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SOURCE : Lundi matin
Benjamin, les surréalistes et la révolution – Par Dietrich Hoss
À partir des quelques expressions (« I can’t breathe »), sloguans (« Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalit était le problème ») et autres mots d’ordres (« Bloquons tout ») qui façonnent le présent et les luttes en cours, Dietrich Hoss déduit que ces derniers manifestent un certain sens du pessimisme. D’après lui, cette nouvelle sagesse de l’époque entre en écho avec la formule de Walter Benjamin selon laquelle il fallait faire de « l’organisation du pessimisme l’exigence du jour ». Dans cet article, Hoss cherche donc à déterrer l’origine de cette formule, dans le corpus et les influences du mouvement surréaliste. L’enjeu est de construire une autre image de la révolution et des luttes en cours : « déserter la lutte séculaire pour le pouvoir en faveur d’une action de démontage de son assise matérielle et immatérielle, dans les institutions et dans les têtes, pour une réorganisation de la vie en commun, d’en bas ».
Ces réflexions ont été écrites et terminées avant l’éclat de fureur de l’autre côté de l’Atlantique fin mai. Elles ne sont pas rendues superflues, mais trouvent au contraire, je pense, une certaine confirmation et concrétisation par cette fracassante inauguration d’un nouveau cycle de luttes en Amérique, qui commence à avoir un écho en France sous le dénominateur commun : « We can’t breathe ». « Nous ne pouvons pas respirer » dans un monde dont le racisme est indissociable.
Pendant le temps du confinement est apparu un genre de réaction psychopathique connue sous le nom de la « tétanie », c’est-à-dire une crise d’angoisse « apocalyptique », « se manifestant par des contractures et des crampes musculaires diffuses (face, doigts, pieds) de durée variable, accompagnées de douleurs, de fourmillement ; une angoisse importante ; une fatigue intense ; une sensation de mort imminente, de douleurs thoraciques constrictives, de palpitations, de difficultés à déglutir ou à parler, d’étouffement, de vision floue, de vertige, de maux de tête, de bourdonnement et sifflements d’oreilles (acouphènes) ; une impression de boule dans la gorge, de difficultés respiratoires… La situation paraît irréelle : la personne a l’impression de ne pas être là, d’être ‘détachée’ d’elle-même… » [1] Le Samu avait souvent du mal à distinguer une telle attaque de panique nerveuse des symptômes véritables de la maladie du Covid-19 chez le patient qui demandait de l’aide. Cette réaction à un danger invisible semble assez compréhensible vu l’ambiance créée par le confinement et son accompagnement politique et médiatique accablant.
Mais au fur et à mesure que s’approche le « temps d’après » il se produit un risque d’angoisse qui pourrait s’avérer aussi tétanisant, car bloquant nos facultés élémentaires de réflexion et d’action. La tendance vers un prolongement de l’encadrement de nos sociétés, étouffant et mortifère, bien au-delà de ce que nous avons connu jusqu’à maintenant, c’est-à-dire un retour à la normale, mais en pire, est évident. Dans Lundimatin Agamben nous met en garde contre une pérennisation d’un état d’urgence perfectionné, illimité et Sanguinetti annonce l’arrivée du règne d’un « despotisme occidental » sans bornes. D’autres parlent d’un possible partage du contrôle sur le monde entre Chine et Amerique selon le modèle de la Guerre froide, sous l’étiquette « Chinamérique » et ainsi de suite. Bien sûr aussi pas mal d’amis, plus ou moins proches, sont assez pessimistes à propos des perspectives de « l’après ». Les uns à cause des structures de pouvoir renforcées, les autres avec peu d’espoir dans une reprise des luttes commencées avant l’arrivée du virus.
Pourtant il y a quelques temps, on parlait déjà de la nécessité d’ « organiser le pessimisme », de ne pas persévérer dans une attitude passive, résignés face au désastre annoncé, mais de rendre le pessimisme productif, de le transformer en un levier puissant de mobilisation des forces révolutionnaires.
Comme cette formule de l’ « organisation du pessimisme », attribuée en général à Walter Benjamin, a été souvent utilisée d’une façon peu claire, stéréotypique ou réductrice, il me semble nécessaire et urgent de récapituler ses origines et sa portée historique pour se rendre compte de sa pertinence primordiale dans le contexte actuel. Ce qui n’est pas une mince affaire.
