LE JOUR D’APRÈS A COMMENCÉ

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SOURCE : ACTA

La journée d’hier est de celles qui peuvent marquer le coup d’envoi d’une nouvelle séquence politique. Par sa mobilisation : massive – au moins 30 000 personnes, probablement plus. Par sa composition : une majorité de personnes non blanches, ce qui ne s’était sans doute plus vu à Paris depuis les émeutes pour Gaza en 2014. Par sa détermination : offensive et conflictuelle. 

La journée d’hier a aussi été une humiliation à grande échelle pour l’État, le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris. Le préfet Lallement, coutumier du fait, avait choisi une stratégie de provocation délibérée en annonçant l’interdiction du rassemblement dans l’après-midi, quelques heures seulement, donc, avant son début. Et en envoyant sa police faire irruption au domicile d’Assa Traoré, dans une tentative honteuse – bien que vaine – d’intimidation du mouvement dont elle est, depuis plusieurs années, la porte-parole. Sans doute pensait-il ainsi légitimer par avance la répression du rassemblement et préparer le terrain à la persécution judiciaire des émeutiers.

En effet, dès 17 heures, d’innombrables fourgons, camions, canons à eau, patrouilles et unités mobiles se positionnaient tout autour du Tribunal afin de faire respecter l’interdiction fraîchement décrétée. Mais à mesure qu’approchait l’heure du rassemblement, une foule de plus en plus impressionnante arrivait de toute part en direction du parvis. À tel point qu’il était impossible de distinguer même la tribune.

Le jour d'après a commencé

La police, impuissante face à une telle mobilisation, a été contrainte de laisser le rassemblement se tenir. C’est ce qui s’appelle : exercer un contre-pouvoir. Lallement a dû, pour une fois, ravaler sa morgue et son arrogance. Bientôt c’est tout le secteur de la porte de Clichy jusqu’au périphérique qui était investi par une marée humaine extrêmement dense, débordant sur le boulevard Berthier et celui des Maréchaux.

Le jour d'après a commencé
Photo AFP

Parmi la foule, on remarquait de nombreux jeunes, voire très jeunes, issus de quartiers populaires. On n’avait, de toute évidence, pas affaire aux habitués du mouvement social, mais à une jeunesse populaire mobilisée à la fois par l’acharnement interminable contre la famille Traoré et l’impunité dont bénéficient les responsables de son meurtre, aussi bien que par l’écho puissant de l’insurrection en cours outre-atlantique. Les pancartes #BlackLivesMatter étaient d’ailleurs omniprésentes, tout comme les slogans réclamant #JusticePourAdama et #JusticeForGeorgeFloyd.

Le jour d'après a commencé

Alors que le rassemblement grossissait d’heure en heure, la nouvelle tombait des derniers résultats de l’expertise indépendante sur les causes du décès d’Adama, confirmant « l’asphyxie positionnelle par plaquage ventral » – thèse défendue depuis le départ par la famille Traoré, mais remise en cause à deux reprises dans les comptes-rendus des « experts » embauchés par la justice qui ont chaque fois innocenté les policiers. De la même manière, il aura fallu une deuxième expertise pour établir que la mort de George Floyd ne résultait pas d’une pathologie antérieure à son interpellation, mais bien d’une asphyxie suite à son immobilisation par 4 flics dont un lui maintenait la tête à terre avec son genou.

La violence policière est une production rationnelle structurée par des rapports de force économiques, politiques et sociaux, dont l’État assure la régulation technique. Elle est au centre d’une mécanique de gouvernement des indésirables et des misérables, des damnés et des insoumis.

Mathieu Rigouste, La domination policière

Si ces crimes sont si semblables, c’est qu’ils s’inscrivent dans une histoire commune : celle du racisme qui constitue l’un des socles sur lesquels se sont établies les institutions occidentales. Mais cette histoire de crimes est aussi une histoire de luttes : et c’est aux cris de Tout le monde déteste la police !, et de Révolution ! Révolution ! qu’a débuté le rassemblement devant le tribunal de Paris.

ACTA@actazone

“Tout le monde déteste la police !”

La foule est de plus en plus compacte.

