Confinement et déconfinement sont des rapports de force, des rapports de classe. Par Jacques Chastaing

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Nous reproduisons le dernier texte de Jacques Chastaing daté du 6 mai, analysant la situation présente et la façon d’appréhender la succession des phases de confinement puis déconfinement en fonction des rapports de force sociaux et politiques. On notera la synthèse réalisée sur la base de la compilation d’un nombre important de faits sociaux dans ce texte. Bien évidemment, cette publication vise à susciter réflexion et discussion.

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Nous sommes très proches des effets d’une grève générale. Le virus a stoppé l’économie pendant deux mois. Et nous sommes très proches de l’esprit d’une grève générale.

par Jacques Chastaing, le 6 Mai 2020

La pandémie s’est en effet inscrite dans la suite d’un long mouvement de luttes ininterrompues qui durent en France depuis février 2016, ce qui a eu des effets sur cette période de pandémie et la façon dont le gouvernement français mais d’autres aussi dans le monde dans des situations semblables, ont réagi.

La plupart des analyses oublient ou négligent ce facteur de lutte des classes. Le propos de cet article est de montrer comment la lutte des classes est au cœur de la situation actuelle, du confinement au déconfinement.

La crise du coronavirus se situe donc dans le sillage de 4 ans de lutte continue depuis février 2016. Les derniers événements de ce vaste mouvement ont été la lutte des Gilets Jaunes en 2018-2019 remettant directement en cause le pouvoir de Macron et la lutte pour la défense de la retraite fin 2019 début 2020, associée à celle des avocats, étudiants, lycéens, électriciens, enseignants, pompiers et déjà et encore agents hospitaliers sur d’autres objectifs, mais tous concourant à dessiner les contours d’une grève qui se généralisait progressivement, accompagnée de mouvements parallèles dans le monde se renforçant les uns les autres, de Hong Kong à l’Algérie en passant par le Liban ou le Chili et bien d’autres.

Le gouvernement français comme d’autres dans le monde était en train de détruire le système de santé publique, de protection sociale contre la maladie, l’âge ou le chômage et avait prévu dans un premier temps dans la continuité de cet esprit de ne rien faire contre la pandémie à l’instar de Boris Johnson en Grande Bretagne, laissant à une supposée immunité collective spontanée le soin de stopper l’épidémie. On peut encore lire cette attitude à sa volonté pour le déconfinement de faire rentrer en premier lieu les enfants les plus jeunes à l’école le 11 mai en prenant clairement le risque de relancer la contagion pour seulement permettre aux capitalistes de faire travailler leurs parents. C’est là le fond de sa politique qui explique un comportement qui a passé pour beaucoup pour de l’incompétence lorsque cette politique s’est affrontée à une très forte résistance ouvrière et populaire et a du composer avec elle.

Ne pas seulement rêver le monde d’après mais s’appuyer sur les tendances contestatrices réelles déjà actuelles pour amplifier le rapport de force.

Face à la pandémie, le monde du travail, dans la foulée de ses résistances précédentes, a refusé massivement de sacrifier sa vie pour les profits des capitalistes en multipliant des droits de retrait, grèves, débrayages et mises en maladie dans les secteurs non indispensables à la survie immédiate.

Par ailleurs, dans de nombreux secteurs où ils étaient amenés à continuer à travailler, dans la santé par exemple ou la distribution alimentaire, les salariés ont soit quasiment ré-organisé le travail par eux-mêmes en se passant des directions comme dans bien des hôpitaux ou ont su imposer par des débrayages ou droits de retrait des conditions de travail plus respectueuses de leur santé ou le paiement de primes liées à leur position de premières lignes.

Cette résistance a été immense et a amené le gouvernement à précipiter un confinement généralisé pour éviter le risque d’une marche du prolétariat vers un contrôle de fait de la production : qui produit quoi, pour qui et dans quelles conditions avec à partir de là, la prise de conscience générale de classe qui peut l’accompagner.

Il faut bien mesurer le renversement de situation avec des travailleurs imposant le respect de leur santé et à partir de là celle de leurs proches et de l’ensemble de la population alors que nous sortions d’une situation inverse où la santé au travail se dégradait à grande vitesse, en faisant travailler plus un nombre moins important de salariés. Conséquence : pas moins de 500.000 salariés par an étaient victimes de burn-out et du fait de la souffrance au travail, des centaines et des centaines de salariés se suicidaient, ou des milliers et des milliers étaient victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.

La reprise en main de leur santé par les travailleurs et la population affirmait la volonté générale de reprendre en main leur vie… et par là le mode de production et ses objectifs.

La situation était plus que dangereuse pour l’ordre capitaliste.

Le confinement sanitaire – au lieu de tests généralisés comme le préconisait l’OMS – imposé par le pouvoir avait ainsi un caractère médical moyenâgeux, peu efficace et très contraignant, simplement lié au manque de moyens, de personnel, de tests, de lits d’hôpitaux et de réanimation, de masques, de gel, de blouses… et donc, parce qu’il était contraint par la pression ouvrière, des conditions d’application très policières, des déclinaisons réglementaires souvent absurdes pour permettre au pouvoir de continuer à affirmer son autorité.

Sous cette pression ouvrière, le gouvernement était amené à décider de mettre en chômage partiel la majorité des salariés, c’est-à-dire d’accepter de payer à 80% près de 11 millions de salariés, 3 millions en chômage technique, près d’un million en arrêt maladie durant près de 2 mois et encore d’autres pour garde d’enfants.

