Plongée dans le monde merveilleux du dialogue social

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Livrons-nous à un exercice de pensée : imaginons que les dirigeants syndicaux en France soient sortis du confinement avec une amnésie complète sur les évènements l’ayant précédé, concernant les relations entre syndicats, patronat et État : black-out, en particulier, sur la lutte contre la loi anti-retraite de Macron, l’unité CGT/FO/FSU/Solidaires/UNEF pour son retrait, le refus de la CGT et de FO de participer à la « conférence de financement ». Vierges comme des nouveaux-nés, admettons donc que nos dirigeants ont été favorablement impressionnés par l’image nouvelle et l’accent gersois de M. Castex, au point de voir en lui avec sincérité ce «gaulliste social qui rompt avec Macron » (Yves Verrier, selon Le Monde du 17 juillet dernier), ou quelqu’un « de direct »,« qui connaît bien les syndicats » avec un « passé qui plaide pour lui » (Philippe Martinez sur France Inter le 18 juillet). Imaginons.

Juste quelques jours après avoir, vierges et immaculés, rencontré le brave, honnête, et de surcroît « gaulliste social », ce M. Castex « qui rompt avec Macron » qui l’a pourtant nommé, nos braves et sympathiques gentils bonhommes de dirigeants syndicaux sont néanmoins en mesure de se faire une opinion !

Qu’on en juge :

  • Assurance-chômage. Castex leur a dit le 17 juillet que la réforme était reportée (mais nullement abrogée, ni même suspendue…) mais le décret paru exclut du bénéfice de ce que Castex a en réalité appelé un « décalage »(sic) de cette contre-réforme les gens ayant perdu leur emploi jusqu’au 1° août, donc tous les licenciés et non embauchés du confinement et de ses suites, qui doivent toujours, pour avoir droit aux allocs, avoir travaillé au moins 6 mois sur 24, et non pas 4 mois sur 28.

  • Fonction publique. Mme De Montchanin Amélie, dont le titre est « ministre de la Transformation et de la Fonction publiques » (sic), recevant les fédérations de fonctionnaires le 24 juillet, a refusé pèle-mêle (faut-il s’en étonner ?), tout dégel du point d’indice salarial, tout plan de revalorisation, tout chiffrage de la politique officielle sur l’égalité hommes-femmes, et jusqu’à l’application de l’indemnité compensatrice de la hausse de la CSG aux nouveaux recrutés, titulaires ou contractuels.

  • « Ségur de la santé »Après avoir dû faire une concession sur les salaires qu’il était obligé de faire, « Ségur » ou pas, (et à laquelle la signature, stratégique, de la Fédération FO n’était pas nécessaire), O. Véran a aussi dû annoncer que la tarification à l’acte ne serait pas le monde exclusif de financement des hôpitaux, sans plus de précisions. Pour le reste, il le dit : ce Ségur est un « accélérateur du plan Ma Santé 2022 dans tous les domaines », c’est-à-dire qu’il revendique la continuité totale, et même « l’accélération » avec les contre-réformes déjà engagées qui ont mis la santé publique dans l’état où elle est et que la pandémie a forcé les aveugles volontaires à reconnaître eux-mêmes.

  • « Emploi des jeunes »« Un jeune, une solution » : Castex débloque 6 milliards pour aider les jeunes … heu, non, pour aider les patrons : 4000 euros pour ne pas payer les « charges » du jeune, et des emplois sans statuts, sous-payés, sous-qualifiés, mis en place sur fonds publics. 6 milliards : c’est le montant probable de la somme que la fraude patronale au chômage partiel représente depuis le début du confinement …

Nos braves, naïfs et honnêtes dirigeants dépourvus de tout préjugé et de tout a priori ont donc pu se faire une opinion : il s’agit, de la part d’un exécutif affaibli, de recourir à eux pour faire passer sa pilule, car il ne peut faire autrement !

Le 17 juillet, une « feuille de route » leur a été remise par Castex. Ils devront se rendre (où, comme vous allez le constater, ils se sont, semble-t-il, déjà rendus ) :

  • A la « concertation sur l’assurance chômage » en septembre.

  • A la concertation sur l’emploi des jeunes dès le 22 juillet ils y sont allés, c’est là que Castex a annoncé son « plan » – avec installation d’un « comité de suivi » en septembre.

  • A la « grande concertation nationale » sur le « plan de relance » de l’économie, en juillet-août, suivie de « concertations sectorielles et territoriales » en septembre et octobre 2020, devant accoucher elles aussi d’un ou de plusieurs « comités de suivi ».

  • A la « concertation tripartite » sur les « métiers en tension » entre janvier et mars 2021.

  • A la « concertation paritaire » sur le télétravail, qui selon la « feuille de route » de M. Castex a déjà commencé le 19 juin dernier sur la base d’un « diagnostic partagé » : ah bon ? Il y a donc déjà un diagnostic partagé ???

