La mort innommable de Michel Bounan

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SOURCE : Influences

Page Wikipedia

Prolifique essayiste des éditions Allia, il n’a eu de cesse d’étudier les perturbations psychiques d’une époque en prise aux désastres écologiques, sociaux et individuels.

#CultureESSAIS Extraits du Temps du sida (1990) : « La poursuite sans fin du système marchand nous entraîne vers un désastre écologique qui va ramener, plus brutalement encore, la catastrophe économique qu’on avait retardée. Certainement, le risque de soulèvement a été réduit. Des hommes vivants ont continué à fabriquer et à consommer ce qui les détruit, simultanément dans leur esprit et dans leur corps. Mais le trafic des émotions, des esprits et des consciences perturbe identiquement la physiologie des êtres vivants ; et l’épuisement du sujet enchaîné, du ‘dieu des armées’, a provoqué des maladies nouvelles, tumorales et infectieuses.
Un autre malheur est en vue, que le pessimisme d’Orwell n’avait pas osé imaginer, et contre lequel la civilisation marchande ne trouvera pas de parade..
 »

Michel Bounan était un essayiste de l’alexithymie. Cette perturbation psychique qui affecte les émotions, réduit la vie et ses envies, est emblématique selon Bounan, de la fragilisation particulière et de l’intériorisation par l’individu moderne des idées dominantes du système marchand. Les médias, la marchandisation des rapports, l’État, l’effondrement des sociétés et de la nature lui ont inspiré une dizaine d’essais tous plus abrasifs les uns que les autres et décrivant le désastre. Il écrivit également sur Céline (L’art de Céline et de son temps) qui pour lui, sous l’image du bouffon libertaire, était plus surement un propagandiste de l’ordre établi, dont l’antisémitisme digne des Protocoles des sages de Sion permettait de mieux écarter tout risque révolutionnaire. Son essaiLogique du terrorisme, et son chantage dialectique terreur-surprotection étatique, publié en 2003, choquera et sera critiqué pour son complotisme.
Sa mort sur la pointe des pieds, à l’âge de 77 ans le 11 novembre dernier, interrompt ainsi une petite voix singulière que l’on rattachera à la famille orwellienne des éditions L’Encyclopédie des nuisances. Le discret Michel Bounan, ancien homéopathe et d’un fonds de jeunesse situationniste (il correspondit de façon nourrie avec Guy Debord) forgeait ses écrits comme de séduisantes petites lames de Tolède. 
L’intégralité de son œuvre est éditée chez Allia.

L’ÉDITEUR GÉRARD BERRÉBY (ALLIA) : « IL SAVAIT RELIER LES CHOSES DE FAÇON PERTINENTE ET INATTENDUE »

Comment s’est faite la rencontre avec Michel Bounan, et comment s’est forgée cette fidélité d’auteur et d’éditeur ?
Gérard Berréby : Au cours de l’année 1989, j’ai reçu une lettre de Michel Bounan, que je ne connaissais pas, dans laquelle il me proposait de m’envoyer le manuscrit de son ouvrage Le Temps du Sida et m’en donnait les lignes directrices dans un résumé d’une grande clarté. J’ai immédiatement senti la portée de son propos, qui ne manqua pas d’ailleurs de provoquer une vive polémique à parution.

Progressivement, nous avons pris l’habitude de nous voir très régulièrement. Une heure, une fois par semaine, ce qui, durant une trentaine d’années, n’est pas négligeable. Nous avons appris à nous connaître, à nous apprivoiser je dirais, et, au-delà de nos échanges d’auteur à éditeur, nous parlions de presque tout. J’ai toujours été frappé par sa capacité à embrasser les problèmes de notre époque et à relier les choses entre elles de façon toujours pertinente et souvent inattendue. J’ai beaucoup appris auprès de lui, en partie aussi de sa longue expérience de médecin. C’était un homme disponible, à l’écoute des autres et d’une grande générosité.

Quel est votre ouvrage préféré, et quel est celui que vous conseillerez à qui veut entrer dans l’univers Bounan ?

L’éditeur Gérard Berréby, 30 années de fidélité et d’essais abrasifs avec son auteur. (photo France Culture)

Pour découvrir son œuvre et entrer dans sa manière de penser, je suggérerais La Vie innommable, dans lequel il met en rapport les aspects écologiques, sociaux et affectifs de l’organisation de notre société, et les perturbations que ceux-ci génèrent sur un plan psychique. Il dénonce la disparition du sujet, à la fois individuel et historique, et anticipe là – la première édition date de 1993 – bien des réflexions actuelles, notamment sur l’environnement. 
Recueilli par E.Lx


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