Pour Slavoj Žižek, le nouveau monde sera… communiste !

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SOURCE : Marianne

Dans “Dans la tempête virale”, le philosophe slovène Slavoj Žižek dissèque la crise politique et sociale initiée par le Covid-19 et en appelle à une nouvelle forme de communisme.

Nouveau phénomène éditorial, les livres traitant du confinement et de la pandémie de Covid-19 ne sont pas près de s’arrêter, au risque de provoquer une overdose sur les lecteurs. Si bon nombre d’ouvrages sont écrits trop rapidement ou ressassent des propos maintes fois entendus, quelques-uns valent réellement le détour. Le dernier livre de Slavoj Žižek, Dans la tempête virale (Actes sud) en fait parti.

LUTTE DES CLASSES

Reclus dans sa maison de Ljubljana, le philosophe analyse froidement la gestion du confinement des pays les plus riches, afin d’en tirer des conclusions adéquates. La crise a été en premier lieu, selon Slavoj Žižek, un révélateur de la situation sociale internationale. “La vieille chaîne de montage fordiste a été remplacée par un nouveau monde”, et la pandémie nous a permis de comprendre s’organise à présent la division internationale du travail : “d’un côté, dans l’Occident développé, des travailleurs s’auto-employant et s’auto-exploitant (…) ; d’un autre, dans les pays du Tiers Monde, des chaînes de montage parfaitement abrutissantes – deux groupes auxquels il faut ajouter celui toujours plus important et diversifié des services à la personnes (et sa main-d’œuvre allant de l’aide à domicile au livreur), où l’exploitation surabonde.”

Le premier groupe est composé de “travailleurs précaires œuvrant toute la sainte journée devant leurs ordinateurs personnels”, durant le confinement, ainsi que de travailleurs créatifs, “dont on attend qu’ils assument des fonctions entrepreneuriales au nom de leurs supérieurs hiérarchiques ou des propriétaires de leurs entreprises.” Néanmoins, en Occident, la crise a surtout pointé la détresse du troisième groupe. Elle a mis la lumière sur “une classe entière de professionnels des services à la personne qui sont la plupart parfaitement exploités – bien que différemment de l’ancienne classe ouvrière telle que la concevait l’imaginaire marxiste.” “En première ligne : c’est elle qui a le plus grand risque de contracter le virus au travail et c’est elle aussi qui court le plus le risque de se retrouver au chômage, sans la moindre ressource, à cause du ralentissement économique imposé par le virus”, souligne David Harvey, que cite Slavoj Žižek. C’est pour cela que le Slovène propose de dédier à cette classe le 1er mai. Le confinement n’a cependant pas été qu’un simple révélateur social. Il a aussi initié des changements importants dans nos sociétés.

CHANGEMENTS DURABLES

D’après le philosophe, nos sociétés ont franchi les cinq phases que traverse toute personne qui vient d’apprendre qu’elle est condamnée à mourir prochainement, selon Elisabeth Kübler-Ross dans Les derniers Instants de la vie : le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. Il nous faut, selon Žižek, accepter que notre vie risque de durablement changer. Selon lui, l’épidémie est partie pour durer, sous différentes formes. Nous continuerons à vivre avec des masques, sans nous embrasser ni nous serrer la main et nous connaîtrons peut-être de nouveaux confinements. De même, les technologies sont vouées à prendre plus de poids dans nos vies. Enfin, la situation économique devrait s’empirer, alors que le désastre écologique guette. Slavoj Žižek ne sombre cependant pas dans un récit apocalyptique.

Il pense qu’“alors que l’épidémie se propage dans le monde entier, nous devons comprendre que les mécanismes de marchés ne suffiront pas à endiguer le chaos et la faim à venir”. Selon lui, “nous devrions simplement, fondamentalement, court-circuiter les logiques de rentabilité et nous fixer pour principal objectif de rendre nos sociétés capables, en de telles circonstances, de mobiliser leurs ressources, pour continuer à fonctionner.” C’est pour cela qu’il ne croit pas, à l’image du philosophe italien Giorgio Agamben, à un renforcement du “capitalisme de surveillance”. Mais, pour éviter la “barbarie”, il nous faudra repenser de fond en comble l’organisation de nos sociétés. Contrairement à beaucoup de gens, le Slovène ne croit pas que la souveraineté soit la solution. Il pense au contraire que les États devront être capables d’abandonner une partie de leur souveraineté. C’est en Europe, où la crise risque de se faire ressentir plus fort, que c’est le plus urgent. D’après lui, “la première chose qui s’impose relève d’une quasi-impossibilité : le renforcement de l’unité opérationnelle de l’Europe, tout particulièrement de la coordination franco-allemande.” Selon le Slovène des institutions internationales comme l’Organisation mondiale de la santé devraient “se voir attribuer un pouvoir exécutif plus grand.”

Enfin, pour Slavoj Žižek , la solution réside dans “une nouvelle forme de ce qui était appelé jadis communisme”“au sens du slogan bien connu de Marx : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins””. Mais “loin de tout ­avenir radieux”, explique-t-il, il s’agit d’un “com­munisme du désastre” en tant qu’antidote au ­ “capitalisme du désastre” dont parlait l’essayiste Naomi Klein. Pour lui, “l’Etat devrait assumer un rôle bien plus actif, en organisant la production la production d’objets de première nécessité – masques, kits d’analyses et appareils ventilatoires – mais aussi en réquisitionnant des hôtels et autres lieux de villégiature, en garantissant un revenu minimal à toutes les personnes qui se retrouvent sans travail, etc.” Il y perçoit, à la suite de Peter Sloterdijk un “”co-immunisme” (soit une immunisation collectivement organisée contre les attaques virales)”. Un joli programme, mais qui semble un brin utopique et irréaliste.

Slavoj Žižek, Dans la tempête virale, Actes sud, 160 pages, 16 euros


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