Walter Benjamin, a recours à cette formule dans un article clé pour sa démarche, intitulé « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », de 1929. Mais il y indique qu’il l’avait trouvée dans un texte de Pierre Naville qui aurait fait à juste titre de « l’organisation du pessimisme, l’exigence du jour ». [2]Alors il faut commencer avec le texte de Naville pour comprendre de quoi il s’agit. Le texte, où se trouve cette citation, a comme titre Mieux et moins bien et est paru dans la revue La Révolution Surréaliste Nos.9-10 d’octobre 1927. C’était l’époque du commencement fulgurant du mouvement. Né dans le milieu artistique, il a fait un saut vertigineux pour sortir du ghetto de l’art et « gagner à la révolution les forces de l’ivresse ». [3] La poésie, dans son sens authentique, large, de créativité « sauvage » humaine, était considérée comme arme à faire sauter les carcans d’une société en train de se reconstituer sur les mêmes bases qui avaient conduit aux hécatombes de la boucherie de la Grande Guerre. Le texte de Naville s’insère dans cette veine. Dans sa forme il est plus un texte « automatique », écrit d’un trait, plein d’associations, qu’une réflexion discursive. Rétrospectivement Naville dira, dans l’Introduction de la réédition de ses textes de l’époque : « …j’écoute encore ce mystérieux rappel et vois revenir le temps où je proférais naïvement des oracles. Le son de ces phrases, je leur trouve une sorte de violence prophétique, qui n’était pas dans mon activité pratique… » [4] C’était l’époque où Naville s’était lancé dans l’activité plutôt prosaïque de la publication de la revue « Clarté », porte-parole de l’opposition de gauche russe en France, un rapprochement qu’il avait défendu dans une brochure intitulée La Révolution et les intellectuels, écrite dans un style plutôt conventionnel de militant politique. [5] Pourtant aussi dans cette brochure il cite un « certain état de fureur » comme base commune du groupe : « Les membres soussignés de La Révolution Surréaliste, réunis le 2 avril 1925, dans le but de déterminer lequel des deux principes, surréaliste ou révolutionnaire, était le plus susceptible de diriger leur action, sans arriver à une entente sur ce sujet, se sont mis d’accord sur les points suivants :
1er Qu’avant toute préoccupation surréaliste ou révolutionnaire, ce que domine dans leur esprit est un certain état de fureur.
2e Ils pensent que c’est sur le chemin de cette fureur qu’ils sont le plus susceptibles d’atteindre ce qu’on pourrait appeler l’illumination surréaliste.
3e Qu’un des premiers buts à atteindre est l’élucidation des quelques points auxquels devrait s’attaquer plus particulièrement cette fureur. » [6]
C’est dans Mieux et moins bien qu’on retrouve la virulence de cette fureur :
« Désespérons :
…L’absence de désir, c’est la condition de tous ceux dont les désirs ne s’affirment pas hautement placés, dans l’amour, dans le crime, ou dans les formes les plus aiguës et les plus profondes de la révolution sociale… L’absence de désir s’abîme dans une expression de veulerie respectable où ne s’affirme plus, seul maître, seul dévastateur, seul mirage, seule réalité pour faux prophètes et les académiciens du farniente, que le désir de l’absence. » Mais le pessimisme des désespérés est autre chose : « Car il faut compter avec la nature des esprits, et retenir que seuls les esprits généreusement ou même maniaquement appliqués à leur objet, disions-nous, c’est-à-dire ceux qui fonctionnent sans crainte ni barrière, attachés à la perpétuelle diversion, aux retours de flamme de la critique, au raz de marée de l’imagination, aux patientes et infimes découvertes, aux jeux d’ascenseur de la sensibilité, sont en mesure de réaliser la richesse d’un véritable pessimisme. Le vague à l’âme, la faiblesse de tempérament, la fantaisie, le dépit sont hors de cause. Nous parlons du sens humain, c’est-à-dire, somme toute, vivant de la désertion et de la perdition. Car hors de là, il est certain que sous le vernis facilement écaillé d’une béatitude odieuse et générale s’alourdie aussi la pestilente matière du désespoir social. Mais nous ne parlons pas de ce désespoir social objectivement perçu. Nous parlons des raisons que peut se donner tout homme conscient de ne pas se confier, surtout moralement, à ses contemporains, ne pas attendre la lumière de leur obscurité naturelle… C’est-à-dire que ce même pessimisme permettra la recherche de moyens extrêmes pour échapper aux nullités et aux déconvenues d’une époque de compromis, comme le sont presque toutes les époques… Mais de toute façon, pour pouvoir continuer la discussion, il faut rejeter nettement ces deux apparences du pessimisme : contemplation ou scepticisme…
L’organisation du pessimisme est vraiment un des ‘mots d’ordre’ les plus étranges auquel puisse obéir un homme conscient… Eh ! que nous importent de soudaines loques, de brusques désistements, des cadavres que nous ne regardons même pas se putréfier ! Tant qu’un seul homme sera capable de penser et de vivre selon ce pessimisme vivant dressé comme la voile de tous les vents et de tous les orages, les autres ne seront à son regard que ces cadavres. » [7]
C’est dans cette perspective que Benjamin rejoint Naville. Benjamin résume le programme des partis bourgeois (la social-démocratie inclus) à cela : « Un mauvais poème de printemps. Bourré de comparaisons à craquer. Pour le socialiste, ‘l’avenir meilleur de nos enfants et de nos petits-enfants’, c’est que tous se conduisent ‘comme s’ils étaient des anges’, que chacun possède ‘comme s’il était riche’, que chacun vive ‘comme s’il était libre’. D’anges, de richesse, de liberté, aucune trace. Rien que des images. Et le stock d’images de ce club de poètes de la social-démocratie ? Leur gradus ad parnassum ? L’optimisme. » Alors il considère le mot d’ordre de Naville comme la réponse correcte : « …pessimisme sur toute la ligne. Oui certes, et totalement. Méfiance quant au destin de la littérature, méfiance quant au destin de la liberté, méfiance quant au destin de l’homme européen, mais surtout trois fois méfiance à l’égard de toute entente : entre classes, entre peuples, entre individus. Et confiance illimitée seulement dans l’I.G.Farben [holding principal de la chimie allemande de l’époque], et dans le perfectionnement pacifique de la Luftwaffe [armée de l’air allemande]. Mais quoi maintenant, quoi ensuite ? » [8]
Pour répondre à cette dernière question il renvoie à une réflexion d’Aragon, compagnon surréaliste de Naville à l’époque, dans son Traité du style de 1928 où celui-ci réclame une distinction entre comparaison et image. Pour mieux comprendre la piste envisagée par Benjamin voici les passages du livre d’Aragon auxquels il se réfère, d’ailleurs aussi un document de l’état de la fureur du groupe : « Voilà le fondement de l’idée de nouveauté poétique, de laquelle on a mené récemment, et à juste titre, grand bruit. Les voisins se sont plaints : ce sont des emmerdeurs, cela ne nous fera pas retourner aux métaphores usées, chausser les pantoufles de l’habitude, nous voulons entendre parler un langage de catapulte, à crouler les plafonds, à décorner les bœufs. La poésie est par essence orageuse, et chaque image doit produire un cataclysme. Il faut que ça brûle ! Ouate thermogène du poème. La moutarde au nez. Ne couper jamais d’eau votre pétrole, malheureux. Que ça flambe !… Ne pas confondre poésie et routine, poésie et gâtisme, ne pas confondre image et comparaison. » [9]
« Heureuse réflexion stylistique, dit Benjamin à propos de cette exigence, qui demande à être élargie. Elargissons : nulle part ces deux choses –la comparaison et l’image- ne se heurtent d’une manière aussi drastique et irréconciliable que dans la politique. Car organiser le pessimisme ne signifie rien d’autre qu’exclure de la politique la métaphore morale, et découvrir dans l’action politique un espace à cent pour cent tenu par l’image. Mais cet espace d’images ne peut plus être exploré sur le mode de la contemplation. Si la double tâche des intellectuels révolutionnaires est de renverser la domination intellectuelle de la bourgeoisie et d’entrer en communication avec les masses prolétariennes, ils ont presque entièrement échoué dans la deuxième partie de ce programme, dont il n’est plus possible de venir à bout sur le plan contemplatif. » Il ne faut pas se tromper sur la visée de cette nouvelle orientation : « …il s’agit beaucoup moins de transformer l’artiste d’origine bourgeoise en maître de l’ ’art prolétarien’ que de le faire fonctionner, fût-ce aux dépens de son efficacité artistique, en des endroits importants de cet espace d’images. Ne pourrait-on aller jusqu’à dire que l’interruption de sa ’carrière artistique’ représente une part essentielle de ce fonctionnement ? » [10]
Ce passage, comme toute la fin de l’article de Benjamin sur le surréalisme, particulièrement énigmatique, hermétique, a besoin d’être décortiqué, mis dans le contexte de l’évolution de sa pensée à partir de sa rencontre avec les surréalistes. L’organisation du pessimisme, dans l’entendement de Benjamin, commence avec un changement de l’angle d’attaque : à la place d’une posture moralisante, il faut entrer en action pour faire éclater le fonctionnement politique de la domination par l’image. Chez Benjamin émerge déjà une perspective qui trouvera de décennies plus tard son développement sous les concepts de l’ « industrie culturelle » (Horkheimer/Adorno) et de la « société du spectacle »(Debord). Lui appelle ce mécanisme de mystification de la réalité l’ « espace à cent pour cent tenu par l’image. » C’est un espace bourré d’images. Les « mauvais poèmes de printemps » que Benjamin avait ridiculisés auparavant en n’étaient qu’un exemple sous-développé, relativement facile à déchiffrer, en comparaison avec l’avalanche sophistiquée, de sons et lumières, qui viendra dans l’après-guerre. Pour Benjamin : « L’image [dans l’espace à cent pour cent tenu par l’image] est dans un mot, la brillance, avec laquelle la société productrice de marchandise s’entoure elle-même. Sa fonction est de canaliser les énergies désirantes de tout le monde dans le sens des besoins sociaux et d’enchainer ainsi l’imagination productrice d’images à la chaine des significations sociales. » [11]Un mécanisme d’encadrement des esprits qui dominera nos sociétés jusqu’à nos jours.
