Qu’attendre de la nomination de Dupont-Moretti à la justice ?

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SOURCE : Lundi matin

Tous les observateurs s’y accordent, la nomination d’Éric Dupond-Moretti en tant que garde des Sceaux était avant tout un « coup de com’ » ; et au vu des torrents de commentaires suscités, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a fonctionné.
Cela dit, à quoi peut-on s’attendre pratiquement de la part de cette nouvelle recrue du gouvernement ? C’est la question que nous avons posée à l’avocate Marie Dosé.

Bonjour Marie Dosé, et merci d’avoir accepté cet entretien. Eric Dupond-Moretti a été nommé ministre de la justice le 6 juillet dernier. Celui-ci ayant été, tout au long de sa carrière d’avocat, extrêmement critique de la magistrature, notamment de son corporatisme et de la proximité entre les juges et les procureurs, cette nomination a été, comme on pouvait s’y attendre, qualifiée de « déclaration de guerre » par l’Union Syndicale des Magistrats, le syndicat majoritaire. Cette nomination vous a-t-elle paru surprenante ?
Cette nomination a évidemment eu l’effet escompté de celui qui l’a décidée : surprendre le monde judiciaire et, au-delà, l’ensemble des citoyens et des justiciables. Mais l’effet de surprise passé, et tout passe si vite aujourd’hui, je comprends difficilement quelle portée l’Elysée a souhaité donner à un tel acte en forme de « coup de com ». A dix-huit mois des prochaines élections présidentielles, dans quel projet précis pour la justice s’inscrit la nomination de mon ancien confrère ? Qu’est-ce qui, dans ce que défendait publiquement Eric Dupond-Moretti, a pu convaincre l’exécutif de l’impérieuse nécessité de le nommer garde des Sceaux ? Je ne vois pour ma part aucun point commun entre les prises de position constantes et courageuses de mon ancien confrère et le discours du président de la République en date du 15 janvier 2018 consacré à sa vision des réformes judiciaires à mener. Je sais le garde des Sceaux aguerri au risque d’instrumentalisation mais ne peux m’empêcher, en le voyant rétropédaler sur l’annonce d’une révision constitutionnelle ou défendre aujourd’hui ce qu’il dénonçait hier, de considérer cette nomination bien tapageuse sur la forme et peu réfléchie sur le fond.La « guerre » n’aura pas lieu et le choix de faire entrer Eric Dupond-Moretti au gouvernement ne saurait être durablement interprété par les magistrats comme une « déclaration de guerre », mais force est de constater que si le dessein de l’exécutif était de mener à bien des réformes profondes et essentielles pour la justice en si peu de temps, il aurait pris soin de nommer une personnalité moins « clivante ». Le temps précieux que perd mon ancien confrère à rassurer les uns et les autres sur ses intentions et sa prise de conscience de ce qu’implique sa nomination est déjà un handicap…
Pourtant, comme vous, Eric Dupond-Moretti a tout au long de sa carrière d’avocat dénoncé le populisme pénal, la restriction des droits et des libertés au nom de la lutte contre le terrorisme, et défendu les droits des personnes mises en cause. Pouvez-vous en attendre quelque chose, maintenant qu’il est ministre de la Justice ?
A vrai dire, je préfère déjà ne plus en attendre grand-chose : le simple fait d’avoir accepté une telle nomination induit trop de renoncements pour tenter de démêler ce qui relève de la loyauté envers soi-même ou envers le gouvernement auquel on appartient. Quelques semaines après sa nomination, mon ancien confrère défendait une proposition de loi instaurant le placement sous surveillance électronique des justiciables condamnés pour des infractions à caractère terroriste après leur condamnation [[NDLR : prévoyant le port d’un bracelet électronique par des personnes ayant pourtant purgé leur peine, et ce jusqu’à dix ans après la sortie de prison], en assurant que ladite proposition était équilibrée et respectait les libertés fondamentales. Le même homme sans cravate et en robe noire avait crié au scandale des années plus tôt concernant la rétention de sûreté applicable aux condamnés ayant purgé leur peine. Et le pire est que ce qu’il a dénoncé vertement hier comme avocat pénaliste a été validé par le Conseil constitutionnel, alors que ce qu’il défend aujourd’hui comme garde des Sceaux vient d’être censuré. Tout ceci, au fond, est assez pathétique. Mon ancien confrère donne certes quelques gages oratoires de son attachement viscéral à la présomption d’innocence et à la lutte contre la surpopulation pénale mais pour aussitôt se retrancher derrière le peu de temps qui lui est imparti… A t-il vraiment pris le risque d’accepter une telle fonction sans gage ni garantie ? La justice a besoin d’un garde des Sceaux ambitieux et responsable qui redonne de la noblesse à ce ministère trop souvent considéré comme un sous-secrétariat du Ministère de l’Intérieur et régulièrement sacrifié à l’aune d’un populisme pénal qui n’en finit plus de l’affaiblir. Est-ce vraiment là l’ambition du président de la République, puisque de son ambition dépend celle du garde des Sceaux ?
