temps normal, on peut dire à un gamin ce qu’on pense à la fin d’un cours. Là, on est renvoyé à une forme d’impuissance», déplore Sophie.

«Perdre du lien social peut être délétère, pour la santé mentale mais aussi pour la santé physique. Notre sentiment de bien-être dépend étroitement de nos liens sociaux, en quantité mais aussi en qualité. […] Il est nécessaire de continuer à communiquer avec ses collègues», appuie Estelle Nouhra, psychologue clinicienne.

Pour les managers, l’enjeu est crucial. La responsabilité leur incombe de maintenir leurs équipes soudées et d’inventer de nouveaux rites quotidiens, par exemple un bonjour collectif le matin sur messagerie instantanée.

Camille, manager en service client en Angleterre, décrit comment son entreprise s’est adaptée: «Nous sommes en contact constant par l’intermédiaire de services de messagerie instantanée mais aussi sur Zoom, où nous ouvrons un appel chaque jour. Celui-ci reste ouvert toute la journée pour permettre à chaque personne de poser une question par rapport au travail –mais pas que. Cela, à première vue, n’empiète pas plus sur le temps de travail que des pauses café.»

«Nous prenons le temps de discuter de choses et d’autres, continue-t-il, le Covid-19 restant le principal sujet, mais on évoque aussi les aléas de la vie confinée, comme un point sur la situation dans les supermarchés, à quelle heure aller faire ses courses, à combien y aller, le retour au bureau, la pénurie de masques… La première chose en ouvrant l’appel chaque jour reste de demander comment tout le monde va.»

Incertitudes quant à l’avenir

L’autre problème de ce télétravail confiné est sa durée. Une situation compliquée durant deux ou trois semaines est gérable. Mais actuellement, la crise devient la normalité et le personnel devra être particulièrement endurant pour résister à ses effets néfastes.

«Beaucoup de personnes n’ont pas compris au départ que la situation allait durer et elles ont mis en place une réponse d’urgence court-termiste. Beaucoup de salariés, par loyauté envers leur entreprise, ont fait face à cette situation d’urgence. Mais sur le long terme, ces personnes pour qui le travail est une part importante de leur identité s’épuisent, d’autant que leur entreprise ne leur donne parfois aucun levier de motivation, comme la reconnaissance, tout simplement, voire une compensation financière», développe Marlène Biotteau.

Malgré les efforts fournis, certain·es salarié·es redoutent le chômage partiel ou même un licenciement. Cette incertitude quant à l’avenir joue également sur le moral des troupes et les poussent à cravacher pour conserver leurs emplois.

«[Travailler non-stop], c’est aussi une manière de montrer que l’on est utile voire indispensable à l’équipe. À l’heure où la presse fait état de l’inévitable vague de licenciements, c’est une façon de se protéger et de se prémunir du chômage partiel, quand l’activité le permet», avance Alice.

Managers en première ligne

Jamais auparavant les managers n’ont été aussi exposé·es. En télétravail et avec leurs propres contraintes personnelles, c’est souvent toutes leurs méthodes de management qu’il faut repenser.

«Ce télétravail imposé modifie complètement le rôle et la mission des managers, surtout lorsque ce télétravail est une découverte. Le manager peut éprouver des difficultés à trouver sa place face à des salariés qui doivent nécessairement faire preuve de plus d’autonomie», analyse la médecin du travail Marie-Anne Gautier.

«Le manager doit aider ses collaborateurs à gérer les priorités, en tenant compte du fait que le mode de travail est forcément dégradé.»

Marie-Anne Gautier, médecin du travail

Clairement, les managers doivent composer avec le fait que la qualité et la quantité de travail ne pourra pas être la même qu’en temps normal. Surtout, il leur faut prendre soin de leurs équipes, maintenir le lien, la cohésion et la motivation, et s’assurer que personne n’est en train de craquer.

«Le manager doit garder un contact régulier à distance, avec notamment la tenue de points individuels, conseille la spécialiste. Il doit aider ses collaborateurs à gérer les priorités, tout en tenant compte du fait que le mode de travail confiné est forcément dégradé.»

Alice détaille: «Je programme au moins une conférence téléphonique d’une heure par semaine sans mon responsable, en interne pour l’équipe, afin d’évaluer les urgences et signatures de la semaine, d’évaluer la charge de travail de chacun, que chaque membre de l’équipe ait une feuille de route à peu près fixée, hors urgences additionnelles.»

«Il est également important que le manager soit sensible à certains signaux faibles d’anxiété de la part de certains salariés, sujets au stress ou à l’angoisse», insiste Marie-Anne Gautier.

Prévenir plutôt que guérir

Estelle Nouhra alerte elle aussi de l’influence du confinement sur la santé mentale: «Syndrôme anxio-dépressif, trouble du sommeil comme l’insomnie ou des réveils nocturnes fréquents ou précoces, la perte d’appétit, l’apathie, la perte de motivation, l’irritabilité, la nervosité, l’anxiété sont autant de signes auxquels il faut être attentif.»

Dès l’apparition de ces premiers signes, un·e salarié·e doit immédiatement sortir de son isolement et en parler. «Il peut avoir recours à la hiérarchie, mais aussi à ses collègues. Il ne faut pas hésiter à parler de ses propres problèmes; savoir que tout le monde connaît les mêmes difficultés, même la hiérarchie, sera bénéfique. Il faut oser en parler aux autres: vu la situation, ça peut même aider!», note Jacques Leïchlé de l’INRS.

Les employé·es en télétravail peuvent en outre se tourner vers les instances représentatives du personnel ou les écoutes psychologiques gratuites.

