État espagnol : chronique d’une crise de régime orpheline de dénouement

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SOURCE : NPA

Depuis la crise de 2008, et la secousse indignée des places et l’émergence des « marées » contestataires de l’austérité à l’hôpital et dans l’Éducation en 2011, le régime monarchique parlementaire souffre d’un terrible discrédit. Il s’ensuit une incapacité structurelle à surmonter l’effondrement de la formule « magique » d’un bipartisme PP-PSOE voulant assurer la reproduction sans heurt du système.

Une gauche gouvernementale louvoyante mais finissant par se raidir face à une offensive frontale des droites extrémisées

Les récents événements n’arrangent rien : l’avènement, pour la première fois depuis 1939, d’un gouvernement de coalition dit « de gauche », loin de constituer une réponse d’alternative à cette crise, l’approfondit. Prisonniers – chacun à sa manière – de leur attachement aux mécanismes institutionnels en place, le PSOE comme Podemos naviguent à vue. Leur objectif commun : tenter de résoudre la quadrature du cercle d’une absence de majorité parlementaire adossée à une politique instillant juste ce qu’il faut pour espérer satisfaire à gauche (hausse du salaire minimum, revenu minimum garanti) sans toucher aux fondamentaux d’un capitalisme agressif (faible fiscalité sur les sociétés, salaires et revenus toujours en-deçà de ce qu’ils sont dans le reste de l’Europe, massive précarité et fort chômage, unité monarchique de l’Espagne chère aux droites les plus extrêmes comme aux élites économiques, chasse aux migrantEs, gestion de la pandémie par une dépossession de l’essentiel du pouvoir des Autonomies).

Désormais, malgré de larges plages de consensus maintenues par le PSOE avec le bloc élitaire et les secteurs les plus franquisés de la justice et de la police, nous assistons à une offensive virulente de ces derniers pour gérer directement les affaires du pays en profitant de l’émergence d’une extrême droite ouvertement pro-franquiste (Vox). Et cela en se servant de l’épouvantail constitué par un Podemos ayant pourtant fait allégeance à la monarchie et gigotant quelque peu en faveur de la libération des prisonniers politiques catalans mais faisant vite profil bas quand maître Sánchez décide que l’on ne joue plus. Le fond du problème reste, sans surprise, la Catalogne qui, défaite après les événements de 2017, n’a pas rendu les armes (ou, si l’on préfère, reste l’arme au pied). Avec – péché impardonnable pour les fanatiques de l’Espagne une et éternelle – l’obligation qu’ont les gauches gouvernementales de chercher leur majorité introuvable du côté des… indépendantistes catalans et même basques.

Ceux qui, parmi les premiers (ERC), acceptent le deal de négociations avec le gouvernement de Madrid sur les droits nationaux de la Catalogne, ont beau s’être embarqués dans un processus sans avenir sur le droit d’autodétermination et – en divisant le front indépendantiste – se prêter de façon bien pataude aux manœuvres du “sanchisme” cherchant à rester au pouvoir en jouant des contradictions des uns et des autres sans franchir aucune ligne rouge, pour les fous furieux de l’espagnolisme un tabou a sauté : se rapprocher des indépendantistes catalans, même si c’est pour les instrumentaliser en faveur du système, c’est trahir ! Sánchez (et Iglesias) se voit, en toute injustice, accusé de “révolutionner” les fondamentaux de la belle Espagne. Il doit donc tomber.

Le rapport de la Garde Civile sur la manif féministe du 8 mars. Rapport en espagnol se dit « informe », ce qui est traité en jeu de mots ici avec « deforme » (déforme, déformation). Allusion au tissu de contrevérités contenues dans ce document. 8M est la façon espagnole de désigner les événements à partir de la date où ils se sont produits : 8M = 8 mars = manif féministe du 8 mars.

La Garde Civile, bras politique des droites

Comme on le lira ci-dessous, c’est, avec une charge symbolique que chacunE appréciera, la haute hiérarchie de la Garde Civile – plus que jamais la Benemérita (Valeureuse et Méritante) chérie du franquisme – qui mène en ce moment la fronde : elle vient de produire un rapport (commandé par une juge d’extrême droite et fourmillant de fake news ou déformations de témoignages) accusant le gouvernement d’être responsable du développement du Coronavirus et des morts qu’il a provoquées par l’autorisation donnée à la tenue de la manifestation féministe du 8 mars (le féminisme, qui s’est gagné une audience de masse, est une bête noire de l’Église et des ultra catholiques). Deux cerises sur le gâteau de cette offensive : la demande de la juge que ce rapport reste secret jusqu’à l’éventuelle mise en examen de membres du gouvernement (raté, il a fuité !) et la personnalité du haut responsable de la Garde Civile en charge de cette enquête, le colonel Diego Pérez de los Cobos. En effet celui-ci – ancien du parti fasciste Fuerza Nueva qui avait offert ses services lors du putsch du 21 février 1981 (prise en otage des congressistes) et membre de l’Opus Dei (dont on sait la place qu’il a occupée sous le franquisme) – a été, pour couronner le tout, la pièce maîtresse du témoignage à charge de la façon la plus grossière contre les accuséEs indépendantistes catalanEs du maxiprocès de l’an passé. Parcours « sans faute » jusqu’à ce jour, avalisé et cautionné par le PSOE… Aujourd’hui, le Ministre de l’Intérieur – au passé de proximité avec le PP et peu regardant sur les accusations de tortures policières à l’encontre d’accusés basques dans les affaires qu’il instruisait mais, allez savoir pourquoi, s’étant rapproché des socialistes – a relevé ledit grand officier de la Garde Civile de ses fonctions à la tête du secteur clé de Madrid. À droite et à l’extrême droite, la rage atteint des sommets… et des membres de la hiérarchie de la Garde Civile ont donné leur démission en signe de solidarité avec leur camarade. Voilà où en est le fétide microcosme politique, judiciaire et policier mais aussi médiatique de l’Espagne…

De l’urgence de construire une alternative populaire à cette bataille entre pro-système

La « chance » des acteurs de ce méchant théâtre à rebondissements chaotiques est qu’il n’existe, dans l’immédiat, après la mutation accélérée de Podemos en parti de régime, aucune force politique en mesure de servir d’adjuvant – voire de catalyseur – à une re-mobilisation populaire, elle-même incertaine. Mais quelques signes pourraient présager d’une forte et intempestive irruption de la révolte contre les liquidations d’entreprises d’importance – comme celle de Nissan à Barcelone avec 3000 suppressions d’emplois et 20 000 supplémentaires induites dans les autres entreprises du secteur1) – ou les licenciements massifs annoncés comme conséquences de la paralysie pandémique de l’économie. Il en est ainsi par exemple dans l’usine de la multinationale de l’aluminium Alcoa à Lugo en Galice (suppression de 534 postes de travail), pesant 30% du PIB de la province2. Les personnels de la santé aussi sont en train d’engager de fortes mobilisations. À suivre.


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