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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
Herman Benson, militant socialiste vétéran et combattant pour la démocratie à la base dans le mouvement ouvrier, est décédé le 2 juillet à l’âge de 104 ans.
Herman était le dernier survivant, du moins à ma connaissance*, de la « première génération » de socialistes du « troisième camp » – les trotskystes qui, à la fin des années 1930, avaient rompu avec l’orthodoxie selon laquelle l’Union soviétique représentait encore une sorte « d’état ouvrier » digne d’être défendu , et qui ont fondé la tradition politique résumée par le slogan « Ni Washington ni Moscou, mais le socialisme international », et avec laquelle depuis le milieu des années 1980, Workers’ Liberty s’est identifié.
Avec Max Shachtman, Hal Draper et d’autres, Herman a fondé le Workers Party (plus tard l’Independent Socialist League, ISL), pour qui il a travaillé en tant qu’organisateur à New York et Detroit, et en tant que rédacteur en chef de son journal, Labor Action. Il a été le candidat du Workers Party à l’élection du maire de Detroit en 1947 et, travaillant comme un outilleur qualifié, il avait une expérience de la lutte de classe au niveau de l’atelier.
Comme beaucoup d’anciens dirigeants du Workers Party/ ISL, Herman s’est éloigné du socialisme explicitement révolutionnaire et du projet de construire un parti marxiste. Mais contrairement à certains, il n’a jamais abandonné la lutte de classe et la cause du socialisme, se consacrant à lutter pour la démocratie à la base dans le mouvement syndical.
En collaboration avec Clyde Summers, professeur de droit à l’Université de Yale, Herman a contribué à l’adoption du Labor Management Reporting and Disclosure Act en 1959, une loi qui protégeait les droits des syndiqués de base à la liberté d’expression, leurs droits de vote et les libertés démocratiques au sein de leurs syndicats. Il s’agissait d’un mouvement ouvrier qui n’était pas seulement dirigé par des bureaucrates incompétents ou conservateurs, mais souvent par des permanents profondément corrompus, souvent soutenus par ou directement impliqués dans le crime organisé.
Herman a fondé le bulletin Union Democracy in Action, puis l’ Association for Union Democracy (AUD) , pour soutenir les efforts de la base à l’intérieur des syndicats pour les réformer, apportant un appui vital aux campagnes au sein de nombreux syndicats, les plus connues étant peut-être celle qui a suivi l’assassinat du responsable pro-réforme Joseph Yablonski et celle de l’International Brotherhood of Teamsters où le réseau des « Teamsters pour un syndicat démocratique » (TDU – Teamsters for a democratic union) s’est attaqué à la corruption et au crime organisé. AUD est toujours actif et publie Union Democracy Review.
(…)
La leçon politique fondamentale des longues années d’activité d’Herman au service de la cause de la démocratie syndicale est que le mouvement syndical est un terrain de lutte et que si nous, travailleurs de la base, voulons que nos syndicats soient propres à mener un combat de classe, nous devons être prêts à organiser en leur sein des luttes rebelles, oppositionnelles et transformationnelles.
Mon premier contact direct avec Herman a eu lieu en 2012, lorsque j’ai édité un symposium de témoignages et de souvenirs de militants impliqués dans la tradition WP / ISL, ses ramifications et ses successeurs dans la gauche américaine. La contribution de Herman était un compte rendu sobre sur les origines de la tendance et pourquoi, à son avis, elle n’avait pas réussi à maintenir la forme d’une tradition politique distincte. Plus tard, je l’ai interviewé à propos du deuxième volume de « The Fate of the Russian Revolution »,( Le Destin de la Révolution Russe), une série de livres publiée par l’AWL réunissant en une anthologie ce que nous avons appelé « les textes perdus du marxisme critique », les tentatives des trotskystes « hétérodoxes » et de certains des « orthodoxes » d’arriver à saisir les implications politiques et idéologiques du stalinisme. Herman était le seul contributeur à être encore vivant dont le travail a été inclus dans cette anthologie. Dans notre interview il a dit : « en lisant cela à l’age de 100 ans, cela réactive l’énergie d’un fanatique de 24 ans ».
J’ai eu l’honneur de rencontrer Herman en 2016 dans son appartement de New-York. Je me souviens qu’il a exprimé sa surprise – agréable, je pense – que nous ayons publié les tomes deThe Fate of Russian Revolution. J’ai dû lui apparaître comme une sorte d’archéologue idéologique, essayant de déterrer une tradition politique à moitié enfouie et de la remettre en usage. J’ai été fasciné d’entendre ses histoires sur le travail d’organisation de sections localesdu Workers Party à New York et à Detroit, et sur l’activité du parti dans l’industrie et dans les syndicats, dont il se souvenait avec une clarté étonnante pour un centenaire.
Je ne peux pas dire, sur la base de notre correspondance occasionnelle et d’une rencontre, que j’ai « connu » Herman, mais de mon contact avec lui, et de ce que je sais de son travail, il me semble qu’il y a un fondement clair et cohérent à sa vie politique qui relie son travail antérieur en tant que fondateur de la tradition hétérodoxe-trotskyste du « troisième camp » et plus de 60 ans de lutte dédiée à la démocratie syndicale : l’idée que, sans démocratie, il ne peut y avoir de socialisme.
