L’abécédaire de Clara Zetkin

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SOURCE : Ballast

Chaque 8 mars, on célèbre la Journée internationale des droits des femmes. Mais ce que l’on omet parfois de rappeler, c’est que la Russie soviétique fut la première à l’officialiser en 1921 : une proposition formulée une décennie plus tôt par la militante marxiste allemande Clara Zetkin. Tour à tour rédactrice en cheffe d’un journal féministe, présidente de l’Internationale socialiste des femmes, franche opposante à la Première Guerre mondiale et députée du Parti communiste d’Allemagne — qui, divergences obligent, l’écarta par deux fois du comité central —, elle mourut en exil à Moscou, en 1933, quelques mois après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler. Si, tout en louant ses mérites, elle se montra favorable à l’éviction de Trotsky, son « hostilité » — officieuse — à Staline est désormais connue1 : c’est même une « haine passionnée » qu’elle lui vouait, révéla sa camarade et journaliste Maria Reese dans ses Mémoires, au motif qu’il transforma leurs « idéaux » en « décombres ». « J’ai servi la révolution parce qu’une nécessité interne m’obligeait à servir la cause de la révolution », répondit un jour la proche amie de Rosa Luxemburg qu’elle fut. Entendre : cessez donc les hommages, elle n’aurait rien pu faire d’autre.

Art : « Ce n’est que lorsque le travail se libérera du joug du capitalisme, et qu’ainsi les antagonismes de classes seront supprimés, que la liberté de l’art prendra vie et forme, que le génie artistique pourra tenter librement les plus hautes envolées. » (« L’Art et le prolétariat », 1911)

Bulles de savon : « Telles de brillantes bulles de savon, se dissolvent dans l’air de la conception matérialiste de l’histoire ces déclarations d’amour où on parle de nos sœurs, comme si quelque lien unissait dames bourgeoises et prolétaires. » (« Ce que les femmes doivent à Karl Marx », 1903)

Cauchemar : « Où sont vos maris, vos fils ? Pourquoi doivent-ils s’entretuer et détruire avec eux tout ce qu’ils ont créé ? Qui bénéficie de ce cauchemar de sang [la Première Guerre mondiale, ndlr] ? Tout juste une poignée de profiteurs de guerre. Puisque les hommes ne peuvent plus parler, c’est à vous de le faire. Travailleuses de tous les pays en guerre, unissez-vous ! » (janvier 1915)

Darwin : « Le contenu de la lutte de classes prolétarienne ne s’épuise nullement dans des revendications économiques et politiques. Elle est aussi porteuse d’une nouvelle conception du monde qui constitue une totalité cohérente. C’est la conception socialiste du monde, que la philosophie établit en se fondant sur les résultats des sciences de la nature et des sciences sociales, auxquels sont liés les noms de Darwin et de Marx. » (« L’Art et le prolétariat », 1911)

État : « Mais la démonstration de force du peuple travailleur à l’extérieur du parlement ne doit pas se limiter au renversement d’un gouvernement anticonstitutionnel ; elle doit aller au delà de cet objectif limité et se préparer à renverser l’État bourgeois et son fondement, l’économie bourgeoise. Toutes les tentatives d’atténuer, et a fortiori de résoudre la crise en restant sur le terrain de l’économie capitaliste ne peuvent qu’aggraver le mal. Les interventions de l’État ont échoué, car ce n’est pas l’État bourgeois qui tient l’économie, c’est au contraire l’économie qui tient l’État bourgeois. » (« Il faut abattre le fascisme », Discours au Reichstag, 1932)

Féminin : « Les socialistes doivent savoir qu’en l’état actuel du développement économique le travail féminin est une nécessité ; que le travail féminin devrait aboutir normalement, soit à une réduction du temps de travail que chaque individu doit à la collectivité, soit à un accroissement des richesses de la société ; que ce n’est pas le travail féminin en soi qui, par le jeu de la concurrence, fait baisser les salaires, mais l’exploitation de ce travail par les capitalistes. » (« Luttes pour l’émancipation des femmes », Discours à la première conférence de l’Internationale ouvrière, 1889)

