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SOURCE : Marianne
Sur son casque de travail, il arborait un blason représentant la 12e Panzer SS, une division nazie ayant officié pendant la Seconde Guerre mondiale. Le CRS G. a été sanctionné en 2015 par décision du ministère de l’Intérieur. Mais cela ne l’a pas empêché d’être promu brigadier-chef le 30 juin 2020 par un arrêté signé de la main de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, « pour le ministre de l’Intérieur et par délégation ».
Ce CRS était l’un des supérieurs hiérarchiques d’Inès (le prénom a été changé) en 2012 : elle était gardienne de la paix et lui brigadier dans une compagnie de Joigny (Yonne). Inès est l’une des personnes ayant lancé l’alerte sur l’admiration de son chef pour le matériel nazi, ainsi que sur les propos sexistes tenus dans leur unité et sur sa « mise à l’écart » par lui et d’autres.
Dans une attestation datée de 2012 que Marianne avait pu consulter en 2016, un CRS affirmait au sujet de G. : « J’en ai entendu [des propos antisémites et racistes] et on m’en a rapporté, du genre : “Le monde du show-biz, des banquiers, tous des juifs.” J’ai répondu : “Tu sais qu’il y a des juifs pauvres en France.” J’ai aussi entendu : “Les Allemands se sont trompés de cible en 40 en gazant les juifs plutôt que les Arabes.”»
“TRÈS GRAVE MANQUEMENT”
Alors, quand Inès a appris sa promotion, elle est restée pantoise. Comment imaginer que lui soit récompensé et qu’elle n’ait toujours pas obtenu une réparation ? Pour cette Franco-Algérienne, mère de trois enfants, sportive – qualifiée pour le Championnat de France « Cross police » – être policière, c’était « donner un sens à sa vie en aidant son prochain », mais personne ne semble avoir voulu l’épauler. En 2013, le cabinet du ministère de l’Intérieur affirmait : « Des premiers éléments de l’enquête administrative, les accusations de discriminations liées à l’origine de l’intéressée ne paraissent pas étayées ».
L’enquête concluait tout de même au sujet de l’insigne nazi dans un rapport de 2014 consulté par Marianne en 2016 à « un très grave manquement du brigadier G. au plan administratif » et à un acte « contraire aux valeurs de la police ». Le CRS expliquait aux enquêteurs « être amateur de matériel militaire de cette époque » et que « malheureusement le meilleur matériel était du côté allemand ». Drôle de justification. Ce CRS avait alors reçu sa sanction du ministre Bernard Cazeneuve : quinze jours d’exclusion.
“SYMPATHIES NÉO-NAZIES”
En 2014, dans une plainte contre X déposée au TGI de Paris, l’avocate d’Inès expliquait que cette dernière avait été « profondément choquée d’apprendre, photos à l’appui, que l’un de ses supérieurs hiérarchiques directs affichait ouvertement des sympathies néo-nazies (…) Il est plus que probable qu’elle ait fait les frais des idées nauséabondes de ce policier. » Son avocate ajoutait : « Le principal témoin de ces agissements qui les a dénoncés par voie d’attestations, a été mis à l’écart » par « punition ». Ce dernier n’a pas souhaité s’exprimer.
Concernant les propos discriminatoires qu’Inès raconte avoir subis de ce supérieur hiérarchique et d’autres CRS de la même brigade, le cabinet du ministère de l’Intérieur expliquait, en 2014, que « de nouveaux éléments laissaient apparaître des dysfonctionnements et des comportements inappropriés de certains agents » et requérait une mission d’investigation. Mais la Place Beauvau concluait : « Il est apparu, au terme de cette enquête, que si l’intéressée a parfois rencontré avec certains collègues des difficultés d’ordre relationnel, elle partage la responsabilité des incidents évoqués. »
Ces conclusions sont diamétralement opposées à celles rendues par le Défenseur des droits le 4 décembre 2015. Saisis par Inès, les services de l’autorité indépendante ont corroboré les propos sexistes subis et sa mise à l’écart, par une enquête minutieuse, un « travail de près de deux ans », signalent-ils à Marianne. Les investigations de la police en ont pris pour leur grade : « L’enquête administrative (…) a banalisé la situation vécue par celle-ci sans jamais chercher à vérifier si, pris dans leur ensemble, les agissements dénoncés étaient justifiés ». `
Il était alors recommandé au ministère « d’examiner la demande de mutation d’Inès afin qu’elle puisse retrouver rapidement une affectation lui permettant d’exercer ses fonctions dans des conditions sereines ». Résultat : depuis son congé maladie après une blessure en service en 2012, elle a été en congé maternité et parental, s’y sentant forcée puisque la seule mutation proposée était, affirme-t-elle, bien trop éloignée de chez elle.
“PLAISANTERIES GRAVELEUSES”
En décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon renchérissait : « En défense, le ministre de l’Intérieur (…) ne conteste pas sérieusement l’existence de “plaisanteries graveleuses” et “regrettables” (selon ses termes) régulièrement subies par la requérante dans un climat sexiste et délétère ».
Le tribunal donnait raison à Inès considérant qu’elle était « fondée à soutenir qu’elle avait été victime de faits de harcèlement et de discrimination (…) et que l’administration avait commis une faute en ne prenant pas des mesures appropriées pour préserver son agent. » Le tribunal administratif attestait même : « Cette faute est de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Inès a tout de même fait appel, car ses requêtes de protection fonctionnelle et de mutation à proximité de son domicile avaient été rejetées.
Quant à son ancien supérieur, qui arborait un insigne SS, il a continué sa carrière à Joigny. Il aurait fait les frais d’une pathologie cérébrale l’année passée et serait depuis en congé maladie, ce qui n’a pas empêché sa promotion, une récompense qui devrait lui permettre de toucher une retraite plus élevée, puisqu’elle est calculée avec 75% du salaire des six derniers mois.
“IL EST PROMOUVABLE”
Le service de communication de la police explique : « Il est promouvable depuis 2014. Le 6 février 2020, la commission administrative paritaire compétente a proposé son avancement au grade de brigadier chef à partir des règles appliquées à tous les fonctionnaires, sur la base des trois dernières évaluations et de la réussite aux examens professionnels. » Cela ne semble donc pas disqualifiant pour une promotion dans la police d’avoir porté un blason nazi et d’avoir évolué dans une ambiance sexiste dans son unité. Sollicités à plusieurs reprises, ni le ministère de l’Intérieur, ni le brigadier chef G, n’ont répondu.
Inès est écœurée : « J’ai dénoncé le sexisme, le racisme, et moi, du coup, je n’ai plus de carrière. C’est injuste. On se dit que quand on est victime ou témoin de faits répréhensibles dans la police, il vaut mieux se taire ou se barrer. Lui, ses idées resteront, malheureusement. » Une plainte avec constitution de partie civile déposée en 2015 par Inès est toujours en cours d’instruction au tribunal de Sens.