Bien sûr, beaucoup de travailleurs n’étaient pas concernés par ces mesures d’aides et il y a eu une multiplication de personnes qui ont fréquenté les Restos du cœur voire même ayant faim. D’autres subissaient une forte baisse de leurs salaires, en particulier ceux dont les salaires dépendaient surtout de primes. Mais il est unique dans l’histoire que le pouvoir capitaliste ait accepté de payer le cœur central du monde des travailleurs à une telle échelle, et ce n’est pas par philanthropie, ni même pour sauver l’économie.

Il faut donc comprendre, d’abord et avant tout, les mille retournements incohérents du pouvoir, ses multiples mensonges entre ses discours généreux et ses mesures concrètes inexistantes, non pas comme de l’incompétence mais comme les gesticulations d’un pouvoir qui se démène dans tous les sens pour empêcher la prise de conscience affleurante dans le prolétariat que c’est lui qui a réussi à défendre les intérêts généraux de la population dans cette crise sanitaire.

L’enjeu central de la situation est cette prise de conscience vers laquelle les uns marchent et que les autres veulent empêcher.

On n’a jamais autant fait grève et jamais aussi bien travaillé

On n’a jamais autant fait « grève ».

Il n’y a pas eu d’interruption ou même d’atténuation de la lutte de classe durant le confinement. Bien au contraire. Il y a eu à l’origine et aux tous débuts du confinement une espèce de grève générale, ou plutôt de droit de retrait général.

Là où cela a été mesuré, les chiffres sont considérables.

La grande majorité des cheminots dans la continuation déjà de leurs grèves et des droits de retrait massifs précédents, ne voulant pas être les taxis du Medef, se sont mis en masse en droit de retrait ou en maladie au moins à partir du 16 mars, c’est-à-dire la veille du jour où Macron allait annoncer le confinement général et quelques jours avant le 25 mars où des ordonnances ont permis le chômage partiel. Ainsi à Tours, 60% des cheminots étaient en « absence » dont une majorité en droit de retrait à partir du 16 mars.

Et tous les témoignages font état d’un tel degré de mobilisation à l’échelle nationale comme un refus de reprendre le travail le 11 mai, certainement important malgré les menaces de la direction et les pressions sur les salaires, et notamment les primes. A la Poste, du 16 au 31 mars, le syndicatSolidaires a mesuré plus de 10.000 droits de retrait individuels ou collectifs, d’autres annoncent qu’un facteur sur 5 a exercé son droit de retrait, soit plus qu’aucune grève n’a réussi à le faire sur une telle durée.

Et encore aujourd’hui, ce sont les postiers d’au moins 20 départements qui ont déclaré qu’ils ne reprendraient pas le travail le 11 mai. Chez Monoprix, l’absentéisme pour maladie, garde d’enfants ou droit de retrait, est estimé par la CGT à 40% des effectifs. Chez Amazon, ce sont pas moins de 350 droits de retrait qui ont permis à 10.000 salariés de se protéger et d’obtenir des conditions de travail plus satisfaisantes. Chez General Electric à Bourogne, 150 salariés exercent leur droit de retrait le 17 mars au matin et 250 à Belfort avant l’allocution de Macron. Chez Arcelormittal à Dunkerque et Florange, les débrayages et droits de retrait se multiplient dés le mois de mars, y compris chez des sous-traitants comme Gepor à Florange. Chez Renault, les salariés de Sandouville exercent leur droit de retrait le 16 mars.

Chez PSA, de nombreux témoignages ont fait état d’une situation électrique telle qu’on peut facilement imaginer que, s’il n’y avait pas eu de fermeture de ses usines par la direction le 16 mars – comme chez Michelin – puis le chômage partiel, les ouvriers n’étaient pas loin d’arrêter massivement le travail d’une manière ou d’une autre. Et partout où la direction de PSA a tenté de faire reprendre le travail fin mars ou en avril, elle a échoué face au refus des salariés.

A Guéret ce sont les salariés du sous-traitant automobile AMIS qui exercent leur droit de retrait le 17 mars. Le 17 au matin, ce sont les salariés de Valéo à Amiens qui se mettent en droit de retrait, le 17 mars au matin encore les salariés des Chantiers de l’Atlantique à St-Nazaire débrayent et exigent l’arrêt de l’entreprise qu’ils obtiennent, et c’est encore la même chose au même moment pour les salariés de Saint-Gobain à Foug.

Il faudrait rajouter à cette liste les salariés de HAGER, SCHAEFFLER, ASCOMETAL, FIGEAC AERO, ALPACI, AMCOR, , EUROCAST, TRANE, SAFRAN, THALÈS, PAM ST GOBAIN, BONGARD, GAGGENAU, GANTOIS, AUBERT&DUVAL, TIMET, GROUPE AIRBUS, SOVAB, NAVAL GROUP rien que pour la métallurgie et tellement d’autres : la liste est infinie et le mouvement est semblable en Italie, Belgique, Espagne, USA…

Des enseignants exercent leur droit de retrait à partir du 2 mars dans l’Oise et pas que là. Des livreurs à vélo font de même. Même chose pour les salariés de la Redoute le 17 mars au matin à Wattrelos. Pareil encore dans la boulangerie industrielle Neuhauser en Moselle où les débrayages et les droits de retrait alternent régulièrement.