Pour s’assurer du bien-être psychologique de son équipe composée de quatre personnes, Camille prend le temps «de contacter chaque membre individuellement plusieurs fois par semaine, principalement par messagerie, pour leur demander comment ils vont, comment vont leur famille et amis, et comment ils vivent cette période délicate pour la plupart d’entre nous».

«J’ai eu l’impression de “voler” mon salaire puisque je ne pouvais pas assister à certaines réunions.»

Marine, assistante commerciale

Les salarié·es en souffrance n’osent pas toujours aborder leur situation et culpabilisent parfois d’aller mal, de ne pas être efficace, de ne pas en faire autant que d’habitude, parce que la récession est là ou pour ne pas ajouter des problèmes aux problèmes.

Contre ce sentiment de culpabilité, c’est bien à la hiérarchie d’envoyer un message clair et bienveillant, et non au personnel de se raisonner. «On est dans une situation de “qualité empêchée”. Le message de l’entreprise à ses collaborateurs doit être clair: “On sait que vous avez d’autres contraintes.” Et il est surtout très important que ce message soit décliné à tous les niveaux hiérarchiques», martèle Jacques Leïchlé.

«Je ne peux travailler que cinq heures par jour environ, relate Marine.Évidemment, je culpabilise par rapport à mon entreprise, j’ai eu l’impression de “voler” mon salaire puisque je ne pouvais pas assister à certaines réunions ou que je n’avais pas pu travailler plus de trois heures, alors que mon conjoint devait rendre des dossiers urgents. Autour de moi, j’ai des collègues qui sont confinés avec d’autres personnes, donc ils sont plusieurs à s’occuper des enfants, ou bien les enfants sont plus grands donc ils s’occupent…»

L’assistante commerciale a choisi de prendre les devants: «Je me suis sentie un peu seule dans ma situation et j’ai fini par appeler mon service RH, qui m’a évidemment soutenue et déculpabilisée. Mes managers ne m’ont jamais reproché la situation, elles sont très compréhensives –peut-être parce que ce sont des mères de famille. Ma culpabilité était surtout liée au fait que je sois celle qui sacrifie son temps de travail parce que son poste est moins important, et en même temps, je culpabilisais de voir ma fille désorientée. Mais dans mon entreprise, nous recevons énormément d’e-mails insistant sur le message “family first”, ce qui pèse beaucoup dans la balance pour apaiser cette culpabilité de ne pas délivrer le travail que l’on pourrait faire en temps normal. Je dois dire qu’ils sont compréhensifs et que j’ai la chance d’être dans une boîte assez grosse pour pouvoir tenir le choc.»

Droit à la déconnexion

Si les salarié·es doivent veiller à respecter un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, charge aux managers de contrôler la déconnexion de chacun·e en dehors des heures de travail.

«Je vérifie leurs horaires de travail, les rappelant à l’ordre gentiment s’ils font trop d’heures ou des heures en dehors de l’habituel 9 heures-18 heures, à moins qu’il y ait une raison spécifique. Je leur conseille de prendre des pauses régulièrement, de se lever, de boire un truc, de se déplacer dans l’appartement ou la maison, d’ouvrir la fenêtre, de prendre l’air frais et de sortir si possible», rapporte Camille.

Aux yeux d’Alice, pourtant, le droit à la déconnexion est utopique: «Pour ma part, c’est du 100%. La première chose que je fais en me levant, c’est ouvrir ma boîte mail, et la fermer est la dernière chose que je fais le soir. Mon ordinateur est dans la cuisine, en plein milieu de l’espace de vie. J’ai mon téléphone portable professionnel en permanence sur moi.» La perspective des dizaines d’e-mails à ouvrir en cas de déconnexion trop longue est vécue comme «anxiogène» par l’avocate.

«Pour les personnes que j’encadre, la tâche n’est pas plus aisée, regrette-t-elle. Mes supérieurs ont imposé des congés en cette période de confinement, mais la charge de travail et l’activité n’ayant pas du tout baissé, lorsque l’on travaille avec des personnes consciencieuses, impliquées, il est difficile de leur faire respecter les jours off, d’autant que ce n’était pas une demande de leur part. Par ailleurs, la crainte de devoir gérer une reprise en flèche au retour de congés n’aide pas. Je suis obligée d’insister lorsque je reçois des e-mails d’une personne de l’équipe censée être en congés ou en repos, souvent sans succès.»

Selon l’étude d’Empreinte Humaine, 20% des managers «vivent une détresse psychologique élevée»«Pour bien faire leur travail, les managers doivent avoir du temps pour chaque collaborateur, s’adapter à chacun d’eux et à leurs spécificités, du temps supplémentaire qui avant s’intégrait au travail en entreprise. Aujourd’hui, ces différents temps sont mis bout à bout, avec le risque de voir la chaîne temporelle s’allonger encore et encore», prévient la psychologue du travail Marlène Biotteau.

À la situation de crise sanitaire succédera l’après-confinement, une nouvelle ère qui s’annonce d’ores et déjà délicate à négocier. Pour les 11,3 millions de personnes au chômage partiel, mises de côté durant des semaines, le retour au travail sera dur, générateur de stress et d’anxiété.

«Il s’agira de trois types d’expériences de vie très différentes, entre les télétravailleurs, le chômage technique et les personnes qui sont restées à leur poste sur le terrain. Si le manager ne maintient pas le collectif, l’équipe connaîtra sans aucun doute de grandes difficultés relationnelles entre ses différents éléments», résume Jacques Leïchlé.

 


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