Glaive : « Marx a forgé le glaive — et il nous en a appris le maniement — qui a tranché les attaches entre mouvement féminin prolétarien et bourgeois ; mais il a aussi forgé le lien qui unit indissolublement celui-là au mouvement ouvrier socialiste, à la lutte des classes révolutionnaire du prolétariat. » (« Ce que les femmes doivent à Karl Marx », 1903)

Humanité : « On pourrait croire que c’est se moquer du monde que vouloir traiter à la fois de l’art et du prolétariat. Les conditions de vie que la société capitaliste fait à ses esclaves salariés sont hostiles à l’art, elles en sont même la mort. La jouissance artistique et plus encore la création artistique supposent une certaine liberté d’action matérielle et culturelle, un excédent de biens matériels, de forces physiques, intellectuelles et morales, au delà du strict nécessaire. Or, la misère matérielle et donc la pauvreté culturelle ont été le sort des exploités et des sujets dominés depuis que des antagonismes de classes coupent la société en deux. C’est pourquoi on a posé et reposé la question : l’art a-t-il d’une façon générale une justification morale, sociale, l’art promeut-il ou entrave-t-il l’évolution de l’humanité ? » (« L’Art et le prolétariat », 1911)

[Internationale socialiste des femmes (DR)]

Intelligentsia : « La crise de l’intelligentsia et la crise du travail intellectuel sont symptomatiques de l’ébranlement profond et irrémédiable de l’économie capitaliste, de l’État et de la société dont cette économie constitue la base. La crise du travail intellectuel n’est pas seulement un signe annonciateur de la fin du capitalisme, elle est partie intégrante de la crise générale qui secoue celui-ci. » (« Le Problème des intellectuels », 7 juillet 1924)

Joug : « De même que le travailleur est sous le joug du capitaliste, la femme est sous le joug de l’homme et elle restera sous le joug aussi longtemps qu’elle ne sera pas indépendante économiquement. La condition sine qua non de cette indépendance économique, c’est le travail. » (« Luttes pour l’émancipation des femmes »Discours à la première conférence de l’Internationale ouvrière, 1889)

Karl : « Bien sûr : [Karl] Marx ne s’est jamais occupé de la question féminine en tant que telle et en soi. Pourtant sa contribution est irremplaçable, elle est tout à fait essentielle dans la lutte que mènent les femmes pour conquérir leurs droits. Avec la conception matérialiste de l’histoire, Marx ne nous a certes pas fourni des formules toutes prêtes sur la question féminine, il nous a donné quelque chose de mieux : une méthode juste, sûre, pour l’étudier et la comprendre. » (« Ce que les femmes doivent à Karl Marx », 1903)

Lutte : « En Orient, les femmes qui travaillent, mues par l’ardent désir de voir s’instaurer des rapports sociaux libérateurs, commencent à bouger et à agir. Les plus déshéritées des déshéritées, femmes précipitées au fond des abîmes de la servitude sociale sous le poids des chaînes des traditions, des lois et des préceptes religieux, ces femmes relèvent l’échine. Le corps et l’âme tout couverts de cicatrices, elles commencent une timide et pourtant irrésistible ascension afin d’arracher par la lutte leur liberté et leur égalité. » (Au club des femmes musulmanes, éditions LitPol, [1926] 2017)

Monnaie : « Quand elle crut de son devoir de lutter contre le plus ancien de ses amis, elle [Rosa Luxemburg] mit en œuvre toutes les armes dont elle disposait : les grosses pièces de sa science approfondie et de sa pensée philosophique très mûrie, les coups sûrs d’une brillante dialectique, le fleuret élégant de l’ironie, de l’esprit, de la raillerie. Jamais pourtant elle ne s’est servie d’armes indignes. Rosa Luxemburg était une nature foncièrement noble, incapable de payer ses détracteurs de même monnaie et d’avoir recours à des moyens ignobles lors même qu’on s’en était servi contre elle. » (« À la défense de Rosa Luxemburg », Bulletin communisten° 36, 14 octobre 1920)