Les chauffeurs de bus franciliens des principales sociétés de transports Transdev et Keolis utilisent leur droit de retrait début mars « pour ne pas être responsables du transport du virus » amenant la ministre des transports Elizabeth Borne a dénoncer le 3 mars l’abus, selon elle, du droit de retrait. De la même manière, au même moment, Muriel Pénicaud dénonçait les droits de retrait importants à la RATP.

Au même moment encore, donc début mars, 300 salariés du musée du Louvre réunis en assemblée générale ont décidé de faire valoir leur droit de retrait. Le 16 mars, ce sont des salariés de la Compagnie des Transports Strasbourgeois qui se mettent en droit de retrait. Le 17 mars au matin, ce sont les salariés de Punch Powerglide qui fabriquent des boites de vitesse qui se mettent en droit de retrait. On constate également dés début mars un nombre important de droits de retrait dans le nucléaire chez les salariés EDF comme les sous-traitants avec, par exemple, 75% d’absences au travail à la centrale nucléaire de Gravelines.

Durant tout le début du mois de mars, les ministres se succèdent dans les médias pour dénoncer ces droits de retrait qu’ils jugent abusifs et qui sont innombrables. Ils craignent un vaste mouvement de contestation et, d’une certaine manière, de prise en main de la lutte contre le virus.

Mais rien n’y fait, le mouvement est viral et c’est le gouvernement qui cédera le 17 mars.

Dés le 17 mars, le président délégué du Medef s’alarme déjà d’un « changement d’attitude brutal » des salariés, depuis l’adoption de mesures de confinement le mardi 17. Car, dit-il, « de nombreux salariés ont demandé à ce que leurs employeurs prennent des mesures d’activité partielle sans quoi ils exerceraient un droit de retrait » et il conclut en se déclarant très préoccupé par cet état d’esprit des salariés qui se sont mis en tête qu’il y avait des activités essentielles et d’autres qui ne le sont pas et qu’ils peuvent décider de ce qui doit être produit ou pas.

Sitôt la déclaration de Macron, les salariés de STMicrolectronics à Crolle obligent le patron à diminuer les effectifs à 30% de la normale. Par ailleurs, le chômage partiel n’empêchera pas le mouvement de retrait de continuer dans les secteurs dits essentiels après sa mise en application ailleurs. Ainsi fin mars, des routiers ou des salariés de Carrefour se mettent en droit de retrait pour obtenir de meilleurs mesures de protection sanitaire et l’arrêt du transport ou de la vente des marchandises non essentielles.

On n’a jamais aussi bien travaillé

Ce vaste mouvement de refus de travailler s’accompagne pour ceux qui sont obligés de travailler, soignants et enseignants par exemple, d’une prise en main de l’organisation du travail par la base.

Les soignants en particulier nous donnent à voir dans des témoignages cette merveilleuse et vitale disposition à construire de nouvelles normes.

En voici quelques exemples.

« Chez nous aussi, à Saint-Denis… face à la crise, tout l’hôpital s’est réorganisé en faisant fi des services, en faisant sauter les cloisons entre spécialités. C’est grâce à cette petite révolution qu’on a pu faire face à la pandémie en dégageant des lits et des bras. C’est l’organisation idéale pour les urgences. On n’a jamais aussi bien travaillé que durant cette période, on n’a fait que de la vraie médecine d’urgence. Mais il est peu probable que cette organisation survive à la crise ».

Trésorier du syndicat autonome des internes de Strasbourg, il a contribué au lancement, dimanche, d’un appel à témoignages sur la répartition des internes afin de proposer de renforcer certains services. « L’idée, c’est de créer une sorte de pool. On a reçu plus de 300 réponses d’internes qui se portaient volontaires !».

« Aujourd’hui, avec une [médecin] senior, nous avons donné une formation en massage cardiaque et réanimation pour du personnel qui sera affecté à la salle de réveil. Il y avait des infirmières anesthésistes, des infirmières du bloc dont les opérations ont été déprogrammées, mais aussi du personnel de petits centres hospitaliers et cliniques de la région. Certains n’ont pas pratiqué des gestes depuis longtemps. On casse toutes les barrières. C’est toute une organisation qui se recrée. On forme les gens au mieux, tout en respectant les non compétences de chacun ». « Dès le début, on a dit aux gens : “Il y a des choses que vous savez et d’autres pas. Ce n’est pas grave, on n’est pas là pour se juger, mais pour apprendre rapidement.” On est dans la bienveillance, le non-jugement, le management positif. » Les responsables sont conscients de l’importance de verbaliser les problèmes. Le soir, il y a une réunion staff pour se dire les choses. Ils ont aussi mis en place un cahier de doléances pour faire en sorte que ça explose le moins fort possible.

« La Sfar [Société française d’anesthésie et réanimation – ndlr] publie chaque jour sur Internet des notes et des pense-bêtes. Par exemple, pour l’utilisation des respirateurs d’anesthésie, qui ne sont normalement pas dédiés à des patients Covid en réa mais pour ventiler pendant quelques heures des opérations au bloc. » « Il y a aussi plein de groupes WhatsApp pour échanger sur les situations. On dit à des collègues d’autres établissements : “On a observé ça sur un patient. Vous aussi ? Qu’est-ce que vous faites ?” On s’entraide en temps réel ».

Cette prise en main par en bas de l’organisation du travail a lié médecins « grands patrons » et simples soignants ou agents de nettoyage tous dans le même bain de la lutte pour la survie, délaissant totalement de côté les impératifs de rentabilité imposés par l’ARS et relayés par des directions complètement dépassées.

