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SOURCE : Dissidences
Un compte rendu de Frédéric Thomas
Ce court essai reprend les dix-huit articles de Victor Serge dans L’Intransigeant du 4 octobre 1939 au 11 février 1940, et qui n’avaient jusqu’à présent pas été publiés1. « Comment Victor Serge est-il amené à écrire dans le quotidien L’Intransigeant, s’interroge Charles Jacquier dans l’introduction ? Rien ne l’indique » (p. 22). Textes de circonstance donc, dont le premier article délivre la clé de lecture ; celle du « totalitarisme ». Ainsi, à propos de l’évolution de l’Allemagne dans les années 1930, Victor Serge écrit : « une masse flottante de plus d’un million et demi d’électeurs passait de l’un à l’autre parti [nazi et communiste]. Un facteur psychologique dominant les luttes politiques du moment rapprochait ces hommes : leur mentalité totalitaire » (p. 32). Cette notion de « totalitarisme » fait l’originalité et la limite de son analyse. D’ailleurs, bien qu’il rende bien compte de la faiblesse de l’URSS par rapport à l’Allemagne nazie, il mesure mal la puissance de cette dernière, s’imaginant qu’« Hitler ne peut faire en Occident qu’une guerre d’usure et dans laquelle tout indique qu’il s’usera lui-même » (p. 89). Cela ne l’empêche pas d’être clairvoyant, grâce en grande partie à sa connaissance de « la situation intérieure de l’URSS » (p. 43) et à sa lecture géopolitique.
Ainsi, le 6 octobre 1939, il écrit que les dirigeants russes « ont obéi dans leur politique étrangère au désir d’éviter la guerre, qu’ils ne sauraient faire sans accepter des risques immenses. Ils ont suivi la pente du moindre effort, qui était de s’entendre avec le voisin le plus redoutable contre le plus faible, avec l’Allemagne contre la Pologne ; sans doute vont-ils continuer en soumettant à leur influence les pays baltes et en récupérant ainsi les frontières de l’empire russe » (p. 43). Il évoque en outre la menace du sentiment national des républiques composant l’URSS, notamment l’Ukraine, dressée contre « le despotisme central » (p. 48-19, 67), et la situation particulière à l’origine du « drame finlandais » (p. 75). Drame auquel il consacre plusieurs articles, célébrant la résistance finlandaise, expliquant la déroute de l’armée soviétique dans un premier temps par la faiblesse de son infrastructure ferroviaire (d’où les difficultés logistiques et de ravitaillement), la décapitation d’une grande partie du commandement militaire suite aux procès de Moscou, et la « psychose du commandement » actuel, « avec des généraux amoindris par la peur et la servilité » (p. 104).
Le titre de cet essai est extrait de la fin d’un article du 25 novembre 1939 : « Ce n’est pas la girouette, chacun le sait, qui tourne, et parfois vite, c’est le vent. N’importe. Les poignées de mains échangées par le chef génial et « solaire » – textuel – avec M. Von Ribbentrop provoquent dans les bibliothèques, l’enseignement, les consciences serviles, les ouvrages les plus sûrs, des remaniements qui ne sont pas près de finir. Et 170 millions de citoyens, réduits à cette seule pâture intellectuelle, chaque année remaniée à la suite des exécutions et des tournants imprévus de la tyrannie, sont mis ainsi de force à l’école du cynisme le plus outrageant » (p. 82).
Si les textes rassemblés ici, vu leur destination et leur caractère de circonstance, n’ont pas la même puissance que d’autres essais de l’auteur, ils situent néanmoins sa réflexion à un moment crucial. On découvrira avec plaisir, par ailleurs, les dessins de Vlady (celui de la couverture notamment), le fils de Victor Serge, dont plusieurs portraits de son père, qui rythment les divers articles.
1Les éditions Nada ont par ailleurs récemment édité un autre inédit de Victor Serge : Essai critique sur Nietzsche. Voir https://www.nada-editions.fr/?product=essai-critique-sur-nietzsche#tab-description.