Alors pour Benjamin, l’artiste en sortant de son rôle, de sa « carrière artistique » contemplative, doit intervenir dans l’espace d’images pour y introduire « la nature corporelle de la collectivité », comme il explique à la suite dans son article : « Lorsque le corps et l’espace d’images s’interpénétreront en elle [dans l’ « illumination profane » [12]] si profondément que toute tension révolutionnaire se transformera en innervation du corps collectif, toute innervation corporelle de la collectivité en décharge révolutionnaire, alors seulement la réalité sera parvenue à cet autodépassement qu’appelle le Manifeste communiste. » [13]
Plus tard Benjamin associera « l’illumination profane » à la production d’ « images dialectiques ». C’est l’époque de la préparation de l’œuvre qu’il pensait devenir l’œuvre de sa vie, avec comme titre de travail « L’œuvre des passages ». Inspiré par l’évocation des passages de Paris dans Le paysan de Paris d’Aragon, il s’était mis à la recherche de traces du « maintenant » dans les rêves plus ou moins enfouis dans les vestiges littéraires, architecturaux, idéologiques du XIXe siècle, guidé par l’aphorisme de Marx (dans une lettre de 1843) : « Notre devise doit […] être : réforme de la conscience non par des dogmes, mais par l’analyse de la conscience mystique, à elle-même obscure, qu’elle se manifeste en termes religieux ou politique. Il s’avérera ensuite que le monde possède depuis longtemps le rêve d’une chose dont il doit seulement posséder la conscience pour la posséder réellement. » [14]
On pourrait dire sous cet angle que la fin de la préhistoire de l’humanité qui dure selon Marx jusqu’à nos jours, car elle est faite toujours sans maîtrise consciente de son cours par les hommes, c’est un éveil de l’état de sommeil dans lequel l’humanité a vécu jusqu’à maintenant. C’est à cet éveil que Benjamin cherche à contribuer avec ses fouilles. Un seul fragment de ce grand projet a pu être mis en forme par lui-même, le texte Paris, capitale du XIXesiècle. Exposé. Mais des notes et extraits préparatifs, collectionnés dans une série de liasses volumineuses ont été en grande partie sauvés et partiellement publiés, capable encore de réactions en chaîne d’illuminations profanes chez le lecteur par l’évocation des images dialectiques dans le sens benjaminien : « Dans l’image dialectique, l’autrefois d’une époque déterminé est simultanément ‘ce-qui-fut-de-tout-temps’ ». Mais comme tel, il ne se montre à chaque fois qu’au regard d’une époque tout à fait déterminée : celle où l’humanité, se frottant les yeux, reconnaît cette image onirique précisément comme telle. C’est à cet instant que l’historien, sur elle, assume la tâche de l’interprétation du rêve. » [15]
C’est une image d’une force évocatrice particulière, conclusion de tout ce travail immense, qui concentre à elle seule la leçon du pessimisme révolutionnaire de Benjamin, plus actuel que jamais : « Marx a dit que les révolutions sont les locomotives de l’histoire mondiale. Il se peut, par contre, que les choses se présentent tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans ce train tire le frein d’urgence. » [16]
Il s’agit d’une note préparatoire pour ses « Thèses sur le concept de l’histoire » qui avaient tant de valeur pour Benjamin qu’on suppose que c’était leur manuscrit qu’il portait dans une grosse sacoche noire lourde dont il ne voulait à aucun prix se séparer pendant sa fuite sur les Pyrénées qui prendra fin avec son suicide.
L’image du frein d’urgence est une mise en forme exemplaire de ce qu’on doit comprendre comme organisation du pessimisme benjaminien. Elle constitue une effraction dans « l’espace tenu à cent pour cent par l’image » pour y introduire une brèche pour l’action. Elle appelle à un saut en dehors de la continuité fatale du « progrès » de l’histoire en rupture, pas seulement d’avec la fantasmagorie idyllique social-démocrate, mais aussi d’avec la vision marxienne d’un progressisme de l’histoire, qui avait été déformée et dogmatisée à son époque en victoire inéluctable du prolétariat, guidé par le parti sous la direction de Staline. Un dogme imposé par la terreur en URSS et sur le mouvement ouvrier international, accompagné par l’imagerie du« réalisme socialiste ».
