Le train, grand oublié des plans de relance

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SOURCE : Reporterre

Le trafic des trains et métros devrait être revenu à son niveau habituel au plus tard fin juin, a annoncé le secrétaire d’État aux Transports. Mais les voyageurs, eux, mettront du temps à reprendre ces transports en commun. Le rail souffre lui aussi, mais le gouvernement semble moins empressé à le soutenir qu’il ne l’a été pour l’auto ou l’avion.

Pour le train, c’est presque un retour à la normale qui se dessine. Le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a annoncé, dimanche 31 mai sur BFMTV, que la RATP assurerait 100 % des métros dès la semaine prochaine, que 100 % des trains de la SNCF circuleraient à la mi-juin, la totalité des sièges pouvant être commercialisés. Le port du masque, en revanche, reste obligatoire. Pour les TER, le maintien de certaines mesures sanitaires est laissé au choix des régions.

Ces annonces étaient attendues alors que les départs en vacances se profilent, et que le train apparaissait comme discriminé par rapport à l’avion, qui, lui, n’avait pas à appliquer la règle exigeant que seul un siège sur deux soit occupé et donc vendu.

Fin mai 2020, à Paris.

La SNCF espère donc bien pouvoir remplir ses TGV cet été. Mi-mai, lors de la réouverture des réservations pour l’été, elle se félicitait d’avoir enregistré une moyenne de réservations identique à celle de l’an dernier.

Un optimisme qui ne suffit pas à effacer le terrible choc de trois mois de crise sanitaire et de trafic au plus bas sur le train en France. Le 20 mai, devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farrandou, établissait un premier bilan devant les députés : durant le confinement, le trafic du TGV n’était qu’à 1 % de son niveau habituel, les pertes étaient déjà évaluées à 2 milliards d’euros fin avril. Par ailleurs « personne ne sait à quelle vitesse il [le trafic] reviendra à la normale », déplorait le PDG. Le secrétaire d’État aux Transports, M. Djebbari, a confirmé dimanche 31 mai sur BFMTV les « incertitudes » concernant la reprise et estimait que le montant de la facture avait déjà augmenté à 2,5 milliards d’euros désormais. La Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports), elle, évaluait les pertes le compte mardi 2 juin pour l’ensemble des transports de voyageurs à « 4 milliards pour les réseaux urbains, 3 à 4 milliards pour le ferroviaire ». La faute à l’absence de recettes — le prix des billets payés par les usagers — et à la suspension du versement mobilité — c’est-à-dire la contribution des employeurs aux transports en commun.

« L’État a mis des limitations extrêmement importantes à l’utilisation du train comme moyen de transport »

Et le flux des pertes n’est pas tari, car le déconfinement n’a pour l’instant permis qu’une modeste reprise du trafic sur les rails. « On en est à peu près aujourd’hui à 25 % de la fréquentation » habituelle, annonçait encore dimanche le secrétaire d’État aux Transports. « Probablement, mi-juin nous aurons 100 % de l’offre et 50 % de la fréquentation. » Une façon de promettre que les mesures de mise à distance physique seront respectées, et la sécurité sanitaire assurée. L’équilibre est difficile à trouver : rassurer les usagers, pour ne pas les détourner du train, mais limiter la fréquentation pour ne pas avoir à gérer une affluence trop importante.

« On en est à peu près aujourd’hui à 25 % de la fréquentation » habituelle, annonçait dimanche 31 mai le secrétaire d’État aux Transports.

« Dans tous les pays où il y a eu un même blocage des mobilités, la fréquentation est remontée à 60 % au bout de six mois, observe Bruno Gazeau, président de la Fnaut. Elle est à 80 % aujourd’hui sur les réseaux asiatiques, mais il n’y a pas eu de retour à 100 %. Certains continuent de privilégier la voiture, car on s’y sent protégé sur le plan sanitaire. » « Le gouvernement n’est pas pressé que la fréquentation remonte, estime Gilles Dansart, rédacteur en chef de Mobilettre et spécialiste du ferroviaire. Les études prévoient pour les transports en commun 70 % de fréquentation par rapport à l’année dernière en septembre et 90 % en décembre. »

Différence de traitement sanitaire entre la France et la Suisse à bord du Léman Express.

