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SOURCE : Libération
Enfermée depuis deux ans, la célèbre défenseuse des droits humains proteste contre les conditions de détention, encore plus dégradées depuis le début de l’épidémie de Covid–19.
Depuis sa cellule, Nasrin Sotoudeh écrit : «Militants des droits humains ! En pleine crise du coronavirus, qui touche l’Iran et le monde, les conditions des prisonniers politiques sont devenues si difficiles que leur détention ne peut plus continuer avec tant d’oppression.» L’avocate, infatigable défenseure des persécutés, livre ensuite une courte plaidoirie en faveur de ceux et celles qui, comme elle, sont enfermés au terme de procédures douteuses sans recours, ni sans droit. Ce courrier qui a réussi à sortir de sa geôle se termine par ces mots : «Je commence une grève de la faim et exige la libération des prisonniers politiques. Dans l’espoir d’établir la justice dans mon pays, l’Iran.»
Nasrin Sotoudeh connaît aussi bien le système judiciaire iranien que la prison. Elle y a effectué un premier séjour en 2009, après avoir défendu des opposants à la réélection fortement contestée de l’ultra-conservateur fantasque Mahmoud Ahmadinejad. «Actions contre la sécurité nationale et propagande contre le régime», a dit le tribunal : six ans. Elle en fait la moitié, libérée après la remise du prix Sakharov en 2012 qui salue une personnalité engagée dans la défense des droits humains.
La liberté recouvrée n’est pas totale : l’avocate n’a plus le droit de plaider devant les tribunaux révolutionnaires. De cette justice, elle en parlait en 2018 à Libération comme d’«un système défectueux, dont les membres ne sont pas élus et qui a le monopole décisionnel en ce qui concerne les droits humains». Nasrin Sotoudeh se lançait alors dans la défense des «filles de la Révolution», ces femmes, souvent loin de toutes les structures militantes, qui ont enlevé leur voile en public pour protester contre son port obligatoire. Toutes ont été arrêtées. Puis est venu le tour de leur avocate. «Conspiration contre le système», insulte contre Guide suprême, incitation à la prostitution, entre autres : 38 ans de prison (seule la peine la plus lourde, dix ans, doit être effectuée), et même 148 coups de fouets.
Depuis, Nasrin Sotoudeh, 57 ans, est détenue à Evin, la prison de sinistre réputation du nord de Téhéran, où sont détenus les prisonniers politiques. Elle partagerait une immense cellule avec une quarantaine d’autres femmes, dont l’anthropologue franco iranienne Fariba Adelkhah, condamnée à cinq ans de prison en appel fin juin, au terme d’une procédure là encore opaque, vigoureusement dénoncée par ses soutiens et la diplomatie française. Une autre étrangère, la jeune chercheuse australo-britannique Kylie Moore-Gilbert, vient d’être secrètement transférée à Ghartchak, une prison isolée du centre du pays, l’une des plus surpeuplées et des plus redoutables, surtout au temps du Covid.
Hygiène
Depuis le début de l’épidémie, les autorités iraniennes sont soupçonnées de sous-estimer le bilan global : le service persan de la BBC a publié début août une enquête affirmant que 42 000 personnes étaient décédées du Covid, contre environ 14 000 officiellement. Dimanche, un officiel iranien a assuré que les chiffres étaient maquillés. Le quotidien qui a publié l’interview, Jahan-e Sanat (le Monde de l’industrie), a été fermé lundi. Le pouvoir a néanmoins accepté des libérations conditionnelles de détenus, peu après le début de la pandémie. Mais pas pour les prisonniers politiques.
«La situation est très dangereuse dans les prisons, entre autres à cause du Covid. Des centaines de prisonniers sont détenues à Evin, souvent dans des conditions d’hygiène précaire», s’alarme Karim Lahidji, de la Ligue pour la défense des droits humains en Iran. Ce camarade de route de Nasrin Sotoudeh se dit «très, très inquiet de la santé» de sa consœur emprisonnée désormais en grève de la faim. «Ce n’est pas la première fois que Nasrin Sotoudeh décide de mettre sa vie et sa santé en danger pour faire passer un message», rappelle-t-il. La dernière arme d’un long combat.