Mais ce n’était qu’un dernier cri d’alarme avant l’arrivée de la catastrophe pressentie par Benjamin, mais allant au-delà de l’imaginable à son époque. La Luftwaffe, mais aussi la Royal Air Force et les bombardiers atomiques américains effaceront de millions d’êtres humains dans une « guerre totale » au niveau international pour l’hégémonie dans le monde. Les I.G.Farbenproduiront le gaz pour mettre en œuvre d’une façon industrielle le génocide dans les camps de concentration.
Après cet appel d’air pour une restructuration et rationalisation de l’appareil technico-économique à travers l’industrie de l’armement et de guerre, arrive définitivement l’époque où la domination est exercée en premier lieu par « l’espace tenu cent pour cent par l’image » perfectionné au plus haut niveau. Le dédoublement de la société à travers un espace d’images, détaché et autonomisé de la vie réelle mais structurant le comportement des individus séparés, atomisés, qui trouve dans cet espace leur unité illusoire, devient le mécanisme principal de régulation sociétale : « Les images, dira Debord, qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut être rétablie. » Ils constituent un « pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui-même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. » [17]
Encore une fois, c’est une vision idyllique de la vie, basée sur le progrès des techniques et du confort qui est véhiculée par l’industrie de la fabrication d’images visuelles, sonores, littéraires dominantes. Les recherches surréalistes de contre-images se sont retranchées dans les niches d’un art toujours plus marginalisé. Des membres constitutifs du groupe, si important pour le développement de la théorie de l’image et la révolution de Benjamin, étaient devenus déjà dans les années trente des renégats tristement connus : Dali s’était transformé en clown « Avida Dollars » (selon l’anagramme de Breton) produisant un pseudo-surréalisme kitsch et affichant une admiration pour Hitler et Franco. Aragon et Eluard s’étaient soumis inconditionnellement aux ordres d’un PC stalinisé et étaient retombés artistiquement dans des formes les plus conventionnellement traditionnelles, de romans-fleuves et de poèmes de circonstance (voir Benjamin Péret Le déshonneur des poètes), compatible avec le « réalisme socialiste » aux commandes.
Mais à partir d’un certain moment, dans les années soixante dix à peu près, l’évidence du désastre d’un monde à la dérive devient indéniable. Alors ce sont les cadres et ambianceurs mêmes du système, politiques, économistes, « artistes », qui organisent le pessimisme, un pessimisme contre-révolutionnaire, fataliste, cynique. Comme le dédoublement idyllique de la réalité n’est plus tenable, c’est le désastre même qui est transformé en spectacle. Fini le temps de rêves ! Ni rêves, ni ersatz de rêves. Adorno avait appelé Hollywood une « fabrique de rêves-sans rêves. Maintenant il-y-a même pas de semblant de rêve. Plus besoin d’archéologie benjaminienne pour déchiffrer l’inconscient collectif. L’espace d’images devient de plus en plus pseudo-réaliste. Le message est direct et clair : le désastre est ce qu’il est, il faut tenir le coup, « il n’y a pas d’alternative », ni économique, ni politique, ni sociale.
Le pas-d-alternative était déjà le message central des « Trente glorieuses ». Même si elles n’étaient pas si glorieuses que cela, c’était le seul monde possible, capitalisme réel, sous sa forme occidentale ou de « Socialisme » d’Etat. L’utopie était bannie comme illusoire, voire dangereuse car potentiellement terroriste. Désormais l’utopie reste toujours exclue, mais les dystopies abondent. La vision d’un futur apocalyptique semble de plus en plus réaliste et probable. La transformation de l’espace « tenu à cent pour cent par l’image » en scènes d’horreurs hyperréalistes est une réussite sur toute la ligne : on peut facilement s’imaginer la fin du monde, mais pas la fin du capitalisme qui la produit, dit le dicton.
Alors toutes les formations politiques et instances économiques établies proposent tout juste des mesures palliatives multiformes, pour ajourner et/ou adoucir la catastrophe et rendre plus résistants les êtres humains à la dégradation environnementale à l’aide du génie des sciences et techniques d’ingénierie des corps et des âmes, c’est-à-dire de différentes variantes de la dystopie d’un « capitalisme vert. »
Au XXe siècle il fallait une escalade d’horreurs inouïe pour imposer des « solutions finales » pour la survie d’un système aux abois. Aujourd’hui il suffit d’un espace de production d’images bourrées des représentations pseudo-réalistes, candides, cyniques ou sadomasochistes, imperméable à l’effraction de contre-images, pour produire une attitude docile et consentante d’une servitude volontaire.
