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SOURCE : La vie des idées
Si l’actuelle formation des professeurs n’est pas pleinement satisfaisante, la réforme de la formation prévue dans la loi Blanquer de 2019 ne permettra pas une amélioration de la formation des professeurs et ne répond pas aux défis auxquels l’institution scolaire est confrontée.
Adoptée définitivement le 26 juillet 2019, la loi Blanquer, « Pour une école de la confiance », a modifié certaines dispositions législatives du système éducatif français. Parmi les diverses mesures adoptées par le parlement, les ESPE (Écoles Supérieures du Professorat de l’Éducation) sont devenues des INSPE (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation), l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé de six à trois ans, le CNESCO, centre de recherche sur l’éducation, a été supprimé, etc. La réforme de la formation des professeurs, dont le principe a été arrêté par la loi Blanquer, a peu été débattue par les parlementaires alors qu’elle est essentielle. Les modalités réglementaires de sa mise en œuvre ne sont définies que progressivement depuis le début de l’année 2020. Sont-elles à la hauteur des défis que l’institution scolaire doit relever ?
Le principe de la réforme : une rupture majeure d’organisation
Dans l’organisation de la formation des professeurs en vigueur jusqu’à la rentrée universitaire 2019, les étudiants souhaitant devenir enseignants s’inscrivaient dans un master MEEF (Métier de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). La première année de ce master était essentiellement consacrée à la préparation des épreuves écrites et orales du CAPES de leur discipline. En seconde année, s’ils étaient admis à leur concours, les étudiants devenaient professeurs stagiaires. Ils assuraient neuf heures de cours hebdomadaires dans un établissement scolaire et, parallèlement, suivaient à l’ESPE des cours leur permettant d’approfondir les différentes dimensions du métier d’enseignant. Les professeurs stagiaires devaient également préparer un mémoire de recherche en rapport direct avec leurs activités enseignantes. Les sujets portaient, par exemple, sur l’usage des outils numériques dans leur discipline, l’enseignement de telle ou telle notion, la « gestion » de la classe, etc. La nouvelle organisation de la formation des professeurs introduit une rupture majeure. Le concours ne sera plus situé lors de la première année de master, mais lors de la seconde. Cette nouvelle organisation est comparable à celle mise en place par le ministre Xavier Darcos en 2008. La loi Peillon de 2013 l’avait supprimée pour replacer le concours en première année.
Il existait de bonnes raisons de modifier la formation des enseignants. La première année du master MEEF était particulièrement chargée. Les cours commençaient en septembre et les écrits des concours du CAPES avaient lieu entre mi-mars et mi-avril. Compte tenu de l’existence de deux stages en établissements scolaires d’une durée totale de cinq semaines afin que les étudiants appréhendent de façon concrète la réalité du métier de professeur, la durée effective de préparation au concours n’excédait pas cinq mois. La surcharge de travail réduisait la qualité de la préparation au concours et favorisait les abandons. Par ailleurs, les jeunes professeurs, dans une proportion difficile à connaître, estimaient que la formation dispensée dans les ESPE préparait mal au métier. Pour ces raisons, une réforme de l’organisation de la formation des professeurs était donc légitime.
Pour le ministère, il était surtout nécessaire de promouvoir une formation dans laquelle une plus grande expérience du terrain, c’est-à-dire de l’enseignement en établissement avant la titularisation, devait permettre aux futurs professeurs, ainsi mieux formés, de faire face aux difficultés rencontrées ordinairement lors de leur première affectation. Une formation plus pratique, fondée en partie sur le modèle traditionnel du compagnonnage qui accorde une place plus grande aux professeurs jugés expérimentés, devait remplacer une formation suspectée d’être trop théorique et accusée de « pédagogisme » par une certaine presse.
La réforme de la formation : une source d’effets pervers
Toutefois, l’organisation de la nouvelle formation des professeurs déplace les difficultés constatées sans résoudre celles-ci. Elle risque aussi, pour plusieurs raisons, de provoquer des effets pervers. Premièrement, avec la nouvelle organisation de la formation, les étudiants de master 2 ne seront plus des professeurs stagiaires, c’est-à-dire des fonctionnaires percevant le salaire d’un professeur débutant, environ 1400 € net mensuels, mais des étudiants en stage. Comme en 2008, la nouvelle organisation de la formation permet de réaliser des économies budgétaires substantielles avec la suppression de plus de 10000 postes de fonctionnaires stagiaires. Assurant un enseignement de six heures hebdomadaires, la rémunération des étudiants de seconde année serait – cette question centrale n’est toujours pas réglée – de 600 € net mensuels, soit l’équivalent du tiers de la rémunération d’un professeur contractuel débutant titulaire d’une licence. Cette rémunération risque de poser des problèmes financiers aux étudiants dont l’établissement scolaire sera éloigné des centres de formation de l’INSPE. Pour ces étudiants, les frais de déplacement et les contraintes de logement constitueront une source supplémentaire d’abandons de la formation, déjà constatés en seconde année du master MEEF actuel.
