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SOURCE : France TV Info
Rassurer les parents inquiets, tenter de rattraper les élèves décrocheurs… Enseignants et directrices d’établissements racontent à franceinfo comment ils appréhendent la reprise après deux mois de confinement.
Ne dites pas “rentrée”, dites “reprise”. Des milliers d’élèves de primaire ont retrouvé enseignants et camarades mardi, mais pour la majorité d’entre eux, la reprise est prévue jeudi 14 mai, après deux mois de confinement et de classe virtuelle. Mais pas tous, car en raison du protocole sanitaire établi par le ministère de l’Education nationale pour éviter la propagation du coronavirus dans les écoles, seul un petit groupe d’élèves, 15 par classe en école élémentaire, pourront franchir les portes de leur établissement. Près de 86% des écoles du pays ont rouvert cette semaine. “Plus d’1,5 million d’enfants” sont concernés, a assuré le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, dans le Journal du dimanche (article payant).
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50 000 écoles, une foule de possibilités
Dans son plan de déconfinement, le ministère a dressé une liste des élèves qui devaient être accueillis en priorité : ceux des classes charnières (grande section de maternelle, CP et CM2), les enfants en situation de handicap, les élèves “décrocheurs ou en risque de décrochage” et enfin les enfants “des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la nation”, comme les soignants ou les enseignants. Certains des quelque 50 500 établissements du territoire ont suivi ces critères, d’autres s’en sont affranchis. Une enquête du syndicat SNUipp-FSU menée auprès de presque 10 000 écoles révèle toutefois que les préconisations du ministère ont plutôt été suivies. La grande section, le CP et le CM2 rassemblent plus de 55% des enfants de retour en classe.
Sur les 90 élèves qu’elle reverra jeudi, Juliette*, directrice d’école élémentaire en Ile-de-France, constate en effet que la plupart sont en CP et CM2. “Les parents voulaient les remettre en classe, certifie-t-elle, ils sont inquiets pour l’apprentissage de la lecture ou pour l’entrée au collège.”
A Paris, l’école de Clément*, professeur en CM1, a fait le choix “de faire revenir à l’école en priorité les enfants perdus, ceux issus de milieux sociaux extrêmement défavorisés”. “Il y avait urgence à les reprendre en classe, car certains sont dans des situations très préoccupantes”, ajoute-t-il. Il retrouvera ainsi trois de ses élèves, dès jeudi. Pour assurer au mieux l’accueil, l’établissement a d’ailleurs opté pour le petit comité. “On ne voulait pas ouvrir totalement les vannes et se retrouver avec 12 enfants par classe”. Ainsi, il a conseillé aux parents avec lesquels il avait un contact régulier, ou qui pouvaient assurer la classe à distance, d’attendre. “Si les premiers jours se passent bien, on fera revenir ces enfants”, précise-t-il.
Rassurer et convaincre
La peur de la contamination empêche certains parents de remettre leurs enfants à l’école. D’autres ont besoin d’être rassurés. “Les parents m’ont assaillie de questions auxquelles je n’étais pas forcément capable de répondre”, regrette Aurélie, institutrice en CP dans les Hauts-de-Seine. Elle a été interrogée sur la maladie de Kawasaki, qui a touché relativement peu d’enfants en France ces dernières semaines, mais inquiété de nombreux parents. “C’était assez épique, j’ai dû les rassurer sur quelque chose que je ne maîtrisais pas”, confie-t-elle. Trois des 13 élèves de sa classe seront finalement présents, car les parents n’avaient plus de possibilités de garder leurs enfants. “Beaucoup d’autres m’ont dit qu’ils remettraient leurs enfants une fois qu’ils auront vu que cela se passe bien et que le protocole sanitaire peut être respecté”, ajoute l’enseignante.
A Bourg-sur-Gironde (Gironde), à 45 kilomètres de Bordeaux, l’école élémentaire va accueillir 11 élèves. “C’est un gros challenge”, estime Fanny, directrice de l’école maternelle qui a préparé cette reprise avec le directeur de l’école élémentaire. “On avait très envie que les enfants reviennent, mais je ne maîtrise pas la crainte de l’épidémie chez chacun, ni la volonté des parents de remettre leurs enfants à l’école”, explique-t-elle.
Si l’école rouvre, c’est que le protocole sanitaire peut être respecté. Il va falloir montrer que ça se passe bien.à franceinfo
Faut-il vraiment essayer de convaincre les parents ? “Ce n’est pas notre rôle,estime Charlotte*, je ne voudrais pas qu’on dise que je leur ai forcé la main.” Cette institutrice de Haute-Savoie n’a cependant pas eu à le faire pour les 5 élèves de sa classe de CP qui reviennent à l’école. “Il y a deux enfants d’enseignants, un dont les parents doivent retourner travailler et deux autres qui étaient en grande difficulté”, détaille-t-elle.
