Violences policières : un agent de la BAC accusé d’avoir “travesti la réalité”, débouté par le tribunal de Paris

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SOURCE : Marianne

Le 3 juin dernier, le tribunal de Paris a blanchi une femme de 43 ans, accusée à tort de violences volontaires contre un agent de la BAC. Elle a été relaxée. Les juges ont démantelé la version des faits des policiers, pourtant consignée sur procès-verbal. Marianne a eu accès au dossier.

 

Etranglée, frappée au tibia par un agent de la brigade anti-criminalité(BAC), accusée elle-même de violences à l’encontre du policier, puis convoquée devant la justice : depuis la fin de l’été 2019, Leila N. est embarquée malgré elle dans une affaire ubuesque. Alors qu’elle venait à la rescousse de la victime d’une agression, elle a terminé sa nuit en garde à vue, ciblée par une plainte pour « violences volontaires contre personne dépositaire de l’autorité publique » par un policier de l’équipe d’intervention.

Il y a quelques jours, le 3 juin, le tribunal de Paris n’a pas fait que relaxer Leila N. et débouter le gardien de la paix en question, Florian G. Les juges ont aussi démantelé sa version des faits, ainsi que celles de ses collègues policiers, pourtant consignées sur procès-verbal. Des images de la scène auxquelles Marianne a eu accès (voir ci-dessous) ont permis à la justice de blanchir cette femme de 43 ans. Cette tonique cadre commerciale, au départ confiante envers les forces de l’ordre, n’en revient toujours pas : « Sans la vidéo, j’aurais été condamnée… » Une affaire révélatrice des rapports parfois distendus que certains récits de policiers peuvent entretenir avec la vérité.

Les faits — révélés à l’époque par Le Monde, et dont Marianne a pris connaissance — ont eu lieu le soir du 19 août 2019. Peu avant 22 h, Leila achoppe par hasard sur une scène d’agression, rue Legendre, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Une femme gît au sol. Ses agresseurs l’entourent. Un des hommes lui assène un rude coup de casque. Choquée par la violence des coups, Leila appelle le 17 et tente d’apaiser les esprits. Une voiture banalisée arrive alors en trombe dans la rue. En sortent des policiers en civil, brassard police en vue, qui isolent alors les agresseurs et les témoins. Alors qu’ils procèdent aux palpations de sécurité, l’un des agresseurs hèle Leila N., vêtue d’un imperméable beige, depuis le trottoir et lui ordonne à plusieurs reprises de se taire : « Toi là-bas, t’as rien vu, tu dis rien ». La quadra s’approche alors du policier Florian G. pour le prévenir de cette tentative d’intimidation.

C’est précisément à ce moment-là que les choses dégénèrent. Et que les récits divergent.

IL LA REPOUSSERAIT “SANS FORCE”

Une version de la suite est livrée par Florian G., membre de la BAC du 17e arrondissement. Sur procès-verbal, il décrit une jeune femme « excitée » en train de « vociférer » à laquelle il intimerait de reculer. « Je vois qu’elle refuse de s’exécuter, j’essaie alors de l’accompagner avec le bras au niveau du trottoir d’en face (…) Je décide alors de saisir son manteau avec ma main gauche au niveau de son épaule droite et je la repousse calmement vers le trottoir, sans force ». La femme saisirait alors son pouce puis le « retourne très sèchement et très violemment ». C’est pour se dégager de son emprise, écrit-il, qu’il « a dû porter un coup »

Son collègue, le brigadier de police Fabrice I., ne dévie pas de ces déclarations. Toujours sur procès-verbal, ce dernier assure que l’agent « a dû la repousser à plusieurs reprises », aurait « saisi le col côté droit de la veste de [Leila] » et qu’enfin cette dernière aurait été simplement « éconduit[e] sur le bord de la chaussée ». Selon le script des images de vidéosurveillance de la Préfecture de police de Paris, réalisé par le gardien de la paix Nicolas T., l’agent de la BAC « reprend le contact au niveau de l’épaule » puis la « reconduit vers le trottoir ». Ces PV mettent aussi en avant le fait qu’elle « tord brusquement et violemment » le pouce du policier.

