AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Les Echos
En 2020 et 2021, les pays de l’Union européenne pourraient connaître une chute de l’investissement public et privé de 850 milliards d’euros. Le plan de relance ne prévoit pourtant que 390 milliards d’euros de subventions en trois ans. On est loin du compte, estime Arnaud Montebourg.
Face au plan de relance européen, on est saisi du même étonnement que Stendhal lorsqu’il connut le baptême du feu au col du Grand Saint-Bernard : « Quoi ! N’est-ce que ça », s’exclame Henry Brulard ? Au moins eût-il l’honnêteté de ne pas décrire son action comme héroïque ou historique.
Alors que la plus grande pandémie du XXIe siècle continue de faire des ravages, les chiffres de la Commission européenne sont alarmants : en 2020 et 2021, les pays de l’Union européenne pourraient connaître une chute de l’investissement public et privé de 850 milliards d’euros. Le plan de relance ne prévoit pourtant que 390 milliards d’euros de subventions en trois ans. Certes, il est inédit de permettre à la Commission européenne d’emprunter directement, mais on est bien loin des 2.000 milliards d’euros souhaités par le commissaire européen Thierry Breton ou par le Parlement européen.
Par ailleurs, ces subventions vont venir se substituer, et non s’ajouter, aux plans de relance nationaux, comme l’a admis Emmanuel Macron lui-même. Si la France obtient ainsi 40 milliards d’euros via l’Union européenne, elle réduira ainsi son plan de relance de 100 à 60 milliards d’euros. C’est tout ce qu’il ne fallait pas faire pour éviter que l’écart se creuse avec l’Allemagne, qui va déjà investir de son propre chef plus de 130 milliards d’euros. Par ailleurs, en l’absence de ressources propres (seule une taxe sur les produits plastiques non recyclables devrait voir le jour en 2021), l’essentiel du remboursement passera par un alourdissement de la contribution de chaque pays au budget européen. Comme la contribution de la France représentera désormais 17,3 % du budget européen, celle-ci pourrait donc rembourser jusqu’à 67 milliards d’euros au titre du plan de relance, soit 27 milliards d’euros de plus que les subventions obtenues ! Très mauvaise négociation pour la France !
Et cela, en partie, pour payer les rabais obtenus par les pays qui ont le plus fait pour bloquer la négociation, à commencer par les Pays-Bas, dont le rabais double, pour atteindre 2 milliards d’euros, alors que le pays dispose du second excédent commercial en Europe derrière l’Allemagne ! Mais cela concerne aussi la Suède, le Danemark et l’Allemagne… Très mauvaise négociation pour l’Europe !
A terme, l’accord prévoit bien la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et une redevance numérique avant le 1er janvier 2023. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite. Le mécanisme d’ajustement carbone est discuté depuis plus de dix ans, sans qu’une négociation concrète ait débuté, car les pays fortement exportateurs, Allemagne et Pays-Bas en tête, ne souhaitent pas prendre le risque de mesures de rétorsion. Quant à une taxe numérique, un accord européen doit être trouvé à l’unanimité alors que certains pays, comme la Suède, refusent d’en passer autrement que par un accord international sous couvert de l’OCDE. Or les Etats-Unis viennent justement d’indiquer qu’ils se retiraient des négociations conduites dans ce cadre.
Quant aux 360 milliards d’euros de prêts, ils ne comptent pour rien. Le mécanisme européen de stabilité (MES) permet déjà aux Etats d’obtenir des prêts sur une base mutualisée. Et pourtant, aucun pays européen n’a demandé l’aide du MES, car ils empruntent tous à des taux extrêmement faibles grâce à l’action de la Banque centrale. Si bien qu’il y a fort à parier qu’aucun Etat ou presque ne recourra à cette nouvelle ligne de prêts.
Cette ambition en dessous du minimum du plan de relance a-t-elle au moins été compensée par des avancées du point de vue du budget européen qui était négocié en même temps ? C’est tout le contraire. Là où le Parlement européen demandait 1.300 milliards d’euros pour le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027), le budget est arrêté à 1.073 milliards d’euros, moins que le précédent.
Jeudi dernier, le Parlement européen a largement voté une résolution (465 voix pour, 150 contre et 67 abstentions) pour faire part de son opposition à cet accord. Le Parlement estime « que les coupes proposées dans les programmes relatifs à la santé et à la recherche sont dangereuses dans le contexte d’une pandémie mondiale, que les coupes proposées dans les domaines de l’éducation, de la transformation numérique et de l’innovation mettent en péril l’avenir de la prochaine génération d’Européens ».Ce plan ressemble donc fort à une anti-victoire, qui sacrifie l’avenir de l’Europe en la privant de vision et de moyens.
Arnaud Montebourg est ancien ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique.