Les syndicats de Suez montent au créneau contre l’OPA de Veolia

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SOURCE : Libération

Les syndicats de Suez montent au créneau contre l'OPA de Veolia

Pour les syndicats du géant de la gestion de l’eau et des déchets, l’offre formulée par son principal concurrent aboutira à de la casse sociale et à un «démantèlement». Les salariés sont appelés à se mobiliser ce mardi, tandis que la direction tente de construire une contre-offre.

Plus de cent ans d’histoire économique française sur le point d’être engloutis, et des milliers d’emplois avec : c’est le sombre tableau que dressent les syndicats de Suez, poids lourd français de la gestion de l’eau et des déchets, une semaine après que son plus gros concurrent, Veolia, a offert de racheter la quasi-totalité des parts détenues par Engie dans leur entreprise – soit 29,9% pour près de 3 milliards d’euros. Avec l’objectif de lancer dans la foulée une OPA (offre publique d’achat) sur la totalité du capital de Suez qui portera le montant de l’opération à plus de 10 milliards.

«On a commencé à digérer, mais au départ, on l’a bien pris dans la gueule», reconnaissait lundi Franck Reinhold, le secrétaire CGT du comité d’entreprise européen de Suez, quelques heures avant la première riposte sociale contre ce projet. Ce mardi matin, les quelque 30 000 salariés que compte l’entreprise sur le territoire national sont appelés par l’ensemble de leurs syndicats représentatifs (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) à participer à des débrayages de deux heures. L’occasion de faire le piquet devant les locaux, notamment au pied de l’iconique Tour Suez de la Défense, ou de circuler dans les rues de plusieurs villes dont Suez gère l’eau ou les déchets pour informer les citoyens sur ce qui est en train de se jouer. Sans en faire trop pour le moment car, explique Franck Reinhold, le but n’est pas de «pénaliser le groupe».

Et pour cause : c’est justement pour le défendre, ce groupe, que la mobilisation s’organise chez Suez. Depuis huit jours, les syndicats et la direction, incarnée par le directeur général Bertrand Camus, se retrouvent alliés de circonstance. Ni lui ni eux ne tiennent à voir l’ancienne Lyonnaise des eaux absorbée par l’actuel numéro 1 mondial du secteur, l’ex-Générale des eaux. D’ailleurs, pourquoi le voudraient-ils ? «On n’a pas besoin de Veolia pour vivre. On n’est pas en difficulté, on est une boîte dans laquelle financièrement tout va bien», affirme Eric Guillemette, représentant CFE-CGC de Suez. Les 352 millions d’euros de bénéfices réalisés en 2019, en hausse de 5%, tendent à lui donner raison. Bertrand Camus, lui, dénonce dans le Figaro «une tentative de déstabilisation majeure d’une entreprise phare de notre pays», mais aussi «une opération aberrante pour Suez et funeste pour la France». Bref, le camp Suez semble déterminé à vendre chèrement sa peau alors que Veolia attend une réponse à son offre de rachat le 30 septembre au plus tard.

«On ne s’en relèvera pas»

Il est rare que des discours syndicaux et patronaux soient si bien alignés, le mot «démantèlement» affleurant dans toutes les bouches. «Les mégafusions sont synonymes de casse sociale», rappelle Bertrand Camus ? «Le coût social sera faramineux», renchérit Franck Reinhold. Sans surprise, les fonctions administratives risquent de se retrouver en première ligne des synergies à venir. Combien de salariés pourraient être concernés par les doublons ? «Au moins 2 000 ou 2 500», pense un autre représentant de la CGT, le coordinateur Wilhem Guette.

Et c’est sans compter, bien sûr, sur la proposition corollaire avancée par Veolia pour appuyer son offre : céder les activités de Suez dans l’eau, qui emploient près de 11 000 personnes, à un fonds d’investissement français, Meridiam, afin d’obtenir l’aval de l’Autorité de la concurrence – sans quoi celle-ci pourrait retoquer l’opération pour éviter la constitution d’un monopole. Et c’est sans compter, encore, sur le fait que Veolia pourrait également avoir à se délester d’activités de traitement des déchets, selon la CGT. «De l’actuel Suez, il resterait à peine 25% sur le marché français», anticipe Franck Reinhold. «Si l’opération se fait, on est mort, on ne s’en relèvera pas. On n’aura pas la capacité», en déduit-il, avant de poser la question : «Quel est le problème d’avoir deux groupes coleaders dans leur domaine ?»

«L’activité eau mourra à petit feu»

La cession de l’activité eau à Meridiam, voilà qui fait cogiter les représentants syndicaux. «On ne connaît même pas le coût de cette activité, tranche le syndicaliste CGT. Est-ce que Meridiam a les fonds nécessaires pour l’acquérir, la faire vivre, la développer ? C’est un marché qui va devoir relever des défis écologiques énormes.» Des théories naissent, comme celle selon laquelle la stratégie de Veolia consiste à créer un nouveau concurrent plus faible que l’actuel afin de renforcer sa position. «Les brevets resteront chez Suez. Ça veut dire que l’activité eau transférée à Meridiam mourra à petit feu. Puis un jour, ça deviendra une toute petite boîte et Veolia sera le numéro 1 de très loin»,pronostique Eric Guillemette, de la CFE-CGC. Qui ne peut s’empêcher de relever une coïncidence de calendrier : «L’offre de Veolia tombe alors qu’ils vont devoir renouveler les deux tiers de leurs plus gros contrats d’eau au cours des deux prochaines années. Pendant ce temps, la fusion sera en cours et Suez affaibli. Il y a une volonté de déstabiliser le marché.»

Pour l’heure, les syndicats de Suez et leur patron ont de quoi se sentir bien seuls. Le PDG d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, trouve le projet «attrayant» même s’il a invité Veolia à améliorer son offre en estimant que «le compte n’y est pas» (le 31 août dernier, le groupe d’Antoine Frérot a proposé 15,50 euros par action Suez, soit 2,9 milliards d’euros pour racheter les 29,9% d’Engie). Quant au Premier ministre, Jean Castex, il pense que l’opération «fait sens», ce qui a valeur de feu vert à l’OPA de Veolia sur Suez. Dernier acteur à avoir pris part au débat, la Caisse des dépôts et consignations, qui détient 5,7% de Veolia, affirme par la voix de son directeur général, Eric Lombard, que «la création d’un champion national» serait «une bonne chose». Veolia ayant donné à Engie jusqu’à la fin du mois pour répondre, une course contre la montre est engagée du côté de Suez : Bertrand Camus s’active pour monter une contre-offre en sonnant à toutes les portes : les autres actionnaires du groupe comme la banque catalane Caïxa (6%) et l’italien Caltagirone (3,5%), mais aussi des fonds d’investissement tricolores comme Ardian (ex-Axa Private Equity) ou encore des groupes de BTP comme Bouygues, Vinci ou Eiffage pourraient être sollicités.

Parallèlement, la CGT en appelle au Premier ministre Jean Castex pour qu’il change d’avis sur cette opération qui aboutirait à la disparition de Suez au profit du seul géant Veolia. L’Etat actionnaire d’Engie à hauteur de 23,6%, «doit jouer son rôle», intime Franck Reinhold. «Avec l’eau et les déchets, on parle d’une délégation de service public. Où est la création de valeur dans cette opération ? Pour nous, c’est une création de malheur.»


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