Monde d’après : l’illusion des relocalisations productivistes

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SOURCE : Marianne

Pour Jean-Luc Pasquinet, il ne suffit pas de relocaliser des entreprises pour mettre fin à la mondialisation, qui est un phénomène bien plus complexe.

 

Suite à la pandémie et au confinement, nous avons pu constater le retour du débat sur la relocalisation. La motivation de ces relocalisations est intéressante à plusieurs égards, car il ne s’agit pas de relocalisation “capitaliste”, c’est à dire motivées par des raisons de coût ou de service, mais de relocalisations faites pour assurer l’indépendance de la France. L’absence de masques, de matériel médical et de médicaments a révélé la fragilité de la sixième ou septième puissance économique du monde, mais aussi les conséquences de l’oubli du principe de précaution.

LA MONDIALISATION : DÉLOCALISATIONS ET RELOCALISATIONS

Les relocalisations capitalistes ne sont pas nouvelles, Le “jeu” avec les frontières est une des caractéristiques de l’économie-monde. Dans son livre La Dynamique du capitalisme, Fernand Braudel distingue trois marchés sous l’Ancien Régime : celui de la vie quotidienne dominée par la gratuité des échanges, le marché régulé et respectueux des règles ; enfin le marché spéculatif “fuyant la transparence et le contrôle.” Ce dernier s’amuse avec les frontières, la différence des législations et des règles. Ainsi en est-il du “commerce triangulaire”, qui voit des Occidentaux s’autoriser, dans les colonies, ce qui est interdit en Occident : l’esclavagisme. “Théoriquement, le Code noir apparaît comme un ensemble de lois articulant une série de droits et de devoirs d’exception au concert général de la loi française ou, plus modestement aux usages juridiquement retenus en métropole.” Au point que lorsqu’on ramenait un esclave en France, il était obligatoire de l’émanciper, du moins selon l’édit de 1716 [Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le calvaire de Canaan, PUF, 2011]. N’avons-nous pas, avec la mondialisation, assisté au même spectacle ? Dans les années 1970, des multinationales étendent leurs activités au monde entier, bientôt elles vont investir en Chine, dans des pays où l’on est moins regardant sur le droit du travail, sur la protection de l’environnement. Les multinationales contournent ainsi des règles nationales jugées trop contraignantes, elles s’implantent ailleurs, ou bien y délocalisent.

Les relocalisations capitalistes ont été essentiellement effectuées pour des raisons économiques et d’efficacité

Pour Mouhoud, la raison de l’existence des firmes multinationales (FMN) se trouve dans l’efficacité de ces entreprises. Si l’entreprise décide d’investir à l’étranger “c’est parce qu’elle possède des avantages que ses concurrents ne possèdent pas et aussi parce que ces avantages peuvent être transférés. […] L’implantation à l’étranger ne serait alors qu’un révélateur et non un facteur d’efficacité des entreprises” [El Mouhoub Mouhoud, Mondialisation et délocalisation, “Repères”, La Découverte, 2011]. Inversement, dans ce “jeu” avec les frontières, les FMN vont aussi relocaliser parce qu’elles sont suffisamment efficaces pour le faire. Les relocalisations capitalistes ne sont pas un phénomène nouveau. Il y aurait déjà eu quatre vagues de relocalisations depuis les années 1970 dans le monde. La première vers les USA, pour des activités d’assemblage des industries des semi-conducteurs dans les années 1980, la seconde, vers l’Allemagne des secteurs de l’électronique dans les années 1980-1990. La troisième vague eut lieu vers l’Europe dans le secteur de l’électronique, les ordinateurs, le textile dans les années 1990. La dernière dans les années 2000, toujours vers l’Europe, d’entreprises de services, comme les centres d’appels, suite à des imperfections de service. Les relocalisations capitalistes ont été essentiellement effectuées pour des raisons économiques et d’efficacité, autrement dit pour réduire les coûts et améliorer les services ; en général, dans ce cas, on préfère utiliser des robots que de créer des emplois.

La relocalisation ne peut donc pas se résumer à un retour d’entreprises parties ailleurs

Rappelons aussi que la mondialisation consiste surtout en des échanges de produits intermédiaires pour la fabrication d’un bien final, ils représenteraient environ 70% des échanges de marchandises sur la planète. Si on regarde les médicaments on sait que c’est le coût de dépollution et surtout la nécessité de faire des marges importantes pour payer les actionnaires qui expliquent les délocalisations de production. Car, l’autre originalité du débat c’est aussi le rappel qu’on ne peut pas faire revenir les pollutions qui avaient été délocalisées, mais aussi qu’on ne devrait plus délocaliser au prétexte de règles environnementales nationales jugées sévères. La relocalisation ne peut donc pas se résumer à un retour d’entreprises parties ailleurs.

CHANGER DE SYSTÈME

A notre avis, au lieu de ne se soucier que de produire de la valeur, il serait pertinent de trouver un système où l’on se poserait la question des conséquences sur l’environnement mondial avant la production au lieu de s’y confronter après comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Et c’est la principale limite de ce système productiviste. Même une proposition comme l’économie circulaire porte fort mal son nom. Car, le cycle de vie d’un produit, même en théorie, ne peut jamais être totalement refermé à cause de la diversité et de la complexité des produits considérés comme indispensables dans notre culture. On ne peut pas recycler ad vitam aeternam, et certains déchets sont toxiques et sans solutions pour les éliminer.

Peut-il exister une autre relocalisation antiproductiviste, ouverte et démocratique ?

De plus, nous savons qu’“en moyenne depuis 1970, chaque augmentation de 1 % du PIB mondial a été accompagnée d’une augmentation de 0,6 % de la consommation d’énergie primaire. Autrement dit, malgré les progrès techniques et l’amélioration de l’efficacité énergétique, il y a une corrélation positive entre activité économique et énergie depuis quarante-trois ans” [Yves Cochet, “L’histoire désorientée”, Entropia n° 15, Parangon, 2015]. Autrement dit, l’augmentation du PIB par habitant est constituée majoritairement d’une augmentation des fossiles : gaz, pétrole, charbon, ce qui signifie que c’est la croissance de la consommation d’énergie qui est la cause de la croissance du PIB et non l’inverse, remettant en question le rôle jugé généralement important du capital et du progrès technique dans la croissance économique, et que les innovations ne se traduisent pas par une amélioration de l’efficacité énergétique de l’économie mondiale.

Dans ces conditions, peut-il exister une autre relocalisation antiproductiviste, ouverte et démocratique ? Avec celle-ci, l’objectif ne serait plus de produire de la valeur, mais de satisfaire des besoins dans un cadre respectueux de la société et de la biosphère : les bio-régions. Dans ce cadre serait favorisée la coopération entre les unités de production afin d’éviter, concurrence, doublons, gaspillage de ressources rares et déchets. Elle s’accompagnerait certainement de rationnement. Mais aujourd’hui ce type de relocalisation est peu évoqué, une indication supplémentaire que l’on n’a pas (encore ?) tiré de leçons de cette pandémie.


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