Winston Churchill à la chambre des Communes le 19 décembre 1944 pour justifier l’écrasement de la résistance grecque :

« Je crois que « trotskysme » est une bien meilleure définition du communisme grec et de certaines autres sectes que le terme habituel. Il a l’avantage d’être également haï en Russie »

(Rires prolongés sur les bancs des députés conservateurs)

Trotsky, Encore une fois sur la nature de l’URSS (18 octobre 1939) :

Le supplément hebdomadaire du journal parisien bien connu Paris-soir du 31 août 1939 rapporte la conversation très instructive entre l’ambassadeur français Coulondre et Hitler lors de leur dernière entrevue, le 25 août (l’information est vraisemblablement transmise par Coulondre lui-même) : Hitler postillonne et bombe le torse à propos du pacte qu’il vient de conclure avec Staline (« un pacte réaliste ») et « regrette » qu’il faille faire couler du sang français et allemand. « Mais, rétorque Coulondre, Staline fait preuve d’une grande hypocrisie. Le grand vainqueur, en cas de guerre, sera Trotsky. Y avez-vous songé ? — Je sais, répond le Führer, mais pourquoi la France et l’Angleterre ont-elles donné à la Pologne complète liberté d’action etc. ? »

Ces messieurs donnent un nom propre au spectre de la révolution. Mais ce n’est bien entendu pas là que réside l’essentiel de ce dramatique dialogue, au moment même de la rupture des relations diplomatiques. « La guerre va inévitablement provoquer la révolution », assure ce représentant de la bourgeoisie, lui-même glacé jusqu’à la moelle, mais qui cherche à effrayer son adversaire. « Je sais, répond Hitler, comme s’il parlait d’une question résolue depuis longtemps, je sais. » Étonnant dialogue !

 

Ce 20 août marque le 80ème anniversaire de l’attentat perpétré par un agent de Staline contre Léon Trotsky qui entraîna sa mort le 21 août 1940. On aurait tort de croire que cet assassinat, au-delà de son impact pour les quelques milliers de compagnons dont Trotsky pouvait se prévaloir alors à travers le monde, n’a eu alors qu’une incidence tragique mais solitaire. L‘assassinat du Vieux n’est pas l’acte final d’une vieille et triste histoire, il participetoujours de la lutte des classes mondiales chaude et immédiate et a une influence notable sur elle.

En faisant assassiner l’un des plus proches compagnons de Lénine dans la Révolution comme dans la fondation de l’Internationale Communiste, mais aussi dans son dernier combat contre la montée de la bureaucratie, Staline achevait deux choses.

Premièrement, il mettait une touche finale à l’entreprise d’extermination du Parti bolchevik, celui qui avait fait la Révolution. Commencée avec les exclusions, persécutions, emprisonnements et déportations des opposants communistes entre 1927 et 1933, elle passait à une étape supérieure avec les Procès de Moscou (1936-38), phase en fait amorcée en 1934 avec la vague de terreur consécutive à l’assassinat de Kirov. Outre que dans ces mascarades judiciaires, de vieux compagnons de Lénine devenaient du jour au lendemain des « espions au service du fascisme et du Mikado », la GPU et le NKVD procédèrent à l’exécution de dizaines de milliers de militants communistes et en déportèrent au Goulag bien plus encore.

Deuxièmement, parallèlement à la montée en puissance de la bureaucratie dans les rouages du Parti et de l’État, la politique dictée par le centre stalinien de Moscou aux partis de la 3ème Internationale aboutissait non à l’avancée de la révolution mondiale ni à une amélioration du rapport de forces international en faveur de la classe ouvrière. Cette politique dégrada les positions de la classe ouvrière et des opprimés partout dans le monde et facilita la course à la guerre impérialiste. L’assassinat de son opposant principal parachevait cette action continue de destruction de la révolution, à domicile comme par le monde.

Avant de traiter de la période de la guerre mondiale proprement dite, il convient de rappeler les méandres et les méfaits de la politique stalinienne tout au long des années trente.

Ayant transformé les partis communistes en garde-frontières de l’Union soviétique et tournant le dos à leur rôle initial de préparateurs et propagateurs de la révolution mondiale, le Kremlin amena à une succession de catastrophes dont l’une des plus marquantes reste l’arrivée au pouvoir le 30 janvier 1933 de Hitler, sans combat ni réaction sérieuse du mouvement ouvrier le plus puissant du monde d’alors.

Après la politique de la « Troisième Période » (1928-1933) basée sur un ultra-gauchisme aventuriste et diviseur visant le « social-fascisme » (la social-démocratie) et non le fascisme authentique, Staline opta pour la politique des Fronts Populaires (1935-1938), c’est à dire l’alliance des partis ouvriers avec les partis bourgeois « démocratiques » sous prétexte d’unité anti-fasciste.