Là aussi, la prise en main des conditions de travail signifiait une prise en main de leur vie par les travailleurs, la défense des services publics qui sont la démocratie sociale des plus pauvres en environnement capitaliste, un acquis des luttes ouvrières passées, contre les exigences du capitalisme.

Les enseignants ne sont pas en reste.

Des milliers de groupes WhatsApp de parents et enseignants se sont créés pour l’entraide pour les plus petits.

Le confinement a permis à beaucoup de parents et aux enfants des petites classes d’apprendre ensemble avec des enseignants leur demandant de faire des tâches complexes authentiques et en les racontant et les écrivant.

Au lieu de passer par des exercices abstraits et coupés de la vie pour faire des maths, de l’oral et de l’expression écrite, beaucoup de parents, quelle que soit leur catégorie sociale, ont compris et appliqué avec enthousiasme quand ils étaient sollicités la démarche d’observer, de vivre des expériences de la vie pour permettre l’expression, orale puis écrite, de leurs enfants.

Chacun est parfois encouragé à tenir un petit journal. Des petits jeux avec l’aide des parents comme observer la nature, prendre une photo, la partager avec les enfants de la classe, demander à chacun de trouver le nom de la fleur prise en photo… Les parents se sont aussi creusés la tête pour trouver des objets à manipuler, des legos, comme ils ont vu faire leur enfant en classe.

Ce qui se faisait auparavant dans certaines écoles Freinet ou avec le même souci s’est élargi à un public important.

Cette éducation de confinement se mêle à l’entraide entre familles, pour les courses, inviter un enfant dans la cour privative pour faire du vélo, expliquer et imprimer les attestations de sortie, imprimer des textes écrits envoyés par une maîtresse. Elle était parfois pour certaines familles non francophones le seul lien avec l’extérieur pour expliquer, aider pour trouver des distributions de nourriture gratuite, répondre aux questions.

Dans les médias, on ne parle que de décrochage scolaire et très peu de tous les bons moments, voire des belles expériences et des importants pas en avant vécus par des parents et des enfants qui n’avaient pour certains jamais passé autant de temps ensemble.

Les parents dans cette école partagée, par en bas, plus autonome et participative, ont montré beaucoup d’initiatives et d’intelligence dans leur pratique « d’école à la maison » qui colle ainsi à la vraie vie, loin parfois des coupures entre une instruction qui vient d’en haut, déconnectée de ce qui est vécu et pris à leur compte par les familles.

Les salariés des entreprises privées servent de centre d’organisation

Chez Mc Donalds à Marseille, des anciens salariés qui venaient d’être licenciés, réoccupent un restaurant Mc Donalds et en font un centre d’aide et de distribution d’aide alimentaire dans un quartier populaire.

Les salariés de Neuhauser en Moselle, saisissent un stock de 1 200 palettes alimentaires que le patron voulait jeter pour les distribuer gratuitement la population et forcent même par la grève leur patron à les payer durant le temps de travail utilisé pour cette distribution à la population. Dans la Creuse, des couturières au chômage technique ont répondu à l’appel d’une association d’aides à demande à domicile en leur fournissant des masques.

Chez Plaintel, usine de masques fermée pour des raisons de profit, depuis début avril, un projet de Société Coopérative d’Intérêt Collectif est porté par des syndicats et salariés qui entendent à l’avenir subordonner la production aux intérêts de la collectivité.

Dans la région de Marseille, les salariés-sociétaires de la coopérative SCOP-TI, connus pour leur lutte pour la reprise de leur usine de thé, distribuent du matériel de protection, masques, blouses, combinaisons intégrales et charlottes aux soignants des hôpitaux d’Aubagne et de Marseille.

À Rennes, la coopérative funéraire a mis en place des dispositifs d’entraide pour ses salariés – masques, etc.–, mais aussi pour les familles de défunts afin de pouvoir assister aux obsèques.

A cela, il faut ajouter les innombrables initiatives populaires d’individus, de collectifs, d’associations qui se sont mis à fabriquer des masques, du gel, à distribuer des aliments ou des aides diverses aux plus défavorisés. Il y a une mise en commun de la fabrication de masques comme autant d’archipels de résistance qui ont jeté les fondements de formes nouvelles de circulation, émancipées pour un temps de l’emprise de l’économie capitaliste. Le don est devenu la norme contre le profit égoïste.

La morale ouvrière l’a emporté sur celle des capitalistes.

Si aucun collectif de salariés français n’a pris des mesures aussi radicales qu’en Tunisie ou au Maroc où des ouvrières ont décidé de s’auto-confiner pour fabriquer des masques pour la population, ou en Argentine où des entreprises sous gestion ouvrière ont lancé différentes initiatives solidaires, dont la production de masques et de gel hydroalcoolique à destination des quartiers où elles sont situées, ou encore que Lip en son temps, les actions d’utilité publique ou de solidarité initiées par les classes populaires ou autour des travailleurs ont été toutefois extrêmement nombreuses donnant une tonalité ouvrière à la prise en main de la lutte contre le virus.

On mesure à cette activité intense de la classe ouvrière et de ses militants combien les directions syndicales et politiques de gauche ont été totalement absentes dans cette activité, et, plus important surtout, dans la construction d’une confiance en soi et d’une prise de conscience de classe en rendant largement visible cette activité si importante mais hélas si peu mise en valeur par un discours général et politique sur des bases de classe.