Herman comprit que ni un État autoritaire contrôlé par des bureaucrates « communistes », ni des syndicats bureaucratiques contrôlés par des dirigeants corrompus, ne pourraient jamais être des instruments pour le progrès des droits des travailleurs, encore moins pour la transformation socialiste de la société. La lutte pour la démocratie en tant qu’élément irremplaçable du projet socialiste était fondamentale pour Marx et Engels – la démocratie non pas comme procédure technocratique ou administrative, mais comme processus de renforcement et instrument d’auto-émancipation. Le réformisme étatiste et, de manière encore plus barbare et grotesque, le stalinisme, ont arraché la démocratie radicale de sa véritable place dans l’effort du socialisme, dans ce que cela signifie être socialiste. Toute la vie politique d’Herman peut être vue comme une tentative de la ramener à sa position centrale. Il a vu une redécouverte des débats relatés dans « Fate » comme des contributions à cela écrivant que « ces discussions rétablissent la défense de la démocratie dans la société en tant que thème central non seulement pour les socialistes mais pour tous ceux qui recherchent la justice sociale. »
Et comme il l’écrivait dans sa revue du volume deux de Fate for New Politics : «Les trotskystes hétérodoxes ont souligné la nécessité d’un contrôle démocratique sur la propriété nationalisée. A partir de là, l’objectif explicite du contrôle démocratique de toute la propriété productive – nationale, sociale ou privée – n’est pas un saut de géant idéologique. Comme je le vois maintenant, la leçon est qu’aucune forme de propriété ne garantit la justice sociale ; la clé de la justice sociale réside dans le contrôle de l’État, c’est-à-dire dans la bataille de la démocratie. Tel est le lien inséparable entre le socialisme et la démocratie. »
Ce fut un honneur de se battre aux côtés d’Herman dans « la bataille de la démocratie », bien que pour une période relativement courte dans le contexte de sa longue vie politique, et même si nos principaux théâtres de combat étaient séparés par un océan. J’ai été profondément honoré et fier, comme je sais que beaucoup d’autres camarades l’ont été, quand Herman a envoyé ses salutations à l’Assemblée Générale Annuelle de Workers’Liberty en 2016, écrivant : « Dans la grande cause du socialisme, vous insistez sur la nécessité de défendre la démocratie. Continuez ce bon travail. »
Les idées fondamentales pour lesquelles il s’est battu ont une actualité urgente comme elles ne l’ont jamais été. Il y a ceux à gauche qui défendent et soutiennent la Chine, la Russie, l’Iran, Cuba ou d’autres États ou mouvements autoritaires revendiquant une forme d’opposition à l’hégémonie mondiale et il y a ceux de notre mouvement qui se contentent de laisser nos syndicats stagner en passifs prestataires de services dirigés par des bureaucraties inertes (parfois peuplées, peut-être pas par hasard, par des apologistes des États chinois et cubain). Contre ces approches, les principes qui ont animé et façonné la vie politique de Herman Benson peuvent aider à fournir ce qu’il a appelé « un antidote à la pensée stalinienne », et réorienter et refonder un socialisme ouvrier toujours démocratique qui peut nous permettre de refaire notre mouvement pour que, grâce à lui, nous puissions transformer la société.
Traduction par nos soins (APLS)
* Commentaire d’Alan Wald, sur le site de New Politics, 19 juillet 2020 :
« Herman n’est pas le « dernier survivant » des membres fondateurs du WP/ISL de Max Shachtman aux États-Unis. Il y a ,également au moins, Oscar Paskal à Detroit. Il a récemment fêté son 100e anniversaire. Oscar était un membre fondateur à la fois du SWPpuis du WP, et est répertorié comme représentant de « New International » à la fin des années 1930. Il a été actif à Detroit dans l’UAW et en tant qu’éducateur du travail (à la Wayne State University) pendant de nombreuses décennies – et très admiré par tout le monde. Il était fréquemment associé à BJ Widick et a été à DSA pendant un certain temps. Je l’ai vu, il y a un an, lors d’une réunion de la section locale 600 de l’UAW à Detroit au cours de laquelle il y a eu plusieurs exposés historiques. Il était à cette époque alerte et avait bon moral. Je ne serais pas surpris s’il y avait quelques autres survivants là-bas. »
A propos de l’auteur :
Daniel Randall vit et travaille à Londres. Il est cheminot et délégué sur son lieu de travail pour le Syndicat national des cheminots, des travailleurs maritimes et des transports (RMT) et membre de l’Alliance for Workers’ Liberty(AWL).
De mère américaine, il est né et a grandi en Grande-Bretagne. Citoyen américain, des visites régulières lui ont permis de maintenir des liens avec la gauche aux États-Unis. Représentant syndical cheminot, il s’est souvent tourné vers ce que qu’il appelle « les militants de base du mouvement ouvrier américain, y compris l’Association for Union Democracy (AUD) et Labor Notes, fondés par des socialistes formés dans la tradition du « troisième camp ». Cet article a été publié sur le site de l’AWL puis sur celui de New Politics le 17 juillet 2020.