Nihilisme : « Dans les années soixante-dix du siècle dernier en Russie, le nihilisme philosophique lança cet aphorisme : un cordonnier a pour la société plus de valeur que Raphaël, car le cordonnier exécute un travail socialement indispensable, tandis que Raphaël a peint des Madones dont on peut se passer. C’est un raisonnement semblable à celui de Rousseau, mais plus approfondi sur le plan social qui, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, a conduit l’un des plus grands artistes, Léon Tolstoï, à juger de la valeur de l’art. Avec la logique inexorable qui le caractérise, Tolstoï condamne non seulement l’art moderne en particulier, mais d’une façon générale tout art qui se présente comme privilège et plaisir des possédants et comme un but en soi. » (« L’Art et le prolétariat », 1911)

[Manifestation d’ouvrières le 8 mars 1917 (calendrier occidental)]

Orage : « La Révolution [de 1917] est venue comme un orage bienfaisant. Elle a anéanti l’injustice et l’esclavage. Elle a rendu justice et liberté aux pauvres et aux opprimés. » (Au club des femmes musulmanes, éditions LitPol, [1926] 2017)

Paupérisation : « Si le travail des femmes aboutit à des résultats contraires à sa tendance naturelle, le système capitaliste en est le seul responsable ; il est responsable du rallongement de la journée de travail alors que le travail féminin devrait conduire à la réduire ; il est responsable du fait que le travail féminin n’est pas synonyme d’augmentation des richesses de la société, c’est-à-dire du mieux-être de chacun de ses membres, mais seulement d’augmentation du profit d’une poignée de capitalistes et simultanément d’une paupérisation massive et croissante. » (« Luttes pour l’émancipation des femmes », Discours à la première conférence de l’Internationale ouvrière, 1889)

Question : « Tant que le prolétariat international ne se dressera pas de toutes ses forces contre le traité de Versailles, contre la tentative d’étrangler économiquement la Russie des soviets, contre le pillage des colonies, contre l’exploitation des populations des nouveaux petits États, il ne faut pas songer à surmonter le chômage et la crise économique mondiale. Pour ces motifs la classe ouvrière internationale doit faire entendre sa voix au cours de la Conférence de Gênes dont l’action devrait contribuer à la reconstitution de l’économie mondiale et obliger cette conférence à s’occuper de la question ouvrière, du chômage, de la journée de huit heures. » (Déclaration à la conférence de Berlin, 2 avril 1922)

Révolutionnaire : « La lecture des œuvres de Marx éclaire encore un autre point : seul le prolétariat est la classe révolutionnaire qui, en fondant l’ordre social socialiste, est en mesure de créer et est obligée de créer les prémisses sociales indispensables pour la complète solution du problème féminin. » (« Ce que les femmes doivent à Karl Marx », 1903)

Suffragettes : « Outre que le mouvement bourgeois des suffragettes ne veut ni ne peut arracher la libération sociale de la prolétaire, il s’avère impuissant à résoudre les nouveaux et graves conflits qui surgissent nécessairement en système capitaliste, s’agissant de l’égalité sociale et juridique des sexes. » (« Ce que les femmes doivent à Karl Marx », 1903)

Tiflis : « Le Club des femmes musulmanes de Tiflis2 est une création du Parti communiste et en particulier l’œuvre et le champ d’activité de sa section féminine. Il a été fondé en partant de la constatation que l’édification de l’ordre soviétique a, à un point que l’on ne pouvait soupçonner, entraîné de profonds bouleversements dans la mentalité de nombreuses femmes musulmanes. Le fait que les lois soviétiques ne reconnaissent pas à l’homme un pouvoir souverain sur la femme ; qu’elles dénient tout privilège à un sexe par rapport à l’autre ; qu’elles proclament l’égalité complète de la femme dans tous les domaines de la vie sociale et que les Soviets s’efforcent de faire passer cette égalité de droits dans la réalité : tout cela a représenté un véritable tournant dans l’existence de ces femmes. » (Au club des femmes musulmanes, éditions LitPol, [1926] 2017)