Tout l’enjeu de la situation est dans la prise de conscience par les travailleurs de l’ampleur et la signification de leurs luttes

Dans ce contexte de luttes et de tentative de prise de contrôle de la production, le déconfinement, par delà les explications sanitaires bidons données par le pouvoir, est avant tout une démarche du pouvoir et des capitalistes pour reprendre l’initiative contre les avancées dans les prises de conscience du monde du travail. Il lui faut effacer ces succès ouvriers et le goût de l’émancipation en forçant les travailleurs à reprendre leurs chaînes.

Or, après deux mois où les classes populaires ont pu imposer leur auto-défense, il n’y a aucune raison de penser que le redémarrage va se passer comme avant.

De larges couches de la population ont trop mesuré plus ou moins consciemment les rapports de force. En conséquence, beaucoup ont vu ou senti qu’il est possible de stopper, ne serait-ce que partiellement, la course folle du capitalisme, ont vu ou senti ce que ça apporte, et surtout, pour des fractions importantes de prolétaires, ce que ça ouvre en mondes imaginables en esprit et en possibilités concrètes immédiates.

Plus que jamais, la lutte pratique du moment s’articule avec des perspectives générales non pas de revendications immédiates même s’il y en a bien sûr toujours, non pas seulement de luttes globales mais d’articulation des luttes immédiates avec un monde nouveau à bâtir.

C’est ce qui manquait dans toutes les luttes précédentes depuis 2016 qui, aussi radicales fussent-elles parfois, se cantonnaient à l’aspect revendicatif dans le cadre du monde tel qu’il est.

C’est cela qui avait un peu changé déjà avec les Gilets Jaunes qui exigeaient le départ de Macron et cherchaient une autre démocratie plus directe avec le RIC et touchaient à la question d’une autre société, plus fraternelle et égalitaire, à laquelle ils tentaient de donner une forme concrète sur les ronds points.

Mais ils en restaient à « bloquer l’économie », pas la prendre en main.

Aujourd’hui ce qui change, c’est cela, non seulement renverser le gouvernement mais aussi le capitalisme pour faire quelque chose de mieux, renverser le mode de production actuel.

Certains, dans les organisations traditionnelles tentent de chevaucher cette dynamique en y donnant le nom de « Jours heureux » en référence mythique au nom du programme du Conseil National de la Résistance en 1944, qui a donné la matrice de l’action du gouvernement d’union nationale du Parti Communiste à la droite classique autour de De Gaulle dans les premières années qui ont suivi la seconde guerre mondiale.

Comme aujourd’hui, les classes dirigeantes et leur appareil d’État, police et justice en particulier, étaient complètement délégitimées par leur collaboration durant la guerre. Il s’agissait de tout changer pour ne rien changer, de nationaliser par rachat des secteurs essentiels de l’économie, banques, assurances, énergie, mines, automobile, de la mise en place de la sécurité sociale et d’une planification indicative afin de remettre en route une économie détruite par la guerre et surtout … avec ces concessions importantes, remettre au travail une classe ouvrière en situation quasi insurrectionnelle et en luttes massives durant 5 ans de 1944 à 1948, d’une ampleur bien plus importante qu’en 1936 ou 1968.

Ces luttes insurrectionnelles visaient le pouvoir d’union nationale regroupant gauche et droite, c’est pourquoi, il y a eu accord général pour faire disparaître de l’histoire le plus grand mouvement de grèves de l’histoire de France et imaginer les avancées sociales du moment comme étant le résultat mythique d’en haut.

Mais peu importe, les « Jours heureux » traduisent aussi pour cette partie des militants l’envie de prendre en main l’économie et renverser l’ordre établi pour satisfaire les besoins de la population et plus seulement bloquer l’économie pour faire pression sur les puissances en place.

Cette prise de conscience de se battre pour un autre monde traverse aussi d’autres familles d’idées. L’esprit des ZAD (Zones A Défendre) auto-gouvernées s’étend à bien d’autres domaines que ceux de l’environnement avec une extension de la solidarité et de l’autonomie à des communes, des quartiers, des hôpitaux, des écoles, des Ehpad, qui deviennent d’ailleurs plus carrément des ZAG (Zones A Gouverner) dans un système de réseaux global.

La frontière est parfois fine entre la solidarité qui refuse la situation générale et la charité qui l’accepte quitte à créer quelques îlots protégés. Dans la dynamique générale actuelle, il y a une dimension offensive, des perspectives de ruptures incluses dans les gestes de solidarité, des perspectives non plus marginales mais générales de reprise en main de nos vies, de nos outils, de l’espace, des lieux, des moyens de production…

Le site Covid-entraide recense 620 collectifs locaux d’entraide, 100.000 abonnés dans les canaux de discussion sur le sujet, 84.000 volontaires pour le site En première ligne. Tout cela appuyé par une formidable presse ouvrière et démocratique en ligne qui dispute son autorité aux grands médias. On voit aussi le succès des circuits alimentaires courts, de l’agriculture urbaine « pirate », de l’agriculture vivrière locale.

La formule « penser globalement, agir localement » de certains écologistes est une épreuve de mondialité, un fracas des échelles, fertilisée par une pluralité de luttes au niveau mondial de nombreux milieux pour une démocratie sanitaire et économique complétant la démocratie politique et tout cela s’articule sur un fond énorme de résistance ouvrière que nous avons vu plus haut.

Il n’y a pas vraiment de convergence pour le moment – malgré quelques embryons volontaristes dans les mois passés de 2019 – parce que cette convergence est souvent assimilée à un retour des querelles de chefs. Fondamentalement aussi parce que ces différences, qui peuvent paraître superficielles aujourd’hui, recouvrent des ruptures de fond sur les orientations générales à terme.

