En prison, à son paroxysme le paradoxe tutoie l’absurde : c’est le règne de l’arbitraire

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Le Poing

Pourrais-je goûter un autre air que celui de la prison F.Kafka

Une lectrice et amie du Poing nous a proposé le texte ci-dessous, qui réfléchit sur la question carcérale. Son approche très personnelle, diffère de celle le plus souvent énoncée par Le Poing (dénonciation sociale et anti-autoritaire, dans l’objectif d’une abolition de la prison). Ici, l’auteure réfléchit sur le langage de l’enfermement. Elle-même a eu une longue pratique professionnelle dans les services fermés/ouverts de psychiatrie. Pour cet article, elle a aussi nourri sa réflexion par un dialogue approfondi avec une amie qui travaille dans les services pénitentiaires. Par ailleurs, elle en réfère à ses lectures de livres de Jean-Marc Rouillan (Le tricard et Paul des épinettes et moi).

Ce que la langue dit en prison

De convocations en notifications, décision, interdiction, assignation,  incarcération , réclusion.
En application – des peines –  probation, exécution, obligation, infirmation , infraction.

A quand la promesse de la libération ?

Tous ces mots de notre langue contiennent un seul sens,ils sont en béton sans fissures sans question. Et pourtant c’est dans les prisons et avec la justice que le langage de « ceux qui décident pour d’autres » convoque sans cesse :

– les oxymores qui réunissent ou accolent deux mots de sens différents
– les antithèses qui rapprochent deux antonymes au sein d’un même énoncé
– les paradoxes qui rapprochent des idées opposées
– voire l’énantiosème qui signifie une chose et son contraire dans un même mot.

C’est la langue parlée par l’administration pénitentiaire et en amont par la justice, par le juge d’application des peines, une langue qui ne permet pas au sens de trouver une direction, un semblant de vérité, en tout cas de ne pas se perdre.

Mais il est aussi dit que le paradoxe peut nous inviter à réfléchir, voire à révéler une autre vérité que celle affirmée, qu’en est il dans le cas de la détention… ?

« Une langue, entre autres, n’est rien de plus que l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister » (Jacques Lacan, cité par Barbara Cassin).

Ce que la prison fait à l’être humain :

« La prison c’est d’abord un supplice intime qui nous envahit pour éliminer toute trace du dehors. C’est une odeur, un bruit … On devient en permanence un étranger.

Les effets d’une vie d’incarcération sur les habitudes inscrites dans le corps d’un être humain,

les pratiques dilatoires d’une administration de la justice qui diffère, retarde, suspend, qui fait se succéder en deux décisions les semaines comme les heures pendant lesquelles on doit survivre dans un temps immobile.  La libération devient un mirage et la liberté fait peur car le prisonnier sait qu’il découvrira à ce moment là en franchissant la porte l’ampleur de l’amputation intime qu’il a subie au cours de ces années d’emprisonnement… » (Jean-Marc Rouillan).

La sanction d’incarcération produit un effet d’électrochoc sur la personne mais l’arbitraire de l’organisation de la vie , du temps carcéral et judiciaire ne cesse de produire une aggravation du sentiment d’injustice et de colère contre cette machine qui ne remplit pas ses fonctions, ses objectifs, dont l’éthique a disparu accompagnée d’un sens moral perverti. Alors que l’enjeu serait une réflexion argumentée sur le «  bien agir » pour retrouver une place quelque part dans sa vie avec le monde des autres.

Cette violence institutionnelle, ce règne de l’arbitraire c’est la double peine, la triple peine ; deux voire trois personnes dans 9 m2, une hygiène impossible à tenir, une intimité violée en permanence par l’oeilleton de la surveillance. En prison tout est toléré, tous les trafics, quitte à se servir de cette tolérance pour coincer quelqu’un. Ça en dit long sur le non-sens de la punition et ceux qui suivent les règles à la lettre ne seront pas forcément récompensés.

Ce sont bien les prisons, les différents lieux et les différentes formes de détention, de privation de liberté qui nous révèlent l’état d’une société et des rapports entre les humains.

Ce que le Covid a fait à la prison

Le Covid a permis qu’il n’y ait, temporairement, plus de matelas par terre, mais également plus du tout d’activités, moins ou pas de parloirs. Une promesse générale de remise de peine si le détenu avait un bon comportement pendant le confinement. Le Covid a parfois pu permettre d’être plus rigoureux mais dans la réalité d’après qui est la même que celle d’avant, toutes les mauvaises habitudes « d’arrangement » ont repris le dessus …. Les textes et les lois disent : « on ne mélange pas dans le même enfermement les prévenus et les condamnés », mais parfois nécessité fait loi et ils sont mélangés selon le taux d’occupation des maisons d’arrêt et des centres de détention. La pandémie ne va pas susciter du jour au lendemain une nouvelle organisation du système pénitentiaire d’insertion et de probation plus juste, plus équilibrée, surtout plus sensée.