Au titre des résultats de cette orientation, on peut compter de façon non exhaustive les faits suivants :

– la défaite de la Révolution espagnole de 1936, freinée puis étouffée dans son élan, poignardée dans le dos par les agents staliniens réprimant à partir de Mai 1937 anarchistes, socialistes caballeristes et poumistes, tout en défaisant les milices ouvrières nées de la riposte des masses au Pronunciamento en juillet 1936 et les collectivisations réalisées notamment en Catalogne et en Aragon ;

– la mise en cage du tigre prolétarien français dont la grève générale de mai-juin 36 n’ira pas au-delà de fortes concessions de la bourgeoisie (40 heures, congés payés, délégués du personnel, etc ..), trop heureuse de s’en tirer à si bon compte ; les dites concessions seront presque intégralement reprises dès 1938 par Daladier et définitivement enterrées par Pétain en 1940 ;

– l’abandon des mouvements pour l’indépendance des colonies, principalement dans les empires coloniaux français (Afrique du Nord et Indochine ) et britannique (Inde) ;

– l’empêchement de la naissance d’un parti ouvrier indépendant US dans le sillage de la grande poussée gréviste et syndicale des années 30 (les 3 grèves générales locales de 1934  : Teamsters de Minneapolis, Marins et dockers de San-Francisco, Métallos de l’automobile à Flint ; naissance du syndicalisme industriel de masse avec le CIO) dont les effets sont toujours sensibles aujourd’hui.

Cette orientation ayant abouti à l’échec de toute percée révolutionnaire, la poussée vers la guerre inter-impérialiste, conséquence directe de la crise économique mondiale de 1929 et du besoin du repartage du monde entre vainqueurs et vaincus de 1918, en fut renforcée. Effrayé par la montée en puissance des régimes nazi (Réarmement, remilitarisation de la Sarre, annexion de l’Autriche puis de la Tchécoslovaquie, participation de la Légion Condor à la victoire de Franco) et fasciste (Guerre d’Abyssinie, annexion de l’Albanie, soutien militaire à Franco), inquiet de la propension de Daladier et Chamberlain à céder à toutes les exigences de Hitler (mais les premiers espéraient surtout que ce dernier se tourne contre l’URSS), Staline ne trouva rien de mieux à faire que de décapiter l’Armée rouge en 1938 en faisant fusiller son commandant en chef, le vétéran de la guerre civile Toukhatchevsky, et quelques 40.000 officiers. Dès lors Trotsky annonça que Staline finirait par se rapprocher de Hitler, ce qui fut fait avec la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939.

Cette signature eut les effets suivants : elle laissa Hitler écraser la Pologne, tout en lui donnant un coup de main dans son dépeçage à partir du 17 septembre, puis tourner ses forces librement à l’Ouest ; elle fut complétée par la livraison de fournitures recherchées (céréales, pétrole, minerais) pour l’effort de guerre de l’Allemagne nazie, et quelques cadeaux particuliers : la livraison aux nazis de militants et dirigeants du KPD réfugiés en URSS, passant directement du Goulag à Dachau. Mais surtout, cette signature entraîna une démoralisation et une confusion dans les rangs des militants communistes dans le monde entier. Ainsi donc, le bourreau fasciste assassin d’hier devenait l’ami pacifique du communisme, tandis que les démocraties bourgeoises alliées anti-fascistes de la veille se changeaient en fauteurs de guerre impérialistes.

Staline croyait avoir réussi un bon coup durable  : il se partageait avec Hitler l’Europe orientale (A toi la Pologne et la Tchécoslovaquie ! (Sans oublier la lourde influence de l’Allemagne sur Hongrie et Roumanie) A moi, l’Est polonais, les pays baltes et un bout de la Roumanie ! Et pourquoi pas la Finlande ?) tout en déportant les foudres du conflit mondial à l’Ouest du continent. Joseph aurait bien voulu que son petit ami Adolf fasse durer plus longtemps cette Lune de miel. Même si celle-ci fut brève, il en retira une solide expérience en matière de prise de territoires qu’il reproduira à bien plus vaste échelle en 1945.

En fait, Staline avait participé directement à allumer la mèche du conflit mondial. Que ce soit dans son alliance de 1939-1941 avec Hitler, puis dans son alliance avec les Alliés de 1941-1945, Staline participa à ce que tout militant ouvrier marxiste des années 30 considérait comme une guerre inter-impérialiste pour le partage du monde. Il continua la forme politique des Fronts populaires, à savoir l’alliance avec un camp bourgeois contre un autre, réussissant à changer de partenaire durant le cours du conflit.