Pour ceux qui craquent, atteints d’une façon particulièrement grave par la dégradation de leurs conditions de vie matérielles ou les affronts à leur sensibilité humaine, il n-y-a que l’injonction : Suicidez-vous ! Ce cri de colère contre les violences policières dans un court moment de rage, est la devise récurrente, prononcée ouvertement ou répandue implicitement, des gouvernants de notre vie : Sautez par la fenêtre ou pendez-vous dans vos granges ! Noyez vous par milliers dans la mer ou crevez tout seul dans la rue ! Tuez-vous par des overdoses ou comme kamikazes terroristes. Tout cela nous arrange. Comme débarras ou comme épouvantail intimidant. Tout cela montre qu’il n’y a pas d’alternative à ce que nous vous préparons, aux soins palliatifs que nous pouvons vous procurer face à la mort lente d’un monde.
Contre eux, il y en a de plus en plus qui organisent le pessimisme d’un autre genre, le pessimisme révolutionnaire, qui créent avec ténacité et détermination des images d’une aspiration à une autre vie, avec leur corps et leur fureur, en feu et en sang [18].
C’est contre l’apparition d’une telle alternative qu’ils se présentent partout de nouveaux « Führers », prêts à utiliser toute la gamme des instruments répressifs de la force étatique, en mobilisant une masse frustrée et haineuse. Il s’agit de candidats de rechange autocratiques qui ne croient pas à l’efficacité d’une gouvernance par l’image. Ils misent sur le déni de la catastrophe et promettent le salut par un repli d’un nationalisme-ethnocentrique, blanc de préférence.
Pour prendre conscience des atouts dont nous disposons dans cette confrontation globale avec les tenants du ou prétendants au pouvoir, qui avait commencé à prendre de l’ampleur avant l’apparition du virus et qui continuera d’une façon ou d’une autre après sa disparition ou son reflux (temporaire ?), il semble utile de prendre connaissance d’un auteur surréaliste moins connu, Pierre Mabille, que Benjamin avait inclu dans ses notes préparatoires et extraits pour l’œuvre de Passages. Le texte de Mabille de 1935 traite de l’inconscient collectif en tant que base de bouleversements révolutionnaires : « Né de la vie sociale cet humus [de l’inconscient collectif] appartient aux sociétés. L’espèce et l’individu comptent peu, les races et le temps en sont seuls repères. Cet énorme travail confectionné dans l’ombre repérait dans les rêves, les pensées, les décisions, surtout au moment des périodes importantes et des bouleversements sociaux, il est le fonds commun, réserve des peuples et des individus. La révolution, la guerre, comme la fièvre le mettent mieux en mouvement. Quand il ressort en bouillonnant, traversant les seuils de la conscience pour se transformer en actes ou en concepts, nous ne faisons que lui prêter nos personnes, que lui fournir un moyen de prendre forme ; il exploite alors notre matière personnelle… Il ne sera que d’étudier ce feu intérieur et ces couches sous-jacentes à la lumière, les éruptions et les cassures ; mais ne considérons point qu’il y a là, accidents ou désordre alors que ce ne sont que processus normaux. Tremblement de terre et volcans sont modes habituels de la progression des choses. Cherchons l’horaire des marées intérieures. La psychologie individuelle étant dépassée, faisons appel à une sorte d’histoire naturelle des rythmes volcaniques et des cours d’eau souterrains. Rien à la surface du globe qui n’ait été souterrain (eau, terre, feu). Rien dans l’intelligence qui n’ait eu à faire digestion et circuit dans les profondeurs… Voué à l’obscurité, ce noyau central de la vie, ce témoin des combustions du feu intérieur n’éclate vraiment que dans la douleur, il ne parle que pour maudire et se plaindre, l’équilibre en est silencieux et non les tumultes. L’élément sexuel y a une grande place, mais non place unique, il est une des composantes de cet échafaudage. » [19]
A propos de ce que concerne le « monde sexuel », André Breton avait écrit à la même époque : « De nos jours, le monde sexuel, en dépit des sondages entre tous mémorables que, dans l’époque moderne, y auront opérés Sade et Freud, n’a pas, que je sache, cessé d’opposer à notre volonté de pénétration de l’univers son infracassable noyau de nuit. » [20]
La force éruptive et explosive avec laquelle ce monde a été mis en images par Sade a conduit Annie Le Brun, sa grande interprète, à intituler un recueil d’essais sur lui : « On n’enchaîne pas les volcans. » [21] Peut-être encore avec plus de raison pourrions nous dire cela concernant la force éruptive enfouie dans l’inconscient des peuples, qui est en train de prendre une forme consciente. « On n’enchaîne pas les volcans » d’une humanité toujours vivante, malgré tout.