En tant qu’avocat et auteur de livres sur son expérience des tribunaux, Eric Dupond-Moretti était favorable à une refonte de la formation des magistrats, ainsi qu’à une réforme visant à séparer les carrières des juges et des procureurs. Il déclare maintenant qu’il n’aura pas le temps de mener de telles réformes lors de cette mandature. Est-ce une déception ?
Je ne pense pas que la priorité en matière judiciaire soit de réformer la magistrature, et le peu de temps dont dispose le garde des Sceaux risque fort de lui couper tout élan. Ce qui est curieux et incompréhensible à mes yeux est qu’Eric Dupond-Moretti en avait parfaitement conscience et a malgré tout accepté sa nomination. Et je salue sur ce point la sagesse du juge Van Ruymbeke qui a refusé la mission que souhaitait lui confier mon ancien confrère à moins de deux ans des élections présidentielles… Le quinquennat est de toute façon l’ennemi des réformes en profondeur, et tout particulièrement lorsqu’un ou deux remaniements ministériels viennent troubler le cours des « chantiers » amorcés. Chacun sait qu’à dix-huit mois des élections présidentielles, le dessein d’un gouvernement est de ne surtout plus réformer pour ne pas froisser les susceptibilités.
Vous êtes l’avocate de plusieurs femmes et enfants français, actuellement détenus en Syrie, notamment au Rojava (Kurdistan syrien), dans le camp d’Al-Hol, tenu par les YPG. Quelle est, en Syrie, la situation de ces personnes, leurs conditions de détention, et la nature des procédures en cours à leur encontre ?
Nous sommes plusieurs avocats (et notamment Henri Leclerc, Martin Pradel, Emmanuel Daoud, Ludovic Rivière, William Bourdon) à représenter les familles des enfants français détenus dans des camps au nord-est syrien, et nous savons mieux que personne combien ces enfants et ces familles souffrent. Ces enfants, dont les deux tiers ont moins de six ans, vivent dans un climat hostile, en zone de guerre, sans éducation, sans soin et sans avenir. La France les a abandonnés au prétexte que leurs parents ont fait le choix de rejoindre la Syrie, et leur fait donc porter une faute qu’ils n’ont pas commise. Les températures avoisinent les 45 degrés actuellement en Syrie, et tous ces mômes survivent comme ils peuvent sous des tentes de fortune, malnutris et affaiblis. Et puis, surtout, des cas de contamination au Covid 19 ont été mis en exergue dans ces camps où la propagation du virus risque d’être fulgurante. Nous avons saisi les juridictions nationales civiles, administratives et pénales, et nous sommes également tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme et les Comités onusiens. Certains d’entre nous ont également saisi la Cour de Justice de la République. La difficulté réside dans le fait que le refus de rapatrier ces enfants et leurs familles constitue en droit interne un acte de gouvernement insusceptible de recours devant les juridictions nationales. Ce sera donc à la Cour européenne des droits de l’homme de condamner la France pour son inertie qui expose directement des enfants innocents à des traitements inhumains et dégradants.
Plusieurs médias ont évoqué des évasions récentes de Françaises détenues en Syrie, veuves de combattants de l’État islamique. Avez-vous plus d’informations à nous donner à ce sujet ?
