Comment Merkel a roulé Macron comme Kohl avait roulé Mitterrand

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SOURCE : Marianne

Les médias sont presque unanimes à se féliciter de l’accord entre Macron et Merkel pour un fonds européen de solidarité de 500 milliards. Bien joué, Emmanuel ! Vous vous rendez compte, Macron a fait opérer à Merkel un « virage à 180° » ! Trente ans après, les Allemands nous infligent une nouvelle journée des dupes…

Un « coup de poker » ? Mais qui bluffe ? D’abord, ce n’est pour le moment qu’une proposition qui doit être validée par les autres…Ou bien les réfractaires du Nord (et l’Autriche) refusent et l’affaire est pliée puisque l’unanimité est requise ; ou bien ils l’acceptent, après de rudes négociations qui vont forcément en rabattre sur la proposition initiale, et cela voudra dire qu’il était devenu vraiment inévitable d’en passer par là… Merkel aura volé au secours de la victoire en jouant magistralement du good cop bad cop, avec deux méchants de service (la cour de Karlsruhe et les quatre pays « frugaux »). Et le Français dans le rôle de l’idiot utile pour faire bonne mesure.

IDIOT UTILE

Maîtrise des risques : le montant envisagé à ce stade est relativement modeste (4% de la dette globale et 5% du PIB de l’UE sur sept ans, des pays de l’UE). Il s’agit bien d’une « mutualisation » (restreinte) de dette, l’emprunt se fera à des taux « européens » plus avantageux que ceux des pays les plus endettés, mais la manne sera distribuée par la voie budgétaire, avec toutes les restrictions imaginables et on peut compter que leur octroi sera conditionné, par l’« application de politiques économiques saine et d’un programme de réformes ambitieux »… Et il y aura certes des contributeurs nets, qui paieront plus qu’ils ne toucheront, dont… la France probablement.

Merkel joue les chevaliers blancs, elle sauve l’Europe de la crise terminale, redore l’image de l’Allemagne et la sienne. Et, finalement, sa « concession » lui vaut un avantage diplomatique pour la suite des négociations… Tout bénéfice dans ce jeu où à tous les coups elle ramasse la mise : « pile je gagne, face tu perds ».

Décidément, ce virus se révèle germanophile. En termes de bilan, la victoire allemande tient en deux fois le chiffres 5, lit-on dans Les Échos : cinq fois moins de morts et cinq fois plus de moyens budgétaires de relance des économies : dix à zéro ! « Et merci Mme Merkel de croire encore que nous pouvons changer » ajoute l’éditorialiste éperdu de gratitude ! Il fallait bien en effet que quelque chose change pour que rien ne change…

JOURNÉE DES DUPES

Nous avons pourtant payé pour apprendre que les Teutons ne sont pas seulement puissants, riches et économes mais aussi assez retors, surtout en matière monétaire… Ils viennent de nous infliger une nouvelle journée des dupes, trente ans après : le 4 janvier 1990 en effet, François Mitterrand (dit « le Florentin ») s’était déjà fait rouler dans la farine par Helmut Kohl (« le lourdaud »), lors d’une fameuse rencontre à Latché, sur terrain adverse donc, dans cette bergerie où un renard affaibli a livré les moutons (nous) à un loup en pleine forme.

Au fait, comment dit-on « se faire couillonner » en allemand ? C’est peut-être intraduisible. 

Rappelons les faits, dont Jacques Attali a publié le verbatim. Il s’agissait pour Mitterrand d’échanger l’accord de la France à la réunification de l’Allemagne contre la monnaie unique, le futur euro. Examinons les termes de l’échange. Qui peut croire sérieusement que la réunification déjà actée par le principal intéressé de l’époque, après les Allemands eux-mêmes, à savoir l’URSS, aurait pu être longtemps compromise par un refus français ? En réalité, c’est Kohl qui rendait service à Mitterrand en lui permettant de sauver la face…

Quant au second terme, il relève de la pure mystification. Les Allemands passent pour être hostiles à une monnaie unique livrée au laxisme des pays du Sud, à commencer par la France. La suite de l’histoire allait montrer combien ils allaient bénéficier de l’euro, aux dépens justement des pays du Sud (dont la France). Il faut donc craindre une autre explication : les Allemands les plus lucides, en tout cas Helmut, n’étaient pas si hostiles à la monnaie unique, à condition qu’elle soit gérée et contrôlée comme le mark. Ce qui fut fait ! Tant sur le plan pratique (l’euro est un euromark, la BCE une Bundesbank européenne) que symbolique et « territorial » : le siège de la Banque étant établi à… Franc-fort !

DÉSAVANTAGE NATIONAL

Les Allemands allaient même s’offrir le petit plaisir de tonner périodiquement contre les initiatives du président, français ou italien, de la BCE, façon indolore de faire savoir qui commande ; tout récemment encore, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en a rajouté une couche… Dans toute négociation, il est pourtant assez élémentaire de demander l’impossible pour obtenir l’essentiel, tout en laissant les gogos croire à une « concession majeure ». Et pour ce qui est de « sauver la face », on rit encore à Francfort de la palinodie de Chirac pour obtenir un partage du premier mandat de président de la BCE entre le Néerlandais Duisenberg et le Français Trichet…

En 1990, Mitterrand a donc échangé un accord inévitable contre un… désavantage national ! On a connu succès plus éclatants : c’est lui, en fait qui aurait dû « échanger » quelque chose (d’avantageux pour la France) contre la monnaie unique ET la réunification. Trente ans après, face à une Merkel encore plus retorse que Kohl puisqu’elle lui a pris sa place, les mêmes médias, les mêmes jobards, se félicitent de l’accord et saluent l’habileté de notre président… Qui a dit que l’histoire n’enseigne rien ?

Au fait, comment dit-on « se faire couillonner » en allemand ? C’est peut-être intraduisible.


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