Ce que dit l’application des peines

En amont  l’instruction et la condamnation, en aval l’application des peines : tout ça c’est la justice.

Les juges d’application des peines sont «  tout puissants » et n’ont personne au dessus d’eux pour éventuellement réguler leurs décisions ; sous prétexte d’indépendance leur puissance est renforcée.

Le système de remise de peine fait qu’une semaine par mois effectué est accordée sur la peine infligée,  c’est la remise de peine spécifique ce que l’on appelle « la grâce de départ » et si les détenus font «  des efforts de réinsertion » alors cela se cumule avec une autre semaine en plus : c’est la remise de peine supplémentaire qui peut être annulée ou diminuée en cas de sanctions.

C’est bien dans la notion de «  bon comportement » que tout l’arbitraire et la perte de sens s’originent, on nage en plein sable mouvant, c’est à dire que rien ne tient, nulle part où s’accrocher pour nager dans un sens qui aille quelque part. Au fil de la détention les aménagements de peine et les libérations conditionnelles seront  suspendus au suivi de soins. Tout ce système de pernicieuse récompense « remises de peine,  jours de grâce, permissions » est suspendu aux Attestations qui elles mêmes dépendent des psychiatres, des psychologues. Obligatoires, de par les textes tous les trimestres, elles peuvent se cumuler à l’envie.

Pourtant il n’y a pas d’obligation de soins en prison, simplement une incitation et les efforts de réinsertion sont évalués à l’aune de la demande de travail, de formation, de soin, voire de remboursement des parties civiles. Une pression qui ne dit pas son nom, qui est rarement refusée vu les enjeux personnels ,mais surtout qui recouvre et empêche de déceler la réalité d’une demande à « se retrouver, se comprendre refaire partie du monde social des humains ». Tout est à l’envers, le chemin ne peut pas se faire dans le bon sens. D’autant que lorsque les psychiatres ou les psychologues ne voient parfois pas « leur rendez vous détenu » arriver, ils ne savent pas toujours si c’est un refus de venir (de la part du détenu), ou un refus d’accompagnement (de la part du personnel pénitentiaire)…

A la défaillance  par manque de personnel dans les suivis de réinsertion, s’ajoute un souci  plus sécuritaire que social, ce qui est assuré c’est le contrôle mais pas un soutien ou un suivi un tant soit peu humain. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation SPIP travaillent avec des professionnels formés à l’ Ecole Nationale de l’ Administration Pénitentiaire ; ces professionnels  suivent une orientation inscrite dans un objectif de contrôle, d’acceptation de la peine, pas d’assistance sociale. «  Aider à la décision judiciaire, participer à l’individualisation des peines et à leur exécution ». Être garant des obligations judiciaires ou bien aidant, le choix est dicté par les derniers textes, encore un paradoxe d’une belle ambiguïté !

Et justement, quand on a été condamné, se déclarer innocent c’est rédhibitoire ! Il vaut mieux plaider coupable, ne pas faire appel car tout est aménageable , tout bien faire pour tout axer sur la sortie. Quelqu’un qui se dit innocent n’obtiendra rien, cela pose tout de même le statut de la parole quand on sait à quel point il est important pour rester debout, pour être soi de ne pas se renier faute d’être condamné à l’inexistence sociale par le bréviaire du repentir. Et sincère, le repentir !

Ce que le temps fait à la prison

Différer, retarder, suspendre: la scansion du temps immobile, ne jamais avoir de réponse sur ses demandes quelques qu’elles soient même celle de vouloir travailler et pourtant attendre quelque chose tout le temps, c’est la pratique dilatoire du temps qui retarde l’objet de la demande  en permanence par son caractère vague et ambigü. Par contre ce temps de probation, de mise à l’épreuve, de suivi adapté, celui-là est codifié, contrôlé, examiné dans la chaîne des mots en béton du début de ce texte. Le temps d’un mandat de dépôt avant un procès,  le temps n’importe plus ils ne l’ont plus. Tant de fois j’ai entendu à l’hôpital psychiatrique : «  Vous êtes pressés… pourtant vous n’avez plus rien à faire,  vous avez le temps… maintenant ! »

Le temps d’un avenir qui dure longtemps…

                                                                                                          B. C.


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