De petites flammes commencent à apparaître par-ci et par-là, au Chili ou à Hongkong, renouant à tâtons avec les mouvements d’avant. Aux Etats-Unis s’ouvre avec éclat un nouveau front, plutôt déjà une grande flamme. En France un premier grand rendez-vous d’actions est en préparation pour le 17 juin. [22]On n’enchaînera pas des volcans ! L’humus dans l’inconscient des peuples dont parlait Mabille, la lave qui s’est accumulée pendant plusieurs générations dans l’après-guerre est toujours là. S’il n’y a pas eu de grandes conquêtes durables pendant les dernières décennies – la révolution zapatiste à part, bien sûr- il n’a pas eu non plus de défaites écrasantes.
De toute manière, aucune victoire n’est jamais garantie. Après que Mabille avait écrit son texte il s’est produit effectivement l’éruption de la révolution espagnole, mais le cycle des luttes révolutionnaire du XXe siècle a été écrasé par les fascismes, le stalinisme et un impérialisme occidental triomphant. La reconstitution et la réorientation des forces vives de révolte après une telle défaite historique a été longue et dure. Il y avait l’irruption d’une annonce prometteuse de ’68 avec des foyers multiples au niveau international. Mais encore fallait-il 50 ans de plus pour que de nouvelles forces gagnent une consistance durable, dans des formes de lutte nouvelles. Ce qui n’aurait pas étonné Mabille : « On sait, disait il, que pour qu’un système philosophique nouveau, une théorie scientifique, un effort novateur en art devienne facteur composant de la vie sociale, pour qu’il soit réellement compris, il faut que s’écoule une cinquantaine d’années. » [23] D’uutant plus, pourrait-on dire, s’il s’agit de réorienter l’art de faire la guerre sociale face à des pouvoirs qui ont, eux aussi, développé de nouvelles armes économiques, techniques et de conditionnement des esprits. Surtout, ce furent des années, pendant lesquelles l’imagination libératrice —la possibilité de « l’éveil » aurait dit Benjamin, du potentiel inconscient— a été filtrée, canalisée et bloqué d’une façon quasi-parfaite.
Pourtant, ‘the times they are changin’, les temps changent même si cela prend du temps. Les auteurs de « La dialectique de la raison » francfortois ne pouvaient s’empêcher du sentiment d’avoir jeté avec leur livre en 1947 une « bouteille à la mer » pour des générations futures. Il était passé à l’époque presqu’inaperçu. Mais plus tôt qu’attendu, autour de ’68, le texte était une des bases de la prise de conscience des jeunes qui entraient en action en Allemagne. En 1987 paraît un recueil de lectures de ce livre clé dans l’évolution de la théorie critique sous le titre « Quarante ans de bouteille à la mer. » [24] Les thèses de Benjamin n’avaient pas cette chance. Ses écrits commençaient à être édités à peu près à la même époque, mais avec beaucoup moins d’écho. Est-ce que c’était parce que sa bouteille était remplie d’un liquide inflammable, bien plus dangereux que de l’eau ? Parce que le texte d’Adorno et Horkheimer reste dans une attitude de contemplation et Benjamin vise l’intervention révolutionnaire comme raison d’être de tous ses écrits ?
Une chose saute aux yeux : l’intérêt pour Benjamin et son image du frein d’urgence commence à s’articuler en même temps où le « Bloquons tout ! » devient le mot d’ordre central de la résurgence des luttes autour de 2010, c’est-à-dire 60 ans après les thèses testamentaires de Benjamin. C’est seulement maintenant que le tournant copernicien qu’elles inaugurent prend forme. La tache d’un renversement de la vapeur est immense : il faut déserter la lutte séculaire pour le pouvoir en faveur d’une action de démontage de son assise matérielle et immatérielle, dans les institutions et dans les têtes, pour une réorganisation de la vie en commun, d’en bas.
Il ne faut pas se méprendre. Les avancées des dernières années sont bien là. En plus du « Bloquons-tout » se sont ajoutés au fond commun des mots d’ordre des insurrections en cours le « Qu’ils dégagent tous ! », le « Pas de retour à la normale ! La normalité est le problème » et d’autres qui organisent le pessimisme. Tous expriment une perte de confiance irréversible dans la capacité des forces institutionnelles ou des leaders autoproclamés pour arrêter le désastre, abolir la misère.
Toujours est-il que le chemin sera encore long. Donc, au pessimisme révolutionnaire doit s’associer une patience révolutionnaire. Un genre de patience si bien formulé par Hania dans le documentaire « Algérie, mon amour » sur le Hirak, où elle dit calmement –avec des mots que je ne peux malheureusement pas reproduire littéralement- que, durera le temps qu’il durera, elle se sent forte, elle ne lâchera pas l’objectif de conduire la révolution à son terme. Le pouvoir n’a pas tardé à reconnaître dans ce film ses fossoyeurs et fossoyeuses, en provoquant une crise diplomatique à cause de sa diffusion sur France 5 le 26 mai, en criant au scandale d’une attaque « contre le peuple algérien [ce qui est évidemment faux] et ses institutions », ce qui est vrai : On pouvait lire sur une pancarte dans ce film : « Système dégage ! » Moins compréhensible semble la réaction de certains militants de l’Hirak, choqués, paraît-il, de l’apparition d’une passion révolutionnaire, spécialement des jeunes, touchant nécessairement toutes les dimensions de la vie.