  • Au « chantier Santé au travail »(sic) qui a déjà démarré mi-juin et doit aboutir d’ici fin 2020.

  • Au « chantier tripartite Partage de la valeur », sans blague, portant sur « l’épargne, l’actionnariat salarial, l’intéressement, la gouvernance et l’équité », taratata, qui démarre en septembre.

  • Aux « chantiers sectoriels Travail détaché » censés déboucher sur des accords le régulant entre septembre et décembre 2020.

  • Au « chantier tripartite Travailleurs des plateformes », même calendrier annoncé.

  • A la « concertation tripartite » sur les « travailleurs de la deuxième ligne » (?) pour lequel un « état des lieux partagé » est annoncé pour octobre.

  • A la « séance de concertation sur la création de la 5° branche Autonomie » de la protection sociale, ce serpent de mer initié sous Sarkozy avec le travail non payé de la Pentecôte, séquence qui aura lieu, figurez-vous donc, le 27 juillet : cette attaque contre la Sécurité sociale a fait l’objet d’une loi et le Conseil constitutionnel a été saisi vendredi 24. Ces lignes sont écrites dimanche 26 … Les dirigeants confédéraux iront-ils à la réunion de demain ? Ils n’en ont, en tous cas, rien dit …

Mais poursuivons.

Nos braves et honnêtes dirigeants sont aussi invités à se rendre à la « concertation tripartite » devant démarrer cet automne sur l’« évolution du système de retraites et des conditions de travail des seniors », devant démarrer cet automne.

Au « comité de suivi paritaire semestriel d’évaluation de la mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage » qui doit être installé en octobre 2020. A la « concertation sur la nouvelle trajectoire » – la nouvelle trajectoire de la restructuration des branches professionnelles.

A la « multilatérale » (sic) sur la « méthode de travail pour donner suite » aux travaux de la « Convention Citoyenne sur le Climat », qui est censée être réunie d’ici fin juillet pour déboucher sur des « réunions thématiques » en septembre devant « finaliser les dispositions législatives d’application ».

Au « chantier Financement de la protection sociale » pour lequel des projections – « partagées », comme de bien entendu – seront pondues par le Trésor et le COR (Conseil d’Orientation des Retraites ) en septembre, avec « concertation tripartite au CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) » : ce machin vise à relancer la réforme anti-retraites.

Et à la « concertation sur la gouvernance » de l’Assurance Chômage à l’automne.

Ouf ! Vous en redemandez ? La liste n’est pas forcément exhaustive, c’est vrai ! C’est qu’il faut les occuper, même pendant leurs vacances bien méritées, ces braves et honnêtes dirigeants !

Sérieusement, s’ils n’ont pas compris … Aucun de ces « chantiers », « multilatérales », « concertations », n’est une négociation. Tous visent, dans la tradition gaulliste aussi bien que pétainiste, « sociale » comme on dit, à associer les syndicats à l’État et au travail législatif (c’est parfois explicite, comme pour la « multilatérale » sur le climat) ou à avoir au moins la caution de leur « participation ».

Une question se pose : oui, il faut l’unité dans la grève, reprendre l’offensive au niveau central et national, cette offensive-défensive que les travailleurs, jeunes, employés des PME, chômeurs … sont en train de mener par eux-mêmes dans des centaines d’entreprises et de localités. La CGT propose le 17 septembre, pourquoi pas en effet.

Mais faut-il en même temps aller dans tous ces « machins » ? Est-ce neutre ? Le communiqué de la CGT publié au sortir de la « conférence sociale » le 17 juillet le préconise : « La CGT s’inscrira dans l’ensemble des rendez-vous nationaux comme en territoire et organisera, autant que de besoin, les mobilisations sociales les plus larges afin de réellement peser sur chacun des dossiers.» Idem pour FO. Idem de la part des fédérations de fonctionnaires, confrontées à un ministère hostile et autoritaire, mais prompt à multiplier les convocations à de tels « rendez-vous ».

La réalisation de l’unité d’action doit aller de pair avec la rupture de ce « dialogue social » néfaste. L’unité ne peut qu’aller de pair avec l’indépendance envers État et patronat. Quelles sont les vraies revendications ?

Le blocage des licenciements, des moyens massifs pour la santé et l’éducation, l’abrogation des lois Macron contre les retraites, le code du travail, le statut de la fonction publique et l’assurance chômage. Voila notre agenda. Le 17 novembre 2018 et le 5 décembre 2019 déjà, nous l’avons fait passer devant celui de Macron et des patrons. Alors, oui, pour parler un instant comme Castex, nous avons un « chantier » : imposer cet agenda !

Pas de participation au dialogue social bidon ! Grève unie !

26-07-2020.


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