Une lenteur qui s’explique par la sortie prudente de la crise sanitaire, le télétravail étant toujours encouragé, et beaucoup d’écoliers n’étant pas revenus en classe. La crainte de se faire contaminer dans les transports en commun joue sans doute également. Enfin les mesures sanitaires appliquées, et maintenues en juin pour certaines, peuvent aussi être un frein. Ainsi, certaines régions demandent encore en plus du billet, de se munir d’un « coupon » permettant de limiter l’affluence dans les trains (certaines lignes sont concernées en Occitanie, Normandie, Bourgogne-Franche Comté, Centre-Val de Loire et Hauts-de-France). « Prendre le TER est devenu un casse-tête, regrette Gilles Laurent, de la Fnaut des Hauts-de-France. Le coupon n’est accessible que de manière numérique, les familles sans smartphone ni imprimante sont exclues de fait du TER ! La SNCF et la région, elles, sont contentes car cela limite le nombre de voyageurs. »« L’État a mis des limitations extrêmement importantes à l’utilisation du train comme moyen de transport », résume Bruno Gazeau.

Une crise à retardement pour le train

Autre effet des mesures sanitaires, les trains de nuit ont cessé de circuler, la distanciation physique paraissant trop difficile à respecter dans les compartiments. « Ce qui se profile est qu’ils soient suspendus également pendant les grandes vacances, et remplacés par des bus de nuit : nous ne voyons pas en quoi cela permet de mieux respecter les règles sanitaires ! » s’indigne Nicolas Forien, du collectif Oui au train de nuit. Finalement, après la contestation de plusieurs associations et élus des territoires desservis, ils pourront circuler cet été [1].

L’arrêt des chantiers de rénovation et d’entretien des lignes pendant le confinement vient ajouter une couche de complications. Ainsi, pour la liaison très fréquentée entre Aix-en-Provence et Marseille, « on se prend trois mois de fermeture supplémentaire dans les dents », déplore Gilles Marcel, président de l’association NosTERPaca. En Île-de-France, c’est la modernisation des indispensables RER B et D qui voit son calendrier retardé. Ce alors que les travaux du CDG Express, liaison directe et contestée entre l’aéroport et le centre de Paris restent prioritaires, se sont indignés de nombreux élus de la région, et notamment sa présidente, Valérie Pécresse. En Normandie, c’est le remplacement du « matériel roulant », de vieux trains épuisés au fonctionnement de plus en plus aléatoire, qui est retardé de quelques mois sur les liaisons entre la capitale et Le Havre, Cherbourg et Caen, nous signale la Fnaut Normandie. « Nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer tous les effets, indique à Reporterre SNCF réseau. Pour l’instant la priorité est de relancer tous les chantiers qui étaient à l’arrêt. »

« Tout le monde prévoit un retour lent à la normale, résume Gilles Dansart. Et cela risque d’avoir des conséquences. » Pour ce spécialiste du rail, la crise du train est décalée par rapport à celles de l’avion ou de l’automobile : « La SNCF et les entreprises de transport en commun sont rémunérées très largement par les autorités organisatrices de mobilité [les régions, les agglomérations qui gèrent un réseau de TERou de transport en commun], explique-t-il. Celles-ci ont continué de payer jusqu’ici ce qu’elles devaient. Cela n’a pas fait un trou immédiat dans la trésorerie, au contraire d’Air France. Mais les recettes des billets ont, elles, chuté. Donc, c’est maintenant que le train commence à tirer la langue. Il vit une crise à retardement. »

