L’inquiétude monte autour du méthane, l’autre bombe climatique

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SOURCE : Reporterre

Les émissions de méthane, un gaz à effet de serre très puissant, flambent à cause de nos modes d’élevage, du traitement de nos déchets et de l’extraction d’énergies fossiles. Ce phénomène amplifie considérablement le dérèglement climatique et ses conséquences.

C’est un gaz à effet de serre très puissant, souvent qualifié de « bombe climatique ». Les concentrations de méthane (CH4) dans l’atmosphère ne cessent d’augmenter, accélérant les dérèglements climatiques déjà palpables aux quatre coins de la planète : c’est le principal enseignement d’une analyse publiée, mercredi 15 juillet, par le Global Carbon Project (GCP), qui veille sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette étude fait l’objet de publications dans les revues scientifiques Environmental Research Letters et Earth System Data. Elle a été pilotée par une équipe de recherche internationale, menée en France par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).

Depuis le début de la révolution industrielle, les concentrations de méthane dans l’atmosphère ont augmenté de plus de deux fois et demie. Elles atteignent désormais 1.875 parties par milliard, un taux inégalé depuis au moins 800.000 ans. Ces chiffres sont préoccupants, car si le méthane est le deuxième gaz à effet de serre en quantité dans l’atmosphère, après le dioxyde de carbone (CO2), il a un effet de réchauffement 28 fois plus important que ce dernier, sur un horizon de 100 ans. « Aujourd’hui, on estime que le méthane contribue à hauteur de 23 % du réchauffement lié aux émissions de gaz à effet de serre anthropiques », précise Marielle Saunois, enseignante-chercheuse au LSCE et coordinatrice de l’étude.

Les émissions de méthane sont très corrélées aux activités humaines, expliquent les scientifiques

Or, sur la période récente, la tendance s’accélère. Après une phase de stabilisation au début des années 2000, une augmentation continue des concentrations de méthane depuis 2007 a été observée par les réseaux de mesures internationaux. Pire, le rythme des émissions s’est accéléré depuis 2014.

Evolution des concentrations de méthane dans l’atmosphère depuis deux siècles

Mais d’où viennent ces émissions de méthane ? Elles sont très corrélées aux activités humaines, expliquent les scientifiques. Au moins 60 % des rejets de CH4 dans l’atmosphère leur sont directement imputables. « Le méthane est émis par la décomposition de la matière organique en milieu anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène, comme les décharges, la panse des bovins, ou dans les rizicultures, explique Philippe Bousquet, un des co-auteurs de l’étude. Le CH4 peut aussi se retrouver dans l’atmosphère à cause de fuites dans les chaînes d’extraction d’énergies fossiles, ou encore avec la combustion de biomasse dans des milieux peu oxygénés. »

Pour expliquer le boom des concentrations de méthane dans l’atmosphère, différentes hypothèses sont avancées par les scientifiques. Certains incriminent la flambée de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis dans les années 2000, dont les industriels ont sous-déclaré les fuites de méthane de leurs puits, et l’exploitation du charbon en Chine depuis les années 2010. D’autres pointent du doigt l’accroissement de la taille des élevages de bétail en Asie, en Amérique latine et en Afrique, également sources de rejet important de méthane, liés aux phénomènes de fermentation lors de la digestion des animaux — en d’autres termes, la flatulence des vaches.

L’étude du Global Carbon Project confirme ces deux hypothèses. « Les trois régions où la hausse des émissions est la plus marquée sont l’Afrique, la Chine et l’Asie, suivies par l’Amérique du Nord et les États-Unis, dit Marielle Saunois. En Afrique et en Asie, hors Chine, c’est principalement lié à l’agriculture et aux déchets. En Chine et en Amérique du Nord, aux énergies fossiles. » La chercheuse estime que 60 % de l’augmentation des émissions proviennent des régions tropicales, et le reste des moyennes latitudes.

