Union européenne. Plan de relance : le double jeu de Merkel

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SOURCE : L'humanité

Conférence de presse d’Emmanuel Macron et Angela Merkel, le 29 juin, à Berlin. Hayoung Jeon/Pool/AFP

L’Humanité, 2 juillet 2020

Berlin, qui a pris mercredi la présidence de l’UE, admet la nécessité d’une solidarité avec les États les plus touchés par la crise. Mais pour mieux défendre les références ordolibérales, qu’il faudrait pourtant dépasser d’urgence.

L’Allemagne a pris la présidence pour six mois, ce 1er juillet, d’une UE secouée par des crises, pandémique et économique, qui révèlent un besoin d’Europe solidaire. L’ampleur du choc comme du défi a contraint Angela Merkel à faire un pas de côté spectaculaire à l’égard de sa ligne, traditionnellement austéritaire. Le plan franco-allemand pour la relance de l’UE en porte la marque. Il propose qu’un tiers des 750 milliards d’euros souscrits en commun au niveau européen, soit attribué aux États membres les plus touchés par les ravages du Covid-19, sous forme de dotations budgétaires. Pour des pays déjà surendettés « des aides non remboursables ont plus de sens que des crédits supplémentaires », affirme la chancelière (1).

Le « bougé » est considérable, si l’on veut bien se remémorer la stricte orthodoxie ordolibérale observée par les gouvernements allemands successifs de grande coalition. Il se heurte d’ailleurs à une résistance opiniâtre des pays dits « frugaux » (Autriche, Pays-Bas, Danemark et Suède), qui ne démordent pas de l’approche fondée sur un surcroît d’endettement pour les pays bénéficiaires d’un quelconque « soutien » européen. Ce qui rend toujours incertain l’accouchement d’un consensus sur ce dossier, lors du sommet de l’UE prévu « en présentiel » les 17 et 18 juillet prochain.

Accords de libre-échange

La concession allemande à une solidarité européenne ne constitue pas, non plus, le signe d’un « saut », encore moins d’une « révolution pour l’Europe », comme se plaisent à la présenter nombre d’analystes hexagonaux. Les mesures envisagées sont limitées dans le temps et Olaf Scholz, le ministre des finances SPD de Merkel, souhaite un retour « le plus rapide possible au cadre habituel des traités ». Quant aux « dotations » accordées aux États membres les plus touchés, le projet franco-allemand adopté le 18 mai dernier stipule qu’elles devraient être assorties de « réformes » ad hoc. Autrement dit : il faudrait, pour bénéficier de ces « subventions », continuer de se plier à ces mises aux normes ordolibérales, comme le firent au début de la dernière décennie les pays terrassés par la crise dite des dettes souveraines, désireux de se voir attribuer les crédits du mécanisme européen de stabilité (MES).

Pour les grands groupes exportateurs allemands, il est clair qu’un écroulement des pays de l’UE et de leurs débouchés aurait des conséquences calamiteuses. « Il est dans l’intérêt de l’Allemagne que l’UE ne s’effondre pas », plaide Angela Merkel. Plus largement, au plan international, une aggravation de la guerre commerciale avec son lot de barrières douanières pourrait avoir des conséquences terribles pour les exportateurs d’outre-Rhin. D’où le forcing annoncé par Berlin pour réactiver les divers accords de libre-échange négociés à partir de l’UE ou même en négocier de nouveaux (lire page 4).

La chancelière marche sur des œufs en défendant ses entorses solidaires aux normes de fonctionnement de l’UE. Car cette position est loin de faire l’unanimité chez elle. Comme l’illustre l’arrêt du 5 mai 2020 de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, mettant en cause le programme de rachats massifs de dette publique lancé depuis mars par la Banque centrale européenne (BCE). Au risque de faire éclater la zone euro.

L’Alternative pour l’Allemagne (AfD), l’extrême droite locale, mais aussi un courant au sein des partis chrétiens-démocrates, soutiens de la chancelière (CDU et CSU), ne cachent pas leur hostilité à la moindre évolution solidaire de l’UE. Les uns et les autres ont renforcé leurs positions sur l’échiquier politique avec d’autant plus de facilité qu’ils se contentent de pousser un peu plus loin les références monétaristes ou (et) budgétaires du « modèle » ordolibéral.

Cauchemar national-libéral

Le pas de côté « solidaire » d’Angela Merkel met donc aussi en lumière l’acuité de la menace du cauchemar national-libéral qui hante l’Allemagne comme le reste de l’UE. Il possède cependant un singulier mérite : il relève comme jamais le besoin de mesures réellement hétérodoxes et radicales pour faire face à la conjonction des crises sanitaire et économique.

Les syndicats français et allemands, auteurs d’une déclaration commune (2) aux lendemains de l’annonce du projet de plan de relance franco-allemand, ne s’y sont pas trompés. Ils réclament de mettre « enfin en œuvre l’Europe sociale ». Des alternatives plus ambitieuses en acquièrent aussi une dimension et une maturité nouvelles. Ainsi le besoin émerge-t-il quasiment partout de financer des services publics, ceux liés à la santé et les autres, si cruciaux et pourtant partout si malmenés, parfois si déglingués. Les économistes du PCF, qui font cette proposition de longue date, pointent que l’on pourrait agir tout de suite, en ce sens et en pleine solidarité, « en créant un fonds européen ad hoc, alimenté par la création monétaire de la BCE ». Il pourrait octroyer à ces projets vitaux pour l’avenir des Européens des crédits à taux zéro, voire négatifs.

(1) Interview publiée dans le Monde du 29 juin dernier. (2) « L’Europe que nous voulons ».


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