Deuxièmement, la nouvelle organisation du concours d’accès au professorat aboutit, pour les étudiants en deuxième année de master, à une mise en concurrence de trois objectifs : assurer un service d’enseignement à tiers temps jugé nécessaire à l’apprentissage du métier, réaliser un mémoire de recherche, réussir leur concours. Soit le dernier objectif l’emportera sur les deux autres, soit les étudiants focaliseront leur énergie sur la préparation de leur enseignement hebdomadaire au détriment de leur réussite au concours et de leur mémoire de recherche. Déjà, dans l’actuelle formation des professeurs, en deuxième année, les professeurs stagiaires sont souvent débordés par la préparation de leurs cours, à laquelle s’ajoute la rédaction d’un mémoire de recherche. Leur situation ne pourra être que plus défavorable lorsque ces étudiants auront, de surcroît, à préparer le concours. Le mémoire de recherche risque d’être encore plus négligé alors même qu’il est essentiel pour les futurs professeurs. Ceux-ci doivent être capables, a minima, de disposer de données d’enquête (observations, entretiens, documents divers…) et d’évaluer la pertinence de leurs pratiques pédagogiques afin d’être toujours vigilants à l’égard des effets de mode si fréquents dans l’univers scolaire.
Troisièmement, telle qu’elle est conçue, la nouvelle organisation de la formation des professeurs risque d’exercer des effets dissuasifs sur le nombre d’inscriptions. Dans la nouvelle organisation, l’investissement demandé aux étudiants est plus exigeant, en raison d’une seconde année particulièrement chargée, alors même que les chances de réussir sont moindres. Déjà, depuis 2018, le nombre de postes à pourvoir aux concours aux différents CAPES externes a baissé. Cette baisse a entraîné une réduction du nombre d’inscriptions de 13,8 % de 2018 à 2020. Pour la seule année 2020, malgré la stabilisation du nombre de postes aux concours pour l’année 2020, la baisse des inscriptions a été de 7,8 %. Au-delà des effets de moyenne, cette baisse est particulièrement marquée dans certaines disciplines telles que les mathématiques (-16,9 %), les sciences économiques et sociales (-22,8 %), les SVT (-15 %), l’allemand (-17,5 %), etc. De surcroît, pour l’année 2019, sur les 11 485 postes mis au concours, 7,5 % n’ont pas été pourvus en raison de la faiblesse du niveau des candidats. Ce sont les meilleurs étudiants qui se détournent du métier d’enseignant. La crise de recrutement est incontestable et la nouvelle organisation de la formation des professeurs ne peut que l’accentuer.
Enfin, le nombre d’inscrits en première année des nouveaux Master MEEF est, dès la rentrée universitaire 2020, réduit car les inscriptions sont déterminées, pour chaque discipline, par les capacités d’accueil en stage en seconde année de Master. Si cette baisse est réduite, voire nulle dans les disciplines dites en tension, telles que les mathématiques, elle peut avoisiner, voire dépasser, les 50 % dans les disciplines dans lesquelles le nombre de candidats au concours est traditionnellement important, notamment en histoire-géographie et en EPS. Même si le principe de la sélection peut être défendu lorsque le nombre d’inscrits dépasse sensiblement le nombre de postes au concours, cette sur-sélection, dépendante des besoins en stage de l’académie, risque aussi de renforcer la crise de recrutement et de favoriser une nouvelle baisse des inscrits au concours. Sélectionner les candidats au professorat sur leur niveau académique lors de leur inscription dans les INSPE, c’est-à-dire avant même de former ceux-ci aux métiers de l’enseignement, est aussi paradoxal lorsque l’objectif de la réforme de la formation des professeurs est d’améliorer leurs compétences pédagogiques et didactiques.
La réforme des concours : une déprofessionnalisation disciplinaire ?
La réforme de la formation des enseignants s’est aussi accompagnée d’une réforme des concours. Dans toutes les disciplines, les épreuves du CAPES ont connu des modifications. Il n’est pas possible de présenter celles-ci de façon synthétique sans simplification abusive. Il est par contre essentiel de présenter deux transformations communes à l’ensemble des CAPES. La première est une augmentation des coefficients associés aux épreuves orales. Désormais, celles-ci compteront davantage que les épreuves écrites. Cette préférence accordée aux oraux peut se justifier par l’importance de la communication dans le métier d’enseignant.
