De moins en moins de Français estiment que les immigrés sont trop nombreux

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SOURCE : Alternatives économiques

Alternatives économiques, 31 août 2020

Les sondages montrent que les personnes interrogées sont de moins en moins nombreuses à considérer qu’il y a trop d’immigrés en France. Des résultats très influencés par la manière dont sont posées les questions et par les emballements médiatiques sur le sujet.

Un peu moins de la moitié des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France », selon les données 2020 de la Sofres. Voilà un chiffre sur lequel s’appuient de nombreux discours politiques aujourd’hui. Pourtant, il ne signifie pas grand-chose. Et les Français sont de moins en moins nombreux à le penser.

En réalité 18 % de Français sont « tout à fait » d’accord et 28 % « plutôt » (sondage Sofres 2020). On regroupe deux manières de voir bien différentes.

Si la réponse « tout à fait d’accord » est claire, le « plutôt » est vague. Certaines personnes peuvent penser que les immigrés sont « plutôt » trop nombreux dans certains quartiers sans être opposés à leur présence. De fait, les populations immigrées sont très concentrées localement.

Le « plutôt » peut aussi signifier que les sondés aimeraient que les pouvoirs publics prennent davantage en considération les difficultés sociales auxquelles ils sont eux-mêmes confrontés, et que certains attribuent à la présence des immigrés. C’est en quelque sorte le mode d’expression d’une exaspération bien plus large.

Une question de formulation

Le débat médiatique du moment influence les résultats. En fonction de l’intérêt de la presse pour la question, des déclarations des uns et des autres dans les médias, les sondés vont se positionner différemment.

Le record a été battu en 2013 : 19 points séparent alors l’enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) selon laquelle 75 % sont « tout à fait » ou « plutôt » d’accord avec « il y a trop d’immigrés en France », et celle de la Sofres (54 %). Comprenne qui pourra.

La formulation de la question aboutit mécaniquement à une part élevée de « trop ». Les sondeurs recherchent les clivages. Un exercice réalisé en 2000 par la CNCDH a donné des résultats édifiants. L’organisme a posé la même question avec deux modalités de réponse. Dans un cas, à la question « y a-t-il trop d’immigrés ? », on ne pouvait répondre que « trop » ou « pas trop ». Dans l’autre cas, on pouvait répondre « trop », « juste assez » ou « pas assez ».

Dans le premier cas, 60 % de personnes estimaient qu’il y avait « trop » d’immigrés et 30 % « pas trop », 10 % ne sachant pas. Dans le second, on obtenait 48 % de « trop » et 43 % de « juste assez », 1 % de « pas assez », 8 % ne se prononçant pas.

Décrue sur le long terme

En matière d’opinion, les évolutions sur le long terme ont bien plus d’intérêt que la photo du moment. La Sofres réalise depuis 2000 un « baromètre d’image du Front national » dans lequel cette question est posée. Et là, surprise : mis bout à bout, les sondages de la Sofres font apparaître une baisse de la part des Français qui sont « plutôt » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés » !

Nous sommes passés de 60 % au début des années 20001 à 46 % en 2020. La réduction a surtout eu lieu à la fin des années 2000. Après une remontée entre 2010 et 2013, on a assisté à une nouvelle décrue.

Pour vérifier cette évolution, nous avons rassemblé les résultats de deux enquêtes supplémentaires, celle de la CNCDH et celle du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), disponibles pour les dix dernières années. Elles confirment la même évolution : une montée de la part de la population hostile à la présence d’immigrés au début des années 2010 suivie d’une diminution dans les années récentes (à partir de 2014).

Les attentats de 2015 n’y ont rien changé. Les crises migratoires autour de la Méditerranée semblent davantage provoquer de la compassion que de tensions dans l’opinion.

Les crises migratoires autour de la Méditerranée semblent davantage provoquer de la compassion que de tensions dans l’opinion

Enfin, l’évolution est encore plus nette si l’on se concentre sur la seule réponse qui a vraiment du sens, la part de ceux qui se disent « tout à fait » d’accord avec la thèse selon laquelle il y aurait trop d’immigrés. Cette part a été quasiment divisée par deux entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, de 50 % à 25 %. Dans les années récentes, elle s’est réduite de 28 % à 18 % entre 2016 et 2020.

Enfin, d’autres enquêtes montrent que les Français sont beaucoup plus tolérants vis-à-vis des personnes d’origine étrangère qu’on ne le dit, et cette tolérance s’accroît. Selon la CNCDH, la part des personnes « plutôt » ou « tout à fait » d’accord avec l’affirmation « l’immigration est une source d’enrichissement culturel » est ainsi passée de 50 % au milieu des années 1990 à 70 % en 2002 et elle oscille autour de ce chiffre depuis (69 % en 2019).

Comment expliquer l’emballement médiatique ?

De nombreuses raisons expliquent la mise en scène médiatique de l’hostilité aux immigrés, décalée vis-à-vis des valeurs de la population.

En période de chômage, l’insertion professionnelle des personnes les moins qualifiées (nombreuses parmi les personnes d’origine étrangère) est plus difficile, d’autant plus quand elles sont concentrées sur un espace réduit du territoire. Face à des difficultés sociales, les immigrés jouent le rôle de boucs émissaires.

La cible est facile. Jouer sur les peurs fait de l’audience, et les réseaux sociaux amplifient les positions extrêmes.

Quand et comment l’emballement cessera-t-il ? L’évolution économique joue beaucoup et la crise économique actuelle n’est pas favorable. Pourtant, à chaque reprise, le débat sur l’immigration s’éteint et l’insécurité prend le relais, comme cela a été le cas au début des années 2000.

Les responsables politiques, une partie des « experts » appelés à commenter le sujet et les médias qui reprennent leurs propos portent une énorme responsabilité dans la situation actuelle. Ils cherchent à s’attirer les faveurs de ce qu’ils estiment être « l’opinion » des catégories populaires. Ce faisant, ils sont en opposition avec les valeurs les plus communes et légitiment les positions xénophobes. Le débat se crispe alors encore plus. Une spirale dont on ne voit pas aujourd’hui la fin.

LOUIS MAURIN

Cet article est publié en partenariat avec le Centre d’observation de la société. Retrouvez la version originale ici.

  • 1.Des enquêtes encore plus anciennes situaient même le niveau à 65 % en 1989 et à 74 % en 1995…

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