Des Françaises se sont évadées des camps dans lesquels elles étaient détenues arbitrairement avec leurs enfants, je vous le confirme, mais essentiellement dans le dessein de rejoindre la Turquie pour être expulsées vers la France. Le fait est qu’en rejoignant la Turquie ou une zone syrienne sous autorité turque, le protocole dit Cazeneuve conclu entre la France et la Turquie trouve à s’appliquer et prévoit que les ressortissants français sont directement expulsés en France où les attendent les autorités judiciaires en charge de leurs dossiers. Rappelons que ces mères ne sont judiciarisées qu’en France, et qu’elles savent pertinemment qu’une longue incarcération les attend en rentrant dans leur pays. Mais elles fuient les camps pour sauver leurs enfants des conditions de vie sordides dans lesquelles ils se débattent depuis des mois et parfois des années. Certaines de ces femmes ont été récupérées dans leur périple par des cellules dormantes de Daech ou des milices syriennes, et leurs familles n’ont plus aucune nouvelle d’elles ni de leurs enfants. L’inertie des autorités françaises qui persistent à refuser d’organiser le rapatriement de ces femmes et de leurs enfants constitue avant tout un danger pour notre sécurité. Et ce n’est pas par hasard que Daech appelle depuis des mois ses partisans à venir libérer et chercher ces femmes et ces enfants…
Le gouvernement français dit être pour une politique au « cas par cas », concernant le retour en France de ces personnes. Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie concrètement ?
Le gouvernement français n’a jamais parlé de « cas par cas » concernant « ces personnes » mais concernant les « enfants » seulement, ce qui est le comble de l’arbitraire. C’est le fait du prince dans sa déclinaison contemporaine. Sur des critères obscurs et nécessairement inavouables, la France va rapatrier tel enfant et laisser périr tel autre. Au départ, seuls quelques orphelins, pas tous, ont été rapatriés, les autres enfants étant finalement coupables d’avoir une mère encore en vie. Puis, la France a rapatrié en pleine crise sanitaire internationale une enfant atteinte d’une maladie extrêmement grave dont le pronostic vital risquait d’être engagé. Cette enfant a été hospitalisée et opérée sans sa maman, restée avec sa fratrie sous la tente dans laquelle elle a tant souffert à leur côté. Tout ceci est indigne d’un pays comme le nôtre. Quelle histoire de France allons-nous laisser à ces enfants ? Que vont ils penser de leur pays qui les a abandonnés et exposés à un risque de mort sous prétexte que leurs parents avaient rejoint la Syrie ? L’un d’entre eux, qui se souvenait de sa maîtresse, m’a récemment demandé pourquoi elle ne voulait plus de lui…
Eric Dupond-Moretti est personnellement favorable à ce que les Français détenus en Syrie et en Irak soient jugés en France, au nom du droit à un procès équitable. Il a cependant, le 19 juillet dans le Journal du dimanche, assumé appartenir « à un gouvernement qui défend l’idée que ces prisonniers doivent être jugés là où ils ont commis leurs actes et qui examine au cas par cas la situation des mineurs pour leur rapatriement ». Le 31 juillet, il précisait que cette position du gouvernement était liée à la nécessité de respecter des « équilibres diplomatiques ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Eric Dupond-Moretti a fait le choix de devenir garde des Sceaux aux côtés d’un Ministre des Affaires étrangères qui a publiquement assuré que les procès irakiens ayant conduit à la condamnation à mort de 11 Français en quelques minutes étaient des procès équitables, et qui a tenté de négocier avec l’Irak un contrat de sous-traitance judiciaire des Françaises actuellement détenues en Syrie avec leurs enfants. Mon ancien confrère dénonçait courageusement le refus de la France de rapatrier ses ressortissants hier, et explique aujourd’hui faire passer avant toute chose sa loyauté envers le gouvernement auquel il appartient. Quelques centimètres séparent la loyauté de la solidarité, et le garde des Sceaux semble bien pressé de les franchir. Il apprend vite finalement, aussi vite qu’il désapprend ce qu’il fut. Le plus triste est peut-être de l’entendre affirmer ce que le gouvernement avait cessé d’asséner depuis des mois, conscient qu’aucun de nos ressortissants ne saurait être jugé sur place, « là où ils ont commis leurs crimes ». Le Kurdistan syrien n’existe pas, la justice syrienne n’existe pas, et l’Irak a officiellement expliqué à la France qu’elle n’était pas une « poubelle à djihadistes ». Si Eric Dupond-Moretti semble l’ignorer, le gouvernement lui n’a pas eu d’autre choix que de l’acter. J’attends donc d’être reçue rapidement par le garde des Sceaux pour comprendre sa position, comme j’ai été reçue par le Quai d’Orsay et l’Elysée à plusieurs reprises.