Ainsi les Black Panthers en leur temps ont pu abriter un temps en leur sein tout à la fois les tenants d’une action de solidarité autour de soins ou de petits déjeuners gratuits pour les noirs américains les plus pauvres et les tenants d’une action révolutionnaire jusqu’au bout. Mais ces deux courants ont fini par rompre quand les tensions politiques et sociales dans le pays se sont faites plus vives et tranchées.

Il n’y a pour le moment que des luttes parallèles de milieux sociaux au capital idéologique différent mais qui, sans vraiment converger au sens d’actions coordonnées et encore moins de direction commune, s’additionnent et surtout s’enrichissent mutuellement dans les réseaux de solidarité par des vases communicants multiples en particulier au niveau des militants de base qui peuvent être tout à la fois syndicalistes, gilets jaunes, écologistes, communistes, féministes… formant un formidable terreau pour aller plus loin encore demain.

D’un double pouvoir latent à un double pouvoir conscient

En fait, cet état d’esprit ou cet espoir, ce combat pour un monde différent n’est que l’extension de ce qui a toujours existé dans le monde du travail mais qui était latent, dissimulé, sali.

Il y a une forme de double pouvoir permanent dans notre société de classe entre les capitalistes qui ont le pouvoir actif et la classe ouvrière qui l’exerce de manière passive et inconsciente par des résistances au travers de ses acquis sociaux – protections contre l’âge, la maladie, le chômage – et de ses acquis démocratiques – liberté d’expression, de réunion, égalité des sexes – gagnés au travers de ses grandes luttes historiques. Cela va même jusqu’aux micro-pouvoirs que sont les petits gestes au travail avec les coups de main, les savoir-faire qui permettent aux ouvriers un peu d’autonomie face à l’exploitation brute.

La lutte conjointe contre le covid-19 et le gouvernement livre un peu plus à notre perception la réalité de ce double pouvoir par l’importance de la place du travail humain dans la société, en particulier de celui des plus humbles. Elle démasque l’imposture du capital et de tous les bonimenteurs patentés qui le défendent en permanence dans les institutions et les médias. Elle rend tout autant injustifiés les salaires exorbitants que les revenus financiers colossaux qui étaient jusque là du domaine du « normal », du « légitime », par une espèce de magie qui attribuait des talents hors-normes aux dirigeants. La pandémie les montre incapables, inutiles et même nuisibles. Leur légitimité comme celle de leur monde, y compris de leurs experts et scientifiques, s’effondre. On croyait à la puissance de l’argent, on ne la croit plus, on ne veut plus l’entendre, on s’aperçoit qu’il n’y a que la puissance du travail.

Ce que les pauvres ne voulaient pas voir sur eux-mêmes en s’auto-calomniant même dans la traîne de la propagande incessante des exploiteurs qui s’acharnaient à rabaisser le travail et les travailleurs, les salir, les diminuer et leur imposer des productions inutiles comme des règles de travail inhumaines, le virus le rend visible.

Il rend visible la capacité à bien travailler des plus humbles et leurs qualités morales à travailler pour le bien commun…

Ceux qui étaient encore hier pensés et traités comme des « rien » deviennent tout, tandis que ceux qui étaient « tout » et tenaient le haut du pavé dans tous les domaines tendent à devenir des « rien », moralement et intellectuellement.

Chaque individu redécouvre les valeurs qu’il a en lui et, depuis cette découverte, veut que le monde change. De là, surgissent de partout des analyses, des projets, des propositions, des expériences comme autant de marches vers un autre monde en rejet commun de l’idéologie des imposteurs, des voleurs de vie humaine, des exploiteurs du travail humain.

L’expérience ouvrière qui se mêle à la vraie recherche scientifique et culturelle construit une université commune de la vie, des livreurs aux médecins, des caissières aux chercheurs, bannissant tout esprit hiérarchique propre aux imposteurs et à l’exploitation.

L’arrêt de l’économie par le refus de sacrifier sa vie aux profits des exploiteurs nous a lancé tout d’un coup dans une nouvelle forme de « grève ».

Non pas arrêter le travail, en faisant pression sur ceux du dessus, en attendant ce qui se passe, mais travailler comme nous l’entendons. C’est nous qui produisons, par notre travail concret, la valeur économique mais aussi la valeur du bien commun. Nous avons décidé un moment par nos « droits de retrait » massifs du contenu de cette valeur en décidant de la façon dont nous produisons, pour qui et pour quoi. L’auto-gouvernement qui se fait dans les ZAD, nous l’avons fait un moment dans toute l’économie. Il nous reste à le continuer.

Le double pouvoir latent a effleuré un instant nos esprits pour toucher à la conscience.

De cette prise de conscience de notre pouvoir dans les faits peut naître une conscience politique de nos possibilités, une confiance dans les classes pauvres et le terreau de l’émergence d’un parti révolutionnaire au sens de partisans de cette perspective.

Mais ce que nous venons de prendre contre le capital, c’est bien sûr ce que veulent nous reprendre, ce que veulent effacer de nos consciences à partir du 11 mai, les imposteurs et exploiteurs en nous replongeant dans leurs règles absurdes de l’exploitation sans limites, barrières et protections tout en nous accusant et nous culpabilisant par nos soit-disants « relâchements ».

