AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Le Monde
Cet accord franco-allemand, qui doit encore être validé par les autres Etats membres, est en soi une révolution.
Après des semaines de discussions entre leurs équipes et de nombreuses visioconférences, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté, lors d’une conférence de presse commune lundi 18 mai dans l’après-midi, l’accord auquel ils sont parvenus sur un plan de relance européen. Celui-ci prévoit que la Commission s’endette à hauteur de 500 milliards d’euros et transfère cet argent aux Etats, régions et secteurs qui ont été le plus abîmés par la pandémie due au coronavirus.
Certes, la Commission, que les Vingt-Sept ont mandatée pour travailler sur le sujet, n’a pas encore fait ses propositions. Certes, Paris et Berlin devront encore convaincre les autres Etats membres de les suivre, au premier rang desquels les Pays-Bas et les pays scandinaves, que la proposition franco-allemande ne devrait pas enchanter. Certes, il reste beaucoup de détails à arrêter, comme les conditions de l’endettement et du remboursement, ou encore les conditions qui accompagneront l’attribution de cet argent – par exemple pour favoriser la transition écologique. Mais le fait que le couple franco-allemand se soit mis d’accord sur les grandes lignes d’un plan de relance financé par une dette commune des Etats européens, émise par l’Union et dépensée par le biais du budget européen, est en soi une révolution. Car ce sont deux tabous qui sont finalement tombés outre-Rhin, au fil de ces dernières semaines.
Berlin, qui était vent debout fin mars contre tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, revient à mutualiser la dette des Européens, est aujourd’hui d’accord pour s’engager dans cette voie. Après avoir exclu toute levée de dette commune, lors du conseil des chefs d’Etat et de gouvernement le 26 mars, Angela Merkel avait envoyé des signaux montrant qu’elle avait évolué ces derniers temps.
Pour autant, répétait-on à Berlin, pas question que cet argent soit transféré : il devra être remboursé par les pays qui en bénéficieront. Voilà que la chancelière allemande est désormais d’accord pour qu’il vienne abonder le budget européen et soit redistribué, selon des critères liés à la sévérité de la crise et qui restent à définir. Il faudra bien rembourser l’emprunt – là aussi selon des conditions que l’on ne connaît pas à ce jour –, mais cela se fera au niveau de l’Union européenne, et non pas en fonction de ce que les uns et les autres auront touché.
Europe de la santé
Emmanuel Macron et Angela Merkel souhaitent également que l’Europe adopte un instrument de contrôle des investissements, pour éviter que des entreprises œuvrant dans des secteurs stratégiques, comme la santé, l’énergie ou la défense, passent sous pavillon étranger.
Forts des enseignements de la crise, le président français et la chancelière allemande appellent aussi à construire une Europe de la santé, qui permettrait de constituer des stocks communs de masques et autres équipements médicaux, mais aussi d’harmoniser les données des Vingt-Sept, dont on a vu que, même sur la question de la comptabilisation du nombre de décès dus au Covid-19, ils ne faisaient pas les choses de la même manière. Il s’agit aussi de discuter avec les laboratoires pour éviter que certains pays non européens ne s’approprient les vaccins.
Après avoir apporté, dans l’urgence et parfois dans la panique, des solutions nationales à la crise déclenchée par le coronavirus, Paris et Berlin ont présenté lundi une ébauche de réponse européenne commune. Un « long » et « patient » travail de convergence entre les deux capitales, selon les qualificatifs de l’Elysée, qui doit permettre de tirer les leçons des erreurs de ces derniers mois et remettre l’Europe sur la voie de la reprise économique.
Angela Merkel et Emmanuel Macron ont d’abord tranché la question qui a envenimé le débat dès le début de la crise , celle de la solidarité financière. Les deux pays ont annoncé la création dans le cadre du budget européen d’un fonds de relance doté de 500 milliards d’euros qui sera destiné à « soutenir les pays et les secteurs les plus touchés » par la crise, a expliqué la chancelière allemande lors d’une conférence de presse commune mais à distance. Dans le détail, c’est la Commission européenne qui lèvera cette somme sur les marchés – elle représente trois fois et demie le budget annuel européen -, avant de la redistribuer via le budget aux secteurs et régions en difficultés, Italie et Espagne en tête.