Et quelles sont, en tant que représentante de ces personnes, vos demandes à l’État français ?
Une seule et toujours la même : que l’Etat français prenne enfin ses responsabilités. Ces rapatriements sont un impératif humanitaire et sécuritaire et je ne suis pas la seule à l’asséner. Le coordonnateur des juges antiterroristes français, le directeur du Centre d’Analyse du Terrorisme, le Secrétaire général des Nations Unies, le Conseil de l’Europe, le Comité international des droits de l’enfant, l’UNICEF et tant d’autres institutions s’accordent à affirmer que le pire des choix est de laisser pourrir la situation dans ces camps. Le président de la République le sait et partage cette certitude, mais il lui manque le courage politique des grands chefs d’Etat qui ont su transcender l’opinion publique. Et je songe évidemment à François Mitterrand et la peine de mort…
Eric Dupond-Moretti rappelle souvent sa volonté de s’opposer aux « populistes ». Parallèlement, dans le cadre de sa défense de la réforme de la justice des mineurs, il défend une justice plus rapide, et semble faire campagne sur la petite délinquance des adolescents qui pourrirait la vie des honnêtes gens. Aussi, il évoque la possibilité d’un encadrement des jeunes délinquants par l’armée. N’est-ce pas paradoxal ?
Je n’ai pas entendu dans les propos du garde des Sceaux les résonances d’une « campagne sur la petite délinquance des adolescents qui pourrirait la vie des honnêtes gens », mais j’ai été somme toute assez gênée par son clin d’œil complice et appuyé à Eric Ciotti à travers son inepte proposition de loi sur l’encadrement militaire des mineurs délinquants. Quel besoin avait-il de rendre un hommage, même indirect, à celui qui incarne la droite la plus sécuritaire et qui mord sans complexe sur les lignes du Front National depuis des années ? Eric Ciotti, c’est le soutien à l’arrêté interdisant le port du burkini sur les plages de Villeneuve-Loubet, la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, la prison pour les parents de mineurs délinquants, la volonté de limiter le droit du sol aux enfants de parents européens, l’affirmation selon laquelle « le peuple veut l’autorité contre la chienlit »… Eric Ciotti, c’est l’incarnation de tout ce qui a révolté mon ancien confrère pendant des décennies. Alors le voir aujourd’hui saluer la proposition de loi d’Eric Ciotti prônant l’encadrement militaire des mineurs délinquants tout en assurant « vouloir discuter avec tout le monde sauf avec les populistes », c’est tout simplement vertigineux… « Je préfère qu’un jeune ait un militaire pour idole qu’un islamiste radical ou un caïd » assure aujourd’hui le garde des Sceaux dans un registre si réducteur qu’il frôle lui aussi, pour le coup, le populisme qu’il assure pourtant toujours exécrer.
Des cours criminelles, à mi chemin entre le tribunal correctionnel et la cour d’assises, mises en place pour que les magistrats soient seuls à juger les personnes accusées des crimes, sont actuellement expérimentées. De nombreux avocats tiennent à l’existence des jurés d’assises, constitués de personnes tirées au sort, et voient dans la mise en place de ces cours criminelles une volonté de condamner plus facilement les personnes accusées d’avoir commis un crime. Eric Dupond-Moretti, qui a promis après sa nomination de « défendre comme un forcené » les cours d’assises, a annoncé la création d’une « commission de réflexion sur la cour d’assises ». Nous avons pu lire dans la presse que vous faisiez partie des rares avocats pénalistes à défendre la substitution de ces cours criminelles aux cours d’assises. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Je n’ai jamais défendu la substitution des cours criminelles aux cours d’assises, jamais. Et je ne comprends toujours pas comment un journaliste a pu conclure de la lecture de mon premier livre une telle assertion. Je pense simplement que les jurés devraient être mieux formés, qu’il conviendrait de réfléchir à l’opportunité de tirer au sort des citoyens volontaires pour assumer cette charge, de permettre au jury populaire d’avoir accès à l’entier dossier, et de réfléchir à l’omniprésence des magistrats professionnels à leurs côtés jusqu’au délibéré. Mais je défends becs et ongles les cours d’assises composées d’un jury populaire, et n’appelle en rien à soutenir le projet des cours criminelles actuellement en cours d’expérimentation.Et pour conclure sur ce point, la création d’une énième commission de réflexion à dix-huit mois de la fin du quinquennat m’apparaît à tout le moins hasardeuse. La réalité est que la justice est complètement asphyxiée et manque considérablement de moyens. L’expérimentation de ces cours criminelles répond plus à un impératif de gestion qu’à une vision spécifique de l’audience criminelle.