“AUCUNE RÉSISTANCE”

Protagoniste perdant son calme, agression physique : cette situation donne au policier le droit de déposer plainte pour violences volontaires. Ce qu’il fait. La quadragénaire passe la nuit en garde à vue. Les PV sont accablants. A ceci près qu’une vidéo de la scène, filmée par un riverain, et sept témoignages directs, tous versés au dossier, font état d’une réalité toute différente.

Cette vidéo (ci-dessous) montre Florian G., barbe touffue et casquette sur la tête, agripper la gorge de Leila N., l’étrangler, la repousser jusqu’au trottoir avant de la plaquer contre un mur. Cette dernière crie et semble lui saisir la main. Au milieu de la séquence, le policier lui assène un coup de pied dans le tibia. Les cris de la femme sont distinctement audibles dans la vidéo : « Lâchez-moi, ça va pas ou quoi ? »

Dès son audition au commissariat, elle disait avoir elle-même été agressée par ce policier, qui lui aurait agrippé le cou et le serrant de plus en plus. Elle plaide un « réflexe d’autodéfense » pour desserrer l’étau.

Sept témoins oculaires ont corroboré et précisé ses dires. Ayant assisté à la scène, un coursier de 29 ans témoigne que la « dame avec l’imperméable beige toute calme se fait agripper violemment le cou par le policier ». Lequel, ensuite, « lui assène un coup violent dans les jambes ». Un juriste explique qu’elle est « prise à la gorge très violemment ». Une riveraine dit le voir « empoigner très fortement la femme qui n’avait absolument rien fait ». Une courtière en assurances de 33 ans abonde : la quadragénaire n’opposait « aucune résistance ».

C’est pourquoi son avocat, Me David Curiel, accuse l’agent de la BAC d’avoir « travesti la réalité » sur procès-verbal. « On pourrait le poursuivre pour faux en écriture publique », un crime passible des Assises, tonne le pénaliste. Les procès-verbaux comporteraient un élément factuellement faux — le policier serre son cou, non son manteau — et le degré de violence du policier semble décrite de manière euphémisée. Cette édulcoration est-elle volontaire ? Les autres policiers ont-ils eu une confiance aveugle dans le récit de leur collègue qui influence en retour leurs récits à eux ? In fine, ces PV signés par des agents assermentés sont-ils le reflet de la réalité ? Des questions peu anodines alors que la France débat des violences policières, des situations où il n’y a souvent ni témoin, ni vidéo, et se résumant à un inégal duel policier-plaignant.

Images de la préfecture de police, qui ne montrent qu’une partie incomplète de la scène.

SOUS L’EMPRISE D’UN “GESTE D’ÉTOUFFEMENT”

Toujours est-il qu’au tribunal de Paris le 3 juin dernier, la présidente de la 28e chambre correctionnelle, Agnès Herzog, a détricoté le récit du policier. Non seulement Leila a-t-elle selon la magistrate « tenté courageusement d’enjoindre l’agresseur à cesser de porter des coups à la victime au sol », mais si elle a en effet « tordu le pouce gauche » du policier, c’était pour « mettre fin à sa sensation d’étouffement » infligée par le gardien de la paix, non pas pour « porter atteinte à on intégrité physique », conclut la juge. Elle était « indéniablement sous l’emprise d’un geste d’étouffement », comme en attestent les lésions figurant sur les certificats médicaux.

Ces derniers, établis à l’hôpital Bichat, montrent que le policier n’a pas fait que l’éconduire ou la maintenir par le col. Les urgences où est conduite Leila N. au cours de sa garde à vue, concluent à un « trauma contusion cervicale droite », des « pétechies cervicales latérales droite », une « ecchymose » de 5 cm au cou, une « ecchymose violacée » de 6 cm au tibia. Sa situation est telle qu’elle réclame un second passage aux urgences plus tard dans la nuit, à cause des « douleurs cervicales ». L’hôpital lui prescrit des antalgiques supplémentaires et Leila dit avoir passé la nuit à pleurer en cellule.

Ironie de l’histoire, Florian G. est lui-même revenu sur sa version des faits à l’audience, sans doute involontairement, convenant que la femme avait tordu son pouce par « geste de self-defense ». Sollicité, son avocat Me Noé Gout a précisé qu’il ne fera « aucune déclaration ».

De son côté, Leila N. avait déposé plainte auprès de l’IGPN pour ce qu’elle considère être des violences policières. Cette plainte a été classé sans suite.


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