Pour le moment, incapables de justifier la reprise du travail sans protection après avoir garanti le contraire, ils se contentent de tenter de l’imposer par la force. Ils le paieront par une montée des résistances et l’envie de prendre en main le déconfinement, comme l’a été le confinement, d’en faire une apologie du droit à la paresse, un déconfinement par la convivialité, la joie de vivre, la culture, la fête, les cafés et les bars, les réunions de famille, les manifestations sociales et politiques en même temps que le confinement maintenu pour l’exploitation en usine ou au bureau, pour tout ce qui n’est pas indispensable, utile au bien commun.

Amplifier la conscience de la marche vers le double pouvoir, tel est l’objectif actuel en prolongement de ce que font déjà les classes populaires, c’est-à-dire exactement le contraire de ce que le gouvernement et le grand patronat veulent faire avec leur déconfinement, celui du retour à l’exploitation mais pas à la « liberté ».

Bien sûr, les effets de politisation de la pandémie ne vont pas produire d’un seul coup un changement immédiat et visible.

Tout ne se jouera pas le 11 mai, par exemple, même si cette date est importante parce que le pouvoir nous attaque tous en même temps, concentre en ce jour ses attaques multiformes et tous azimuts, ce qui permettra de mesurer l’état du rapport de force global et, à partir de là, quelles sont les nouvelles prises de conscience.

Cependant, même si tout n’est pas fait, énormément de choses dans les consciences ont évolué et rendent des couches de plus en plus larges, encore plus disponibles pour de vrais basculements personnels et collectifs.

Hier, le mouvement des Gilets jaunes a politisé beaucoup de travailleurs qui ne s’étaient jamais engagés auparavant, qui n’avaient jamais fait de manifestations, qui ne s’étaient jamais réunis pour agir ensemble. Aujourd’hui, la résistance populaire à la pandémie a créé un terreau encore plus large sur des objectifs plus avancés pour que pousse ce nouveau monde qu’on sent frémir toujours un peu plus.

Différentes phases de la lutte et échéances à venir

Le confinement tel qu’il s’est fait est donc un compromis des dirigeants qui n’avaient aucune intention de faire face au virus et la volonté de la population derrière la classe ouvrière de ne pas se laisser faire, de ne pas prendre de risques pour des profiteurs.

Le confinement est un rapport de force, un équilibre entre forces sociales opposées. C’est pourquoi le déconfinement, comme rupture de cet équilibre, n’est que la continuation et la mise à l’épreuve de ce rapport de force, ou comment pour les capitalistes obliger les salariés à reprendre le travail soumis au risque de leur santé et comment pour les classes populaires ne pas perdre leur vie pour les profits des exploiteurs.

Dans ce mouvement contradictoire qui va du confinement au déconfinement, on pourrait voir ainsi une première phase où le gouvernement comme la plupart des autres dans le monde n’avait rien prévu de faire sinon ignorer ou minimiser l’épidémie, à l’instar de celui de Boris Johnson, le plus explicite sur le sujet.

Puis, il y a eu une seconde phase où, sous la pression populaire et en particulier des salariés qui se mettaient massivement en droit de retrait et refusaient de prendre des risques pour produire des marchandises non immédiatement indispensables, le gouvernement a prétendu se soucier de la santé de tous en lançant de manière totalement improvisée un confinement généralisé.

Cette phase s’est caractérisée par l’amateurisme le plus total des autorités et l’incohérence de leurs décisions révélant le caractère contraint pour eux de ces mesures de confinement. Dans le même moment, pour cacher ou limiter l’importance de l’impact de l’initiative citoyenne et ouvrière sur la politique gouvernementale, les autorités tentaient de donner au confinement un caractère policier, réglementaire, tatillon, absurde, histoire de rappeler qui commandait. Dans cette période, beaucoup des tentatives de remise au travail de secteurs professionnels ont échoué face aux résistances populaires.

Dans un troisième temps, une fois endigué le confinement dû à la protestation populaire par des mesures à caractère vaguement socialisant comme le chômage partiel, le gouvernement aidé par le patronat relativement silencieux jusque là, lançait une campagne sur l’économie à sauver et la remise au travail du prolétariat en l’accompagnant de mesures législatives déconstruisant un peu plus les protections du code du travail. Cette campagne débouchait sur la date du 11 mai, date annoncée comme le retour aux normes d’avant, voire pire avec par exemple des semaines possibles de 60 heures de travail, c’est-à-dire pour l’essentiel à la reprise du travail sous l’égide de l’exploitation capitaliste la pire pour faire payer ce moment où les salariés ont imposé leur manière de voir.

Mais dans un quatrième temps, le déconfinement annoncé à cette date du 11 déclenchait une nouvelle vague de résistance populaire, de refus de prendre des risques pour les profits patronaux qui se cristallisait principalement autour de la réouverture des écoles pour les plus petits. Cette réouverture de l’école était largement interprétée, et à juste titre, comme la transformation de l’éducation nationale en garderie, juste pour que les parents puissent aller se faire exploiter.

De là, si l’ambiance générale restait dominée par la propagande gouvernementale autour du déconfinement, le gouvernement reculait toutefois une nouvelle fois sous la pression populaire et annonçait que la date du 11 mai n’était pas impérative, en divisant la reprise scolaire en trois dates et en faisant du déconfinement quelque chose de progressif, différencié et régionalisé, pouvant même être remis en cause à tout moment.

Dans le cadre général de cette phase, le discours d’E.Philippe du 28 avril était très défensif, affichant avant tout son souci de la santé bien qu’il fut surtout la crainte de révoltes populaires. La différenciation du déconfinement par professions et départements plus ou moins touchés par l’épidémie a, avant tout, comme objectif de diviser le front du refus populaire.