Instruites par les vagues révolutionnaires des années 1917-1923, nées des souffrances de la Première Guerre mondiale, les puissances belligérantes se firent une guerre implacable pour le partage du monde mais en respectant scrupuleusement une règle du jeu impérative : plus jamais 1917 (la Révolution en Russie) ! Plus jamais 1918 (la Révolution en Allemagne ) ! Et tous jouèrent le jeu !

Ainsi, tout au long du conflit, jusqu’à sa débâcle finale le régime nazi put terroriser tous les éléments du peuple allemand qui n’avaient nullement envie de sacrifier leur peau pour la gloire du Reich de mille ans. L’essentiel pour tous les belligérants était que ce régime ne devait pas tomber sous le coup de la subversion des masses, ni celles des pays occupés, ni celles du cœur de l’Allemagne dans la reprise de la tradition des mutineries des marins de Kiel en 1918 et des grévistes de Berlin de 1917.

Le régime nazi fut aidé en cela par les bombardements aériens sur les centres urbains peuplés, comme à Dresde.

Il fut aidé en cela par la politique du « A chacun son boche ! ».

Il fut aidé en cela par la politique systématique de viols de toutes les femmes allemandes (et au passage polonaises ou autres) menée à partir de l’entrée de l’armée soviétique sur le territoire allemand.

Ces divers exemples illustrent que les Alliés, occidentaux comme russes, menaient la guerre d’une façon ne permettant pas aux masses de sortir de l’apathie et de la terreur provoquées et de se révolter contre le régime. Et on verrouilla encore plus les choses après la chute de Mussolini en 1943 quand l’effondrement du fascisme provoqua l’irruption des masses italiennes sur la scène.

Il convient de mettre en vis à vis le slogan « A chacun son Boche ! » et la cour assidue faite aux officiers prussiens prisonniers, surtout après Stalingrad, avec la création de la Ligue des Officiers Allemands. Le maréchal Von Paulus valait alors plus que la jeune fille de Poméranie offerte aux soudards ! Et le programme proposé à Von Paulus et les siens était terriblement révolutionnaire : le retour aux frontières de 1937 !

Dans ce carnage organisé avec règle du jeu respectée par les puissants de ce monde, l’assassinat de Trotsky revêtait une importance primordiale car, ainsi que l’ambassadeur Coulondre et Hitler en convenaient, si les souffrances de la guerre engendraient la révolution alors il ne fallait surtout pas laisser le champ libre aux révolutionnaires sérieux et expérimentés. Certes, ce Monsieur Staline en avait exécuté quelques centaines de milliers avec ces Grandes Purges, il avait détruit des partis communistes comme celui de Pologne, comme celui d’Ukraine occidentale, comme celui de Yougoslavie, comme le KPD, comme il avait éliminé des centaines de combattants révolutionnaires en Espagne, mais si jamais il en restait un ? Expérimenté et théoriquement puissant, disposant d’une aura mondiale et d’une organisation internationale, si minime soit-elle….

C’est cette hypothèse là que le meurtrier Ramon Mercader a contribué à refermer. De même qu’en 1919, les assassins des Corps francs ne s’étaient pas trompés de cibles en éliminant Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, portant un coup décisif au jeune parti communiste allemand et à sa capacité de remplir son rôle dans les évènements révolutionnaires, de même le GPU a visé juste en supprimant Léon Trotsky. L’assassinat du Vieux faisait partie du dispositif contre-révolutionnaire permettant le déroulement de la boucherie globale tout en interdisant la révolution libératrice.

Quatre-vingt ans plus tard, avec les soulèvements des peuples du Chili au Liban, de l’Algérie au Soudan, de Belarus à Hong-Kong, avec la vague mondiale des femmes refusant partout de rester au rang inférieur que leur attribue le patriarcat, avec la vague mondiale initiée avec #BLM contre le racisme, l’oppression et la brutalité policière, avec les grèves des travailleurs de tous les secteurs, sur tous les continents, aussi bien pour les salaires que contre les dictateurs, partout l’ombre de la révolution permanente, le spectre de ce pour quoi Léon Trotski et des centaines de milliers de combattants prolétariens sont tombés, sont plus vivaces que jamais et peuplent les cauchemars des puissants de ce monde.

OD, 20-21 août 2020.

Nota :

Le sujet sous-jacent à cet article, celui de l’action des trotskistes dans la Seconde Guerre mondiale, nécessitant de plus longs développements, nous renvoyons à de prochains articles.