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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
La pandémie et la vague mondiale de confinements ont directement embrayé sur l’extension des crises révolutionnaires et sociales dans de nombreux pays. Outre son rôle de catalyseur d’un krach financier attendu, outre l’effet de clapet déclenché par la rupture des chaînes de production entre la Chine et le reste de l’Asie dès février et le processus de dislocation du marché mondial, les mesures brutales de «confinement» ont aussi visé à confiner les mouvements sociaux, voire à prévenir des «droits de retrait» et des refus de se mettre en danger à échelle massive, comme aux États-Unis. Tout en combattant les atteintes aux libertés publiques et individuelles commises au moyen et au prétexte des confinements, le mouvement ouvrier s’est clairement situé dans le camp de la santé publique, les «déconfineurs» dont les leaders mondiaux s’appellent Trump et Bolsonaro, dans le camp des exploiteurs.
En France et partout, les gouvernements capitalistes passent à présent à la phase «déconfinement» et «reprise de l’activité», alors que la pandémie continue et risque de s’aggraver en Amérique latine, aux États-Unis, en Inde, en Afrique. Et partout les épreuves de forces s’annoncent. Dans ce cadre, l’Inde pourrait connaître le premier grand choc.
En Inde, le clapet du confinement a été d’une extrême brutalité, parce qu’il tentait de couper court à la montée d’un affrontement national, porté par la classe ouvrière et par la jeunesse, de défense des conquêtes démocratiques nationales indiennes contre le président Narendra Modi. Comme l’explique Jacques Chastaing dans sa contribution sur l’Asie, le confinement s’est clairement appelé ici «couvre-feu» et a été décrété le 14 mars jusqu’au 14 avril, puis régulièrement prolongé depuis. Alors que la grève du 8 janvier avait largement touché la grande industrie, et que de grèves de masse embrayaient sur l’exigence de protection sanitaire parmi les employés municipaux, les instituteurs …, Modi, dans une fuite en avant tenant du coup d’État, fermait les usines dont celles que menaçait la grève, et faisait chasser des grandes villes près de 150 millions de précaires, migrants de l’intérieur, tout en fermant les transports : des milliers périrent dans cet exode. Dans certains cas, les convois de «migrants» paupérisés devinrent des sortes de manifestations marchantes, drainant avec eux paysans pauvres et ouvriers agricoles. Il fallut en consigner des millions dans des camps, «pour raisons sanitaires». A cette date, l’épidémie était faible en Inde.
Le déconfinement va de pair avec son aggravation. Le dimanche 17 mai, alors que des travailleurs précaires bloqués dans la ville de Rajkot, au Gujarat – l’État de Modi -, affrontaient en masse la police, la ministre des Finances de Modi Nirmala Sitharaman annonçait la suspension des lois sociales pour assurer la «reprise», et la privatisation des entreprises publiques dans l’aviation et dans l’énergie, ainsi qu’un programme d’«aide à l’emploi en milieu rural» pour que les migrants de l’intérieur ne retournent pas dans les grandes agglomérations. Parallèlement, les grands États gouvernés par le BJP, le Bharatiya Janata Party, ethno-nationaliste hindou, du président Modi, sont en première ligne pour que l’exploitation des travailleurs sur place évite en effet le retour de ces fameux «migrants» traités de porteurs de virus : les deux tiers du code du travail sont abrogés par ordonnance dans l’Uttar Pradesh, État le plus peuplé de l’Inde, où le temps de travail hebdomadaire peut désormais légalement atteindre 72 heures, et où les congés payés, les assurances sociales, et l’essentiel des règles de sécurité dans l’industrie, sont abrogées d’un trait de plume. Le Gujarat et le Madhya Pradesh suivent, le Karnataka baisse les salaires et augmente les heures supplémentaires. Pour autant que l’on sache, le Kérala, au Sud, gouverné de longue date par l’un des PC indiens, résiste à cette vague.
Cependant, le pouvoir de Modi et les potentats des États gouvernés par son parti sont pris dans de fortes contradictions. Directement, la résistance ouvrière monte et ce sont, cette fois-ci, les plus précaires qui, pour leur survie, n’ont pas attendu ces annonces, nous l’avons dit, pour s’engager dans une lutte âpre et violente. Les syndicats indiens, très centralisés et liés aux appareils politiques, ont appelé à une journée de grève générale demain vendredi 22 mai. La centrale liée au BJP et donc au pouvoir, s’est sentie obligée de s’en démarquer et a appelé par avance, pour se distinguer, à une journée de protestation le mercredi 20 mai, qui ne semble pas avoir été massivement suivie. L’opposition bourgeoise du Parti du Congrès crie «casse-cou». Dans les villes, la reprise peine et les 72 heures ne peuvent souvent pas être instaurées faute de commandes, de plus les salariés se réunissent pour faire savoir qu’ils ne les accepteront pas, et les plus précaires, dont il se dit qu’eux pourraient accepter, ne sont pas du tout dans cet état d’esprit : pour l’heure, ils restent à la campagne, et ceux qui sont bloqués comme à Rajkot, se battent pour pouvoir partir.
Et dimanche soir, le ministère de l’Intérieur, quelques heures après les annonces de la ministre de l’Économie, annonçait que le confinement était prolongé jusqu’au 31 mai. Comme pour éviter l’affrontement du 22 mai …
Il en résulte une situation chaotique de haut en bas : déconfinement des entreprises, couvre-feu de 19h à 7h du matin, appel à la grève générale maintenu pour le 22 mai … et aggravation de l’épidémie beaucoup plus qu’en mars !
D’une façon ou d’une autre, c’est l’affrontement central pour chasser Modi et protéger travailleurs et population qui s’inscrit en perspective rapprochée, et c’est cela qu’il faut préparer dans ce grand pays. Excellente raison de s’y intéresser pour nous-mêmes !
VP, le 21-05-2020.