Saut quantique
Pour Emmanuel Macron, cette décision n’est rien moins qu’un « saut quantique », car pour la première fois, l’Union européenne créerait une dette commune, qui serait distribuée sous forme de transferts budgétaires et remboursée non pas par le pays bénéficiaire mais par la communauté des Etats. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’eurobonds ou de coronabonds , un terme tabou outre-Rhin et dans les pays du nord de l’Europe, la démarche de solidarité et de partage du fardeau de la crise est clairement présente. La proposition du couple franco-allemand doit encore être approuvée par leurs vingt-cinq partenaires et l’affaire se présente mal puisque l’Autriche a fait dès lundi soir une déclaration soulignant que « l‘aide européenne doit prendre la forme de prêts et non de subventions».
Ce principe d’une dette commune européenne n’est pas le seul fruit du travail de conviction de la France. Il résulte de la pression de plusieurs dirigeants européens qui dès la mi-mars avaient réclamé dans une lettre commune une solidarité financière européenne pour faire face à un choc externe qui laisserait les pays déjà fortement endettés davantage affaiblis.
« Les eurobonds, c’est une proposition du passé. Là on ne parle pas d’eurobonds, mais de fonds de relance, on crée une dette nouvelle liée à un contexte nouveau, on ne parle pas de dettes du passé. Et dans ce cadre, l’Allemagne accepte d’apporter sa garantie à cette dette commune, et elle accepte qu’elle soit utilisée pour des transferts », souligne Emmanuel Macron.
Trois objectifs
La présidente de la Commission européenne qui attendait l’accord franco-allemand pour s’atteler à une proposition européenne a salué cette proposition qui « reconnaît l’ampleur du défi économique auquel l’Europe est confrontée ».
Ce fonds de relance constitué de soutiens budgétaires, viendra s’ajouter, s’il est adopté, au programme de prêts à l’économie doté de 540 milliards d’euros, adopté par l’Eurogroupe le 9 avril dernier. Ce dernier avait été modérément bien reçu par les pays du sud de l’Europe qui redoutaient que de nouveaux emprunts viennent alourdir encore le poids de leur endettement.
Angela Merkel et Emmanuel Macron se sont fixé trois autres objectifs. Ils souhaitent doter l’Europe des compétences nécessaires pour déployer une stratégie efficace en cas d’épidémie. Il s’agirait de disposer de stocks stratégiques communs de produits pharmaceutiques et médicaux et d’augmenter les capacités européennes de recherche dans le domaine des vaccins et des traitements.
Le « pacte vert » accéléré et pas ralenti
Le deuxième objectif est de renforcer la souveraineté économique et industrielle de l’Union. La dépendance des Européens vis-à-vis de pays tiers, et en particulier de la Chine pour la production de paracétamol, de masques et de respirateurs a été jugée insupportable. Paris et Berlin souhaitent donc « rapatrier » ces productions et en profiter pour mieux défendre les entreprises stratégiques.
Enfin, la crise du coronavirus, aussi douloureuse soit-elle pour le tissu économique ne doit pas faire dévier les Européens de leur objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Le « pacte vert » de la Commission, doit être « renforcé » et « accéléré » et non pas ralenti comme certains lobbys le réclament . Les plans de relance nationaux contiendront donc « des critères environnementaux pour les secteurs soutenus » ont indiqué les deux dirigeants.
La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne qui, depuis plusieurs semaines, tente d’esquisser les bases d’un accord européen et a finalement promis de faire une proposition concrète le 27 mai. Pour la plupart des protagonistes, la négociation qui s’annonce est si complexe que le format des vidéo-conférences ne pourra pas suffire : un sommet européen en juin sera probablement nécessaire.