Utopique : « Mais comme la classe ouvrière ne s’est pas encore concertée pour cette lutte en commun, comme elle n’est pas encore parvenue à comprendre que le capitalisme ne peut être vaincu que si la grosse majorité du prolétariat conquiert le pouvoir par la révolution et érige sa dictature, nous déclarons qu’une unité organique des groupements internationaux actuels du prolétariat, orientés différemment dans leurs principes, serait tout à fait utopique et nuisible. » (Déclaration à la conférence de Berlin, 2 avril 1922)

[(DR)]

Vénales : « Il ne faut pas oublier que les bandes fascistes ne se composent pas exclusivement de brutes, de lansquenets pour qui le terrorisme est jouissance, de crapules vénales ; nous y trouvons aussi les éléments les plus énergiques des milieux en question et les plus capables de se développer. Nous devons aller à eux avec sérieux et leur montrer que nous comprenons leur situation et leurs ardentes aspirations, mais que l’issue n’est pas derrière eux, dans un retour vers le passé, mais bien devant eux, dans le communisme. La grandeur du communisme en tant que conception du monde nous vaudra leur sympathie. » (« La Lutte contre le fascisme », 1923)

Wladimir : « Camarade, Wladimir Illitch veut vous voir. Vous saurez que c’est M. Lénine qu’on appelle ainsi. Il va être ici tout de suite. Je fus si remuée par l’annonce de cette visite que j’en oubliai sur le moment de remarquer le comique du Monsieur Lénine. Je me levais immédiatement de mon bureau et je courus à la porte. Il y était déjà, Wladimir Illitch, en vareuse de bure grise, l’air frais, robuste, comme avant les mauvais jours de sa maladie. » (« Souvenirs sur Lénine », Cahiers du bolchevisme, n° 28 et 29, 1 et 15 octobre 1925)

: « Vous connaissez notre jeune camarade X… Un garçon remarquable, très doué : mais je crains qu’il n’arrive à rien de bon. Il bourdonne et va de femme en femme. Cela ne vaut rien pour la lutte politique, pour la Révolution. […] Pas plus que les hommes qui courent après toutes les jupes et s’amourachent de toutes les femmes. Non, non, cela ne s’accorde pas avec la Révolution ! » (« Souvenirs sur Lénine », Cahiers du bolchevisme, n° 28 et 29, 1 et 15 octobre 1925)

Yeux : « En cachette, au milieu des plus grandes difficultés, étroitement surveillée par des yeux scrutateurs, à côté des occupations scientifiques et littéraires qui lui étaient permises, elle rédigea sa critique étendue et pénétrante de la social-démocratie, mettant avidement à profit à cet effet chaque minute et chaque étincelle de lumière. La fatigue et la maladie disparaissaient devant la puissance de la voix intérieure. C’est cette voix qui permit à Rosa [Luxemburg] de supporter ce qui la contrariait et la torturait au plus haut point ; le fait qu’un nombre incalculable de fois, elle était interrompue dans le fil de ses idées, qu’elle craignait sans cesse d’être surprise dans son travail et de ne pas pouvoir le poursuivre jusqu’à son terme. Ce fut pour elle la délivrance lorsqu’elle put mettre le point final au manuscrit et, rusée comme Ulysse, en confier les dernières feuilles à des mains amies pour les faire sortir de son cachot. » (Préface à la brochure de Junius, 1919)

Zèle : « Les camarades s’étendent sur l’importance que revêt le Club des femmes pour les musulmanes de la ville. C’est là que se rassemblent les plus énergiques, les plus douées, les plus avides de savoir, afin d’y commencer leur éducation et leur formation politique et sociale et d’y acquérir toutes sortes de connaissances. […] Des femmes aux cheveux blancs assises aux côtés de jeunes filles dans la fleur de l’adolescence s’efforcent comme elles, avec un zèle attendrissant, de dessiner des lettres et de les lire. » (Au club des femmes musulmanes, éditions LitPol, [1926] 2017)


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