En plus de dénoncer la nomination de Gérald Darmanin, visé par une plainte pour viol, des militantes féministes ont critiqué celle d’Eric Dupond-Moretti, lui reprochant à la fois ses propos tenus dans les médias, notamment ceux concernant le mouvement #Metoo, mais aussi des phrases prononcées lors de plaidoiries, dans le cadre de la défense de certains de ses clients, accusés de viol. En tant qu’avocate pénaliste, qu’est-ce que cela vous inspire ?
La présomption d’innocence s’applique à tous, et il convient de rappeler qu’à ce stade, Gérald Darmanin n’est ni mis en examen ni témoin assisté dans cette affaire. Mais la citoyenne que je suis ne peux s’empêcher de considérer cette nomination en forme de promotion au mieux comme une maladresse, et au pire comme une faute politique. Elle est en tout cas la preuve ultime que le président de la République est complètement déconnecté des aspirations d’un grand nombre de nos concitoyens, lui qui a cru pouvoir mettre un terme à la polémique en évoquant dans une formule ô combien évocatrice la « relation de confiance d’homme à homme » qui s’est construite entre lui et son Ministre de l’intérieur.Et puis, cela pose un vrai problème judiciaire. Un magistrat instructeur est saisi de l’information judiciaire ouverte suite à la plainte avec constitution de la partie civile de celle qui accuse Gérard Darmanin et les commissions rogatoires en cours et à venir seront exécutées par des enquêteurs fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Je doute que la justice puisse s’exercer sereinement dans un tel contexte.

Par contre, je condamne sans réserve les accusations de sexisme ou de machisme proférées à l’encontre d’Eric Dupond-Moretti par celles et ceux qui considèrent que les propos qu’il a pu tenir dans les prétoires ou devant des caméras de télévision signeraient son prétendu « antiféminisme notoire ». Les saillies égrillardes ou provocatrices que mon ancien confrère a glissées en audience ne racontent rien de sa personnalité ou de ses convictions les plus profondes. L’audience criminelle est le lieu de toutes les tensions, de tous les éclats, de toutes les pressions, et l’avocat qui invective, raille ou peste dans cette enceinte n’est rien d’autre que la robe qu’il porte. Il incarne à lui seul la défense d’un accusé ou d’une partie civile, et aucun des mots prononcés par lui ne saurait lui être reproché une fois sa robe tombée. L’avocat puise sa force dans sa liberté, et tout particulièrement dans sa liberté de dire et de tout pouvoir dire. Rien ne m’a choquée dans les propos publics tenus par Eric Dupond-Moretti sur la question du féminisme avant sa nomination au gouvernement : ce sont les mots d’un homme libre et la liberté d’expression est sacrée. Je suis et resterai définitivement plus nuancée que lui sur cette question comme sur beaucoup d’autres, mais je trouve particulièrement déplacé le procès qui lui est fait.

Dernière question. On connaît votre critique de l’état d’urgence, dont vous disiez, avant même qu’une partie de ses dispositions ne soient inscrites dans le droit commun, qu’il légitimait les restrictions à l’État de droit et accoutumait les justiciables au recul des libertés. Diriez-vous la même chose de l’état d’urgence sanitaire, et de certaines des mesures prises pour lutter contre la pandémie ?
La mesure la plus choquante prise dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire a concerné les justiciables présumés innocents dont la détention provisoire a été prolongée automatiquement, sans débat contradictoire et en l’absence de leur avocat. L’empressement de certains magistrats instructeurs à se débarrasser du fardeau de la défense et du contradictoire associé à la lâcheté de la chambre criminelle de la cour de cassation validant peu ou prou le caractère arbitraire des détentions ainsi prolongées m’a profondément écœurée. Ce fut, certes, un recul des libertés, mais ce fut surtout la démonstration de la fragilité de nos institutions qui, finalement, s’accommodent aisément du pire. Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact qu’auront certaines des mesures prises pour lutter contre la pandémie sur nos libertés fondamentales, mais il sera de toute façon sans commune mesure avec la pérennisation de tant de dispositions liées à l’Etat d’urgence dans notre droit commun.

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