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ACTA@actazone

🔥 La foule scande “Révolution ! Révolution !” 🔥

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Le monde syndical était aussi présent, dans la continuité des alliances antiracistes qui se construisent depuis plusieurs années. Les personnels hospitaliers ont également exprimé leur soutien, soulignant des liens forts pour les luttes à venir, autour des atteintes différenciées du libéralisme autoritaire sur les corps. Parmi les personnalités du monde artistique, on remarquait la présence d’Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Aissa Maïga, Mokobé, ou encore des rappeurs Sadek et Gradur, tandis qu’Omar Sy et Aya Nakamura notamment avaient relayé l’événement sur les réseaux sociaux. À la tribune Camélia Jordana a pris le micro pour interpréter une chanson.

Le jour d'après a commencé

Une fois les prises de parole terminées, la détermination palpable de la foule rassemblée a trouvé à s’exprimer dans l’affrontement avec la police et l’investissement conflictuel de la métropole.

Un premier mouvement spontané agrège plusieurs groupes qui partent en direction du périphérique, y bloquant la circulation.

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Des fumigènes sont craqués, l’ambiance est festive : danses, chants, sourires – la joie de (re)faire l’expérience d’une puissance collective, après de longues semaines de confinement et d’isolement. Très vite, des feux sont allumés, dont un, particulièrement impressionnant, juste en-dessous du pont.

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Se redirigeant vers la Porte de Clichy, les manifestants subissent une première série de gazages, puis un point de fixation se crée au niveau du carrefour.

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La foule est alors répartie de tous les côtés : sur l’avenue de Clichy, les gens se rassemblent autour d’une barricade enflammée, tandis que d’autres chargent la police à plusieurs reprises depuis le Boulevard des Maréchaux.

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Un intermarché voit ses vitres brisées, de même que le Burger King qui jouxte l’entrée du métro.

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Au même moment, de nombreux cortèges sauvages parviennent à se former, suivant des trajets multiples. L’un a déambulé dans le quartier de la Mairie à Clichy, visitant le commissariat de la police municipale rue Martre, qui a vu ses vitrines éclatées.

Plusieurs se sont orientés vers le 18ème arrondissement, allant jusqu’à Marx Dormoy, puis La Chapelle, l’un se dispersant aux alentours de 23h vers la Gare du Nord. D’autres encore ont traversé le Parc Martin Luther-King jusqu’au Pont Cardinet. Des groupes ont ensuite réussi à se réagréger pour défiler entre La Fourche et Place de Clichy, où ils ont été accueillis par un dispositif conséquent, les contraignant à la dispersion. Bref, c’est tout le Nord de Paris qui a été, durant trois heures, investi par une colère populaire que la police a été, cette fois-ci, incapable d’étouffer.

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Quelques jours après une manifestation déterminée en soutien aux sans-papiers, au lendemain du rassemblement pour Gabriel, cet adolescent de 14 ans tabassé par les flics à Bondy, et dans le contexte des émeutes qui ébranlent les États-Unis depuis près d’une semaine avec une ampleur et une extension géographique jamais vues depuis des décennies, il est clair que les thématiques mêlées du racisme et des violences d’État constituent un noeud essentiel de la reprise de la conflictualité sociale à laquelle nous assistons – noeud qui croise bien sûr celui de la précarité et des inégalités de classe, les populations racisées des périphéries métropolitaines ayant été, aux États-Unis comme en France, les plus exposées à la crise sanitaire et les plus vulnérables face à la crise économique qui vient.

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Les Brigades de Solidarité Populaire étaient présentes hier au rassemblement

Il n’aura finalement fallu que quelques jours à peine pour que, le confinement allégé, la lutte reprenne ses droits, et impose ses formes d’action et d’expression.

L’onde de choc est mondiale. À nous d’oeuvrer à ce que la journée d’hier ne soit pas qu’un éclat sans lendemain mais le point de départ d’une nouvelle séquence d’auto-organisation populaire face au racisme systémique et à la répression d’État, aussi bien que l’occasion d’un approfondissement de nos alliances politiques et de la construction d’un camp révolutionnaire autour de celles-ci. L’articulation avec la date du 16 juin en soutien aux soignant-e-s de l’élan politique qui s’est exprimé hier apparaît de ce point de vue comme un enjeu important.

De Minneapolis à Paris, Make Racists Afraid Again !

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