Par contre moi, j’ai au contraire le sentiment qu’en France bien des gilets jaunes auraient aimé bien voir un tel film magnifique, documentant les ressources profondes, intimes de leur mouvement, diffusé par la télévision public en prime time.
Espérons que les participants à la réalisation de cette contre-image dans un espace normalement verrouillé de tous les côtés, ne payeront pas un prix trop lourd pour leur audace !
Dietrich Hoss
[2] Walter Benjamin, Le Surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne, dans : Walter Benjamin, Œuvres II, Gallimard folio 2000, p.132
[3] Id. p.130
[4] Pierre Naville, La révolution et les intellectuels, Gallimard idée, 1975 p.51
[5] Pierre Naville, La Révolution et les intellectuels (Que peuvent faire les Surréalistes ? Position de la question), dans Pierre Naville, op.cit. , p.57ss.
[6] Id. 73
[7] Pierre Naville, Mieux et moins bien, dans Pierre Naville, op.cit. p.105-120
[8] Walter Benjamin, op.cit., p. 132
[9] Aragon, Traité du Style, Gallimard 1991 [1928] p.139s. et 151
[10] Walter Benjamin, op.cit., 132s.
[11] Rita Bischof, Teleskopagen, wahlweise, Klostermann (Frankfurt am Main) 2001, p.341 ( traduction de DH)
[12] Benjamin avait créé la notion d’ « illumination profane » dans son article de 1929 comme objectif implicite du surréalisme.
[13] Walter Benjamin, op.cit., p.134
[14] Cité dans : Walter Benjamin, Critique et utopie, Editions Payot et Rivages 2012, p.240
[15] Walter Benjamin, Critique et utopie, op.cit., p.237. Un recueil d’aphorismes et de fragments à se frotter les yeux dans ce sens est aussi Walter Benjamin, Sens unique, Petite Bibliothèque Payot 2013 [première édition en allemand 1928]
[16] Walter Benjamin, cité dans : Michael Löwy, La révolution est le frein d’urgence. Essais sur Walter Benjamin, Editions de l’éclat 2019, p.157. Il est significatif pour la gestion dominante de l’espace d’image que Michael Löwy cite ce passage de Benjamin dans une traduction propre de l’allemand. Dans les éditions accessibles des œuvres en français de Benjamin citées on ne trouve aucune d’autre. La situation en Allemagne n’est pas très loin de cette omission (acte manqué ?). Le passage manque également dans la plus complète édition des ses œuvres, deux volumineuses tomes chez Zweitausendundeins de 2011. On le trouve seulement dans les Œuvres Complètes chez l’éditeur Suhrkamp, base de la traduction de Löwy.
[17] Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard folio 2007, p.15s.
[18] Voir comme exemple récent l’impressionnante vague d’images qui nous parvient des Etats-Unis composée Lundimatin (https://lundi.am/Nous-avons-construit-ce-pays-et-nous-allons-le-detruire-par-le-feu-s-il-le-faut) Un document qui montre d’ailleurs que l’abolition de la séparation entre l’émetteurs et récepteurs, pour Benjamin un objectif indispensable dans la production d’images et des idées à visées révolutionnaire, a fait des progrès considérable ce dernier temps. Et lui qui « considérait certains évènements historiques comme ‘ boules de feu’ ou des ‘fauves ‘ qui ‘ bondissent ‘ entre le passé et le présent pour mieux supprimer le labeur misérable des années, c’est-à-dire la continuité ‘homogène et vide’ du temps des vainqueurs » (Marc Berdet dans : Walter Benjamin, La Commune, Editions Pontcerq 2016, préface p.20) aurait salué le cri de combat des manifestants noirs « 500 years » ( de racisme esclavagiste) comme un genre d’épreuve actuelle d’une telle présence historique éruptive. (Note post-scriptum, voir mes remarques préliminaires au texte)
[19] Pierre Mabille, Préface à l’Eloge des préjugés populaires, dans Minotaure No.6, Hiver 1935, p.2
[20] André Breton, Œuvres complètes II, Gallimard 1992, p.359
[21] Annie Le Brun, On n‘enchaîne pas les volcans. Essais, Gallimard 2006
[23] Pierre Mabille, op.cit. p. 3
[24] Vierzig Jahre Flaschenpost : „Dialektik der Aufklärung“ 1947-1987, Willem van Reijen et Gunzelin Schmid Noerr (eds) Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main 1987