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SOURCE : France culture
Auteure deux romans, “Mobiles” et “La Toile”, Sandra Lucbert nous propose “Personne ne sort les fusils”, un livre écrit après avoir assisté au procès France Télécom, et dans lequel elle dénonce rageusement l’utilisation,de ce qu’elle appelle la langue du capitalisme néolibéral.
De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom – Orange. Sept dirigeants sont accusés d’avoir organisé la maltraitance de leurs salariés, parfois jusqu’à la mort.
Sandra Lucbert a assisté à ce procès historique. En écrivain, elle a écouté, observé. Convoquant le Kafka de La Colonie pénitentiaire ou le Melville de Bartleby, dans toute leur puissance métaphorique, elle propose un texte fulgurant et rageur contre la langue et la logique monstrueuses du capitalisme. Elle met au jour avec une admirable finesse la perversité des méthodes et de la novlangue managériale qui, au nom du libéralisme triomphant, brisent nos vies, nos esprits et nos corps.
Ces textes me sont assez rapidement venus comme refuge, et d’autre part, l’autre refuge était d’essayer de démanteler le plus précisément possible le système langagier, dont j’observais qu’il nous tenait entièrement dans sa cohérence. Là aussi, j’ai envie de comparer avec la psychanalyse, parce que, autant un corps esprit individuel est façonné par le langage et capitonné par un certain nombre de signifiants, autant là, de la même manière, il semblait que toute une logique sociale se cristallisait dans un système langagier, qu’il s’agissait pour moi de démonter. C’est pour cela que j’ai été jusqu’à lui donner un nom, puisque je l’ai appelé, en référence à Klemperer la LCN (Lingua Capitalismi Neoliberalis-la langue du capitalisme néolibéral). Sandra Lucbert
En sortant du tribunal, deux choses me sont venues à l’esprit : un premier mouvement, qui consistait à remonter la chaîne causale, qui permettait d’expliquer les effets que j’observais, effets cristallisés dans le langage, mais également, dans les corps repus des prévenus, les corps martyrisés des salariés. Il y avait quand même, dans la salle d’audience, toute une scénographie très frappante. Pour remonter cette chaîne causale, j’ai dû essayer d’inventer des moyens pour nous faire rentrer dans les têtes refaites par le néolibéralisme, en utilisant tous les moyens que j’avais à ma disposition en littérature. (…). Il s’agissait de défaire ce que Wittgenstein appelle “les crampes de la langue”, c’est-à-dire, toutes ces corrélations automatiques, dont on a besoin pour survivre, mais qui, en fait, induisent une mécanisation de nos comportements, de nos désirs et de nos pensées, qui nous interdit complètement de sortir de l’ordre socio-politique dans lequel on est inscrit. Sandra Lucbert
Dans la société capitaliste, les principes dominants sont ceux qui servent une certaine idée de la valorisation du capital. Ils sont mécanisés dans l’ensemble de la société, depuis des pôles d’émission du discours majoritaire, apparemment distincts, réputés indépendants, comme le personnel politique, les journalistes, les experts, mais qui, en réalité, répètent tous les mêmes évidences. Il y a des décisions qui sont prises par les personnels politiques depuis les années 80, qui ont des conséquences telluriques, pour des décennies, sur la vie de sociétés entières, mais qui sont prises dans une telle gangue de technicité, que personne n’en aperçoit la gravité au moment où elles ont lieu : quand je dis personne, je parle des gens concernés, c’est-à-dire, nous la population. Mon combat personnel, c’est d’essayer de clarifier ce qui se joue dans cette gangue de technicité. Sandra Lucbert
Archives
Michel Bon, émission “Questions par A B”, France Inter, 1997
Thomas Bernhard, émission “Radio libre”, France Culture, 2001
Références musicales
Pierre Schaeffer, Symphonie pour un homme seul
Cheval blanc, Politique
Prise de son
Bruno Mourlan