Les villes, enfers de la consommation

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SOURCE : Libération

La fuite de quelques happy fews dans les campagnes au moment du confinement augure-t’elle de nouveaux modes de vie appelés à se généraliser ? C’est un possible signal d’une consommation arrivée à un tournant de son histoire. Une histoire haletante racontée par Anthony Galluzzo.

Le Covid a bon dos. Les associations de commerçants en Europe s’affolent du peu d’entrain que mettent les consommateurs à revenir dans les boutiques. Les restaurants restés ouverts en Suisse ou en Suède font grise mine et attendent les convives. En espérant que le virus disparaisse dans l’été, comme cela semble s’annoncer…

Pourtant, le futur n’est pas écrit. Anthony Galluzzo (université de Saint-Etienne) publie une enquête passionnante[1] sur le passage de sociétés autarciques paysannes en sociétés urbaines frénétiques du commerce, compulsives à l’achat de biens de consommation dont elles constatent, au fil du temps, la vacuité.

Paris transformé par Haussmann en un gigantesque centre commercial.

La crise environnementale provoquée par une surexploitation de la planète a atteint son acmé ce printemps 2020 et nombreux sont ceux qui ont pris conscience que, désormais, il fallait changer le logiciel. La croissance à tout prix, la consommation, il n’y a plus que les politiques qui usent de telles incantations pour conjurer l’angoisse d’un avenir non écrit. L’histoire de la société marchande témoigne d’un emballement de l’économie matérielle avec le fétichisme de la marchandise au XIXe siècle. Cette histoire est-elle en train de se refermer ?

Des centres-villes sinistrés par l’hypercommerce.

La transformation écologique des villes que beaucoup d’élus appellent de leurs vœux pendant la campagne des municipales, est-ce le rejet des villes tournées vers le consumérisme ? Des rues piétonnes ou non, des gares, des places transformées en zones commerciales ? Ce que Galluzzo appelle la «spectacularisation de la marchandise» avec l’invention des grands magasins et du shopping a-t-il un avenir ? Nul ne le sait, même si les industriels, perfusés par l’État providence veillant à «éviter l’effondrement de l’économie», veulent le croire. Nées avec la prolifération des images dans le quotidien, les marchandises ont modifié les mentalités, tenant les consommateurs dans un rêve éveillé d’ordre communautaire, dissolvant la famille traditionnelle au profit des tribus qui organisent toute la vie des individus. Jusqu’aux loisirs marchandisés, jusqu’à l’école, la santé, le sport, jusqu’au plus intime humain comme le désir, la matrice consommatoire broie les collectifs comme les individus et les ramène à l’acte de consommation.

«Les 4 Temps» à la Défense (Paris). Pour tenir le rêve éveillé…

Anthony Galluzzo montre bien comment une nouvelle ingénierie sociale a légitimé l’ordre marchand, «conduit les foules» dont Gustave Le Bon attestait de leur impuissance. Une thèse contredite par Gabriel Tarde qui préfère parler de «public». Quelles sont les racines de la défiance actuelle, sinon dans le travail considérable d’investigation des consommateurs eux-même sur la propagande contestée sur les réseaux sociaux ?

L’ingénierie symbolique de la société de consommation est peut-être à bout de souffle. L’hypnose de masse n’est-elle plus qu’un fantasme? La publicité, une vaine distraction? Pas si vite. Les médias ont un gigantesque pouvoir qui peut être contrôlé par des multinationales de l’industrie. Les patrons de presse sont aussi des industriels avides de conquérir des consommateurs : les grands médias de masse en France sont tenus par Bernard Arnault (luxe), Xavier Niel (téléphonie) et autres milliardaires discrets.

LES JEUNES APRÈS LES FEMMES

L’épisode du confinement printanier dans l’espace domestique va donner lieu à des enquêtes sur la transformation progressive des espaces privatifs en lieux de travail. Après les familles comme «unités sentimentales» dont la mère est la consommatrice en chef, Anthony Galluzzo attribue un rôle capital aux enfants, «preuves et boussoles du bonheur familial». Il situe la fringale consommatrice dans l’histoire de l’anticonformisme né des cultures «jeunes» aux Etats-Unis, des luttes contre la répression et «la recherche de soi» portée par l’Ecole de Francfort. «Fortifiant économique», l’anticonformisme serait la voie ouverte vers l’hyperconsommation dont Amazon est le canal idéal.

L’entrepôt d’Amazon à Saran (Loiret)

Après avoir détruit les centres-villes par les hideuses ceintures commerciales, les élus locaux rêvent de villes plus avenantes, moins frénétiques. Il n’est pas impossible que s’ouvre après le Covid un nouveau chapitre de l’urbanisme. Les élus sont-ils prêts à fermer la parenthèse de l’hyperconsommation ? Qu’ils sachent que les humeurs des individus d’aujourd’hui sont moins contrôlables qu’auparavant et qu’ils risquent, avec les circuits courts, d’affaiblir les modèles de masse. A moins que des régimes autoritaires installent de nouvelles pratiques. La facilité avec laquelle les Etats ont confiné la moitié de l’humanité chez elle pendant deux mois n’augure rien de bon.

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[1] La fabrique du consommateur. Une histoire de la société marchande (Zones-La Découverte).

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