Sur les 186 élèves de son école de Seine-Saint-Denis, Odette* en attend “un peu moins d’une trentaine”. “Toutes les classes de mon établissement sont concernées, assure la directrice, on n’avait pas envie de trier les élèves.”“Dans la majeure partie des cas, les deux parents devaient retourner au travail”, décrit-elle. Odile n’a pas eu à choisir : beaucoup d’autres parents ont craint de faire courir des risques à leurs enfants en les mettant à l’école.
Raccrocher les “décrocheurs”
L’ouverture des écoles obéissait aussi à une volonté de rattraper les élèves égarés depuis le confinement. Au Journal du dimanche, Jean-Michel Blanquer a assuré qu’il restait 4% de ces “décrocheurs”, malgré les efforts déployés. “Les enseignants ont développé beaucoup de créativité pour réussir à toucher les élèves”, affirme Florence Rizzo, cofondatrice et codirectrice de l’association SynLab, impliquée dans l’éducation. Certains sont allés “là où les élèves se trouvaient, parfois même sur les plateformes de jeux vidéos”, assure-t-elle. Selon une enquête réalisée par l’association, fin avril, auprès d’un millier d’enseignants du primaire et du secondaire, 20% des élèves semblaient “désengagés de leur scolarité depuis le début du confinement”. Ce taux grimpait à 30% dans le réseau d’éducation prioritaire (REP).
Les professeurs interrogés par franceinfo ont vu d’ailleurs vu revenir certains de ces élèves avec plaisir et parfois un peu de surprise. “Je suis contente de revoir une élève qui était très éloignée de l’école et de qui j’avais eu peu de retours depuis la fin des vacances”, se réjouit Aurélie. Clément se félicite lui de la réapparition de deux élèves “qui n’avaient donné aucun signe de vie pendant deux mois”. “Je me suis même demandé si on allait les revoir, mais ma directrice a réussi à joindre le père qui a accepté que ses deux enfants reprennent l’école”, se félicite-t-il.
Clothilde*, directrice d’école dans le Jura, avait recensé 10 à 20 élèves pour lesquels “le lien était toujours maintenu, mais les retours des travaux étaient très disparates”. Pour ces familles “sur la défensive”, il a fallu “persuader”, “rassurer avec des photos ou des vidéos”. Finalement, deux ou trois élèves retrouvent le chemin de son école. “Ce ne sont pas forcément les décrocheurs qui ne reviennent pas, on a des enfants de personnels soignants qui restent chez eux par exemple”, observe celle qui va compter une trentaine d’élèves, sur 108 au total, à la reprise.
Dans son établissement de Seine-Saint-Denis, Odette observe que “les parents de décrocheurs ne souhaitent pas particulièrement remettre les enfants à l’école”. Elle a notamment identifié 10 élèves, sur 185, pour lesquels elle n’a pas eu de nouvelles, malgré les nombreuses sollicitations.
Ceux-là ne reviendront pas, soit parce que leurs familles ne donnent toujours pas de nouvelles, soit parce qu’elles sont paniquées par le virus.à franceinfo
Elle cite en exemple la mère d’un élève qui a des problèmes de santé et ne veut prendre aucun risque, ou encore une famille dans laquelle les deux parents ont été touchés par le Covid-19. “On a appelé ces familles pour qu’elles remettent leurs enfants, mais chez elles, la peur prédomine.” Dans ce département, “beaucoup de familles sont dans la survie”, ajoute Odette. Dans ces conditions, il peut arriver que la scolarité passe après les problématiques d’accès à la nourriture ou aux soins.
Un test pour la “vraie rentrée” de septembre
La question est de savoir désormais quel enseignement attend les enfants qui retournent en classe. “L’école en mai ne sera pas une garderie, car nous conservons la charpente des niveaux”, a clamé Jean-Michel Blanquer. “Ce ne sera pas non plus l’école que les élèves connaissent habituellement”, tempère Odette. Le protocole sanitaire et ses mesures strictes bouleversent le quotidien.
Dans l’établissement de Delphine, en raison d’un roulement des enseignants entre les groupes d’élèves, assurer la continuité pédagogique sera compliqué. “Les élèves vont réaliser le travail envoyé lors des classes virtuelles, assure-t-elle, je n’irai pas jusqu’à dire que ce sera de la garderie, mais bon…” Les enseignants vont aussi découvrir comment vont les élèves après deux mois de confinement. “Dans quel état psychologique seront-ils ? s’interroge Clothilde. Il faudra d’abord les accueillir, expliquer et informer, avant de réactiver les connaissances.”
Il va falloir les réacclimater à l’école, les rassurer par rapport à l’épidémie et dédramatiser cette période anxiogène.à franceinfo
La question du savoir sera abordée dans un second temps. “Les nouvelles notions ne seront pas étudiées pour éviter de créer des inégalités, ajoute Juliette, les enseignants feront des petites évaluations pour jauger le niveau de chaque élève et puis il y aura des révisions.” Pour elle, cette période va surtout servir de test pour préparer au mieux la rentrée de septembre. Avant de se projeter dans cette “vraie rentrée”, Fanny pense au mois de juin. “On espère avoir plus d’enfants en classe d’ici 15 jours, ça voudra dire qu’on a regagné la confiance des familles”, conclut-elle.
* Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés à la demande des témoins.