L’Europe est la seule région du monde où les émissions semblent avoir diminué, entre moins quatre et moins deux mégatonnes de méthane par an, selon les méthodes d’estimation utilisée. « Cette décroissance est liée majoritairement au secteur agricole, à la diminution de notre cheptel, et à la gestion des déchets », précise Marielle Saunois. Mais la baisse des émissions européennes ne signifie pas que le Vieux Continent est plus vertueux que les autres. « Dans notre étude, nous ne prenons pas en compte les transferts d’émissions », reconnaît Marielle Saunois. C’est-à-dire que, alors que l’Europe importe du pétrole de schiste ou du bétail élevé hors de ses frontières, les émissions liées à ces importations n’est pas prise en compte dans le calcul de ses émissions.

Concernant les régions arctiques, sources d’inquiétude en raison des grandes quantités de méthane qu’elles pourraient produire, l’étude du Global Carbon Project se veut rassurante : « Les émissions de méthane n’y ont pas encore augmenté significativement, ce qui veut dire que, pour le moment, la forte sensibilité climatique des hautes latitudes ne se traduit pas par une forte hausse des émissions de méthane dans ces régions », observe Marielle Saunois.

« Les scientifiques recommandent donc aux décideurs de réduire drastiquement les émissions de méthane anthropiques »

Le dégel — déjà bien commencé — de ces régions est pourtant l’une des menaces les plus lourdes qui pèsent sur l’équilibre du climat terrestre. Elles abritent les pergélisols, des sols constamment gelés qui contiennent de grandes quantités de matière organique. « En dégelant, elles fermentent, ce qui pourrait produire des quantités importantes de méthane », prévient Philippe Bousquet, qui imagine « que ça arrivera progressivement dans les décennies à venir, mais dans des proportions qu’on n’arrive pas encore bien à estimer ».

Les clathrates de méthane (aussi appelées hydrates de méthane), qui correspondent encore mieux à l’idée de « bombe climatique », sont elles aussi « a priori stables » pour Philippe Bousquet. Ce sont des structures glacées, naturellement présentes dans les fonds marins, qui renferment du méthane sous une forme très concentrée — un mètre cube de clathrates peut contenir jusqu’à 165 mètres cubes de méthane. « Le réchauffement des océans tend à les rapprocher de zones d’instabilité mais, comme la pression augmente du fait de la hausse du niveau des mers, ça compense. Attention, toutefois, à ne pas trop réchauffer », prévient-il.

« Le changement climatique est déjà irréversible, mais si nous libérons ces sources potentiellement énormes de méthane, nous n’aurons plus aucune chance de respecter les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat », s’inquiète le professeur, qui observe que « nous suivons déjà les pires scénarios du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui prévoient une augmentation de 3,3 °C à 5,5 °C d’ici 2100 ».

Trajectoire des émissions de méthane comparée avec les scénarios du GIEC

Pour recoller à des trajectoires — et à des futurs — plus désirables, les scientifiques recommandent donc aux décideurs de réduire drastiquement les émissions de méthane anthropique. « Ça peut passer par l’identification des fuites dans les infrastructures pétrolières et gazières, la réduction de la taille des élevages ou des changements dans l’alimentation des bovins », propose Marielle Saunois, qui ajoute que « des actions en ce sens seraient payantes à très court terme, beaucoup plus vite que pour le CO2, puisque la durée de vie du méthane dans l’atmosphère est d’à peu près dix ans. »(contre une centaine d’années pour le CO2)

Des marges d’erreur et des zones d’ombre importantes persistent encore autour de ces émissions. « Il existe une myriade de sources relâchant du méthane, difficiles à recenser et à quantifier », reconnaît Marielle Saunois. « Les contributions des sources naturelles telles que les zones inondées, les lacs, les réservoirs, les termites, ou les hydrates, sont encore assez méconnues », ajoute Philippe Bousquet.

Par ailleurs, les sources qualifiées de « naturelles » par les chercheurs sont elles-même très perturbées par le changement climatique anthropique. De sorte qu’« il est compliqué de savoir quelle part des émissions on peut attribuer à des activités humaines ou à des processus naturels, dit Marielle Saunois. Dans les zones humides, les émissions de méthane augmentent à la fois avec la température et avec l’humidité. Or, sous l’effet du changement climatique, elles deviennent plus chaudes et s’étendent, et elles peuvent relâcher plus de méthane. » Mais, conclut Philippe Bousquet, « il ne fait désormais plus aucun doute que les activités humaines sont motrices dans ces changements majeurs et ces taux de concentration de méthane inégalés ».


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