Une crise qui pourrait s’amplifier dans les mois à venir, car alors que les recettes des billets vont, comme on l’a vu, remonter doucement, les autorités organisatrices, elles, signalent que leurs finances sont à sec et qu’elles ne vont bientôt plus pouvoir financer les transports publics. Le Gart (Groupement des autorités organisatrices de transport) le signalait dès le mois d’avril dans une lettre au président de la République. Il écrivait notamment qu’en Île-de-France, les pertes risquent d’avoir pour conséquence que les versements aux « opérateurs » (SNCF et RATP) ne pourront plus être assurés à partir de fin août. Dans certaines agglomérations de taille plus modeste, autour de Tours, Aubenas, ou dans le Pays basque, la situation est la même et ce sont aussi les investissements dans l’amélioration de ces réseaux de transport en commun qui sont menacés, explique le Gart. Le PDG de la SNCF, M. Farandou, a également prévenu à l’Assemblée nationale que le plan de rénovation du réseau, notamment des « petites lignes » (ou « lignes de desserte fine du territoire ») pourrait être menacé. Notamment parce que son financement se fait grâce aux revenus du TGV, remis en cause au moins pour l’année 2020. Cela arrive au mauvais moment : l’État avait enfin acté une hausse des investissements en 2020 pour la rénovation des lignes. Enfin, M. Farandou n’a pas exclu non plus un plan d’économies qui comprendrait des réductions de personnel.

Un plan de relance sans échéance ni contenu pour l’instant

Le ferroviaire a donc lui aussi besoin de son plan de relance, signalent depuis le mois d’avril associations d’usagers et écolos, syndicats, collectivités locales gérant des transports en commun (notamment les régions qui s’occupent des TER), experts et surtout le PDG de la SNCF. Mais le gouvernement ne répond pas à ces appels avec la même célérité que pour aider Air France (7 milliards d’euros accordés dès le 24 avril, en échange de mesures écologiques à l’efficacité contestée), ou Renault (5 milliards pour l’entreprise, et 1 milliard pour un plan d’aide à l’automobile). Même les bus Macron ont eu droit à 50 millions d’euros d’allègement de trésorerie« C’est un comble, on va au chevet des modes de transport les plus polluants, s’indigne Anne Lassman-Trappier, responsable du réseau transports chez France Nature Environnement. C’est incompréhensible, d’autant plus que le plan de relance devrait encourager la transition énergétique. » « On entend pleurer le PDG de la SNCF alors qu’en Allemagne 8 milliards d’euros ont été annoncés pour la Deutsche Bahn », remarque Stéphane Coppey de NosTERPaca. Certains expliquent cette différence de traitement par le fait que les lobbys de l’aviation et de l’automobile, ainsi que leurs actionnaires, ont plus d’influence que la SNCF« Dans cette période où l’on distribue de l’argent public et où tout le monde se le dispute, la SNCF et les entreprises de transport n’ont pas su mettre en scène une pression sur le gouvernement », estime aussi Gilles Dansart.

Le secrétariat aux Transports explique de son côté que, alors que l’aérien et l’automobile « ont été touchés très durement » et que « leurs acteurs sont généralement moins solides que la SNCF », cette dernière a, elle, « pu continuer à emprunter sur les marchés financiers durant la crise sanitaire et ne rencontre pas de problèmes urgents de trésorerie. C’est cette solidité qui permet de prendre plus de temps afin de construire un plan de relance efficace et équilibré pour le ferroviaire ».

Le 19 mai, sur BFMTV, Jean-Baptiste Djebbari se voulait rassurant. « L’ambition ferroviaire demeure », assurait-il, promettant que tous les parents pauvres actuels de la politique ferroviaire allaient devenir une priorité : fret, petites lignes et trains de nuit. Le fret, en particulier, qui a pu assurer 60 % du trafic pendant la crise sanitaire, a su montrer son utilité. Les défenseurs du train n’en demandent pas moins pour le plan de relance à venir. Mais le ministère ne nous a pas encore indiqué quand ce nouveau plan serait prêt. « Cela fait 30 ans que tous les ministres disent que ces sujets sont importants », observe Gilles Dansart, peu optimiste. « L’État a déjà donné tellement d’argent qu’il va falloir choisir. Et le problème avec le ferroviaire, c’est que si vous donnez de l’argent, après cela prend des années d’études avant de lancer un chantier. Alors que pour les autoroutes, tout est déjà prêt. »


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