En même temps que le gouvernement avec le déconfinement veut tenter de rééquilibrer à son profit les rapports de force, casser l’embryon de contrôle populaire et casser la dynamique des initiatives, de la créativité, des solidarités qui fondent le socle du confinement populaire, il ne peut pas se passer encore de ce qu’il appelle le civisme des citoyens sans lesquels l’épidémie pourrait repartir de plus belle et à partir du quoi, il pourrait perdre ce qui lui reste d’autorité.

Le gouvernement marche sur une « ligne de crête » comme l’a dit Edouard Philippe le 28 avril, autrement dit sur la corde raide du funambule.

Il est conscient de sa fragilité, du danger pour lui et les capitalistes de leur perte de contrôle de la situation. Son principal atout reste que le camp des travailleurs, sans réel parti, ni expression large de ce qu’il fait, n’a pas la conscience aiguë de sa force comme le gouvernement celui de sa fragilité.

La confusion règne dans notre camp au sujet du confinement/déconfinement ; les préoccupations sur leur nécessité technique réelle ou douteuse l’emportent sur la conscience de ce que cela doit au rapport de force, permettant au pouvoir de passer sa propagande sur la « liberté » qu’apporterait le déconfinement, arrivant à s’appuyer sur les sentiments réels ressentis par beaucoup contre l’enfermement de la convivialité populaire par le confinement et faisant passer ainsi le retour à l’exploitation comme une liberté.

Cependant, partout où l’extrême droite, aux USA ou en Allemagne par exemple, a tenté de se faire le héraut de cette « liberté » d’aller se faire exploiter, ses manifestations n’ont regroupé qu’un très faible nombre de personnes et ont été combattues par des contre-manifestations de soignants ou d’anti-fascistes bien plus nombreuses.

Certes, la prise en main totale du déconfinement par les classes populaires n’est pas encore véritablement et globalement à l’ordre du jour, loin de là, au vu des consciences actuelles car cela signifierait la cohabitation visible, c’est-à-dire politique, d’un double pouvoir, celui des classes populaires et celui de la bourgeoisie. Nous n’en sommes pas là, mais c’est cela qui pointe un instant son nez dans la situation, vers quoi nous marchons à plus long terme et qui se déclinera probablement de nombreuses manières dans la période à venir, parce qu’il est déjà dans les faits, dans le monde social par les droits de retrait des ouvriers, la prise en main de l’organisation du travail chez les soignants, peut-être demain les enseignants, et dans le souci général de sa protection de la majorité des travailleurs.

En attendant, il y a clairement un secteur où le front populaire par en bas s’est maintenu visiblement, c’est sur le refus d’envoyer les jeunes enfants à l’école à partir du 11 mai.

Le nœud du rapport de force global où la classe ouvrière peut entraîner encore et à nouveau les classes moyennes et avancer d’un pas dans la conscience de sa force et, son rôle va donc se jouer autour de la question de l’école, autour de cette date et les suivantes qui lui sont liées.

Les grèves ou droits de retrait des cheminots, traminots et des chauffeurs de bus scolaires ou autres pour amener les enfants à l’école et les parents au travail s’inscriront dans ce mouvement en l’amplifiant et celui des facteurs, employés, ouvriers du privé dans leurs secteurs également formeront un tout et une dynamique d’ensemble autour du refus de l’école pour les plus petits le 11 mai et ensuite.

Le gouvernement sent bien que cette date de retour à l’école dans l’enseignement maternel et primaire va être problématique au vu du nombre important de parents qui n’enverront pas leurs enfants à l’école ce jour-là, des maires qui refusent d’ouvrir les écoles, des enseignants qui annoncent qu’ils seront en grève ou en droit de retrait.

Constatant cette immense résistance, il tente de déminer cette contestation qui risque de rendre visible un sentiment général de refus et faire prendre conscience de la réalité des rapports de force. Aussi annonce-t-il que ce ne sera pas une date fondamentale, mais seulement un début, juste pour les élèves défavorisés, handicapés, volontaires, enfants de soignants, etc., que les zones où l’épidémie est encore trop prégnante pourront être dispensées d’école, etc. Et puis que le 7 mai, il fera le point sur l’épidémie – en fait sur les résistances populaires – pour savoir s’il maintiendra ou pas la réouverture le 11 mai. En même temps, il annonce pour faire pression sur les parents que ceux qui n’enverront pas leurs enfants à l’école sans justification de fermeture de l’école perdront le bénéfice du chômage partiel.

Bref, le gouvernement veut remettre en cause l’équilibre des forces mais il n’est pas du tout sûr de gagner. Et s’il ne gagne pas, c’est la conscience qu’on peut se passer de lui et de son monde qui marquera encore des points avant de franchir d’autres marches vers son émancipation dans la période qui vient.

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Notes :

i) https://www.lemonde.fr/journal-blouses-blanches/article/2020/04/21/journal-de-crise-des-blousesblanches-on-n-a-jamais-aussi-bien-travaille-que-durant-cette-periode_6037338_6033712.html

ii) https://www.mediapart.fr/journal/france/240320/journal-de-bord-des-internes-attend-que-le-picarrive Jour 1 – 24 mars 2020

iii) https://www.mediapart.fr/journal/france/290320/journal-de-bord-des-internes-la-mort-n-pas-euun-cours-ou-un-topo-la-dessus


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