La deuxième transformation concerne la finalité des épreuves orales. Jusqu’à l’année universitaire 2019-2020, dans la majorité des CAPES, les candidats passaient deux épreuves écrites et deux épreuves orales. À l’écrit comme à l’oral, une épreuve est dite académique (ou « disciplinaire »). Ce type d’épreuves a pour objet de connaître le niveau de connaissances des candidats. Un second type d’épreuves est dit professionnel ou « disciplinaire appliqué ». À l’écrit comme à l’oral, cette épreuve a pour objet de connaître la capacité des candidats à transmettre de façon pertinente les compétences et connaissances détaillées dans les programmes scolaires des collégiens ou lycéens. La nouveauté de la réforme des épreuves du CAPES tient à la suppression de l’épreuve orale académique au profit d’une « épreuve orale d’entretien sur la motivation du candidat et sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire. L’oral d’entretien doit permettre au candidat de faire valoir son parcours, mais aussi de valoriser ses travaux de recherche ».
Cet oral d’entretien ne constitue pas totalement une nouveauté. En 2009, le ministre Darcos avait décidé qu’une partie de l’oral « disciplinaire appliqué » des concours des CAPES et d’agrégation soit consacrée à une interrogation des candidats sur la thématique « Agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable ». Cette modification avait suscité des polémiques relatives à cette conception élargie du modèle professionnel des professeurs. Pour ses partisans, cette modification de l’oral avait pour objet l’émergence d’une culture professorale commune fondée sur dix compétences professionnelles, définies par un arrêté du 10 mai 2010 (cf. annexe de l’arrêté). Introduire dans un oral disciplinaire des questions éthiques, par exemple sur les modalités concrètes de la mise en œuvre de l’égalité des chances, poursuivait un objectif légitime. Les pratiques didactiques et pédagogiques ne sont pas des savoir-faire indépendants des rapports sociaux. A contrario, la réforme actuelle, en substituant un oral d’entretien à l’oral disciplinaire, suscite plusieurs réserves.
La première concerne les finalités poursuivies. Alors qu’une ligne directrice de l’action ministérielle est de renforcer les savoirs fondamentaux, une interrogation des candidats sur leur motivation surprend. L’engagement des étudiants dans un long processus de formation aux résultats si aléatoires en raison de la forte sélectivité de l’inscription à l’INSPE et au concours est une manifestation de leur motivation. Dans les cursus de formation des ingénieurs, médecins ou magistrats, les étudiants sont-ils interrogés en fin de cursus sur leur motivation ? Les rapports que les formateurs de l’INSPE doivent réglementairement établir sur les activités d’enseignement des étudiants, la réalisation de leur mémoire de recherche et leur présence aux oraux du CAPES ne constituent-ils pas des signes suffisants de leur motivation ? La création d’une épreuve orale consacrée notamment à la motivation des candidats semble traduire une suspicion sur leur motivation. Elle tend à conforter un discours critique sur la conscience professionnelle des enseignants soupçonnés d’être attirés dans le métier moins par vocation que par l’importance des congés annuels.
Dans l’oral d’entretien des nouveaux concours du CAPES, la finalité objective n’est pas d’apprécier la compétence disciplinaire, mais l’adhésion du candidat à certains attendus explicites et implicites relatifs aux modalités d’organisation et de fonctionnement du système éducatif. Le projet n’est pas seulement de mettre en œuvre des critères de sélection d’un agent de la fonction publique définis, en l’occurrence, par les connaissances et compétences associées au métier de professeur dans telle ou telle discipline, mais également de choisir une personne. La possibilité pour les chefs d’établissement de choisir des professeurs sur des postes à profils relève de la même logique de personnalisation. Ces nouvelles pratiques contribuent à redéfinir le modèle professionnel des professeurs.
Ce modèle professionnel est un objet de controverses parmi les personnels enseignants des INSPE. Certains sont attachés au modèle d’un professeur essentiellement centré sur la compétence disciplinaire et doté d’une forte autonomie professionnelle ; d’autres souhaitent la promotion d’un professeur partie prenante des dynamiques de transformation de l’institution scolaire et des initiatives ministérielles. Cette présentation binaire simplifie cependant la question complexe et polémique du modèle professionnel à promouvoir. Faute de consultations et de négociations, la réforme actuelle de la formation des professeurs tend à cristalliser les oppositions et les blocages alors qu’il aurait fallu favoriser des convergences.
La seconde interrogation porte sur les définitions possibles de la « connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation » par les candidats. Quelles connaissances les étudiants doivent-ils maîtriser ? S’agit-il de connaître le cadre juridique du service public de l’éducation alors même que les textes réglementaires sont particulièrement nombreux, difficiles à hiérarchiser et de surcroît changeants ? S’agit-il de connaître les différents objectifs poursuivis lors de l’élaboration du socle commun de compétences et de connaissances défini par les lois Fillon de 2005 et Peillon de 2013 au fondement de l’organisation des apprentissages dans chaque discipline et dans chaque cycle ? La préparation à cet oral d’entretien doit-elle se limiter à une approche juridique ou bien doit-elle présenter, dans une perspective sociologique, l’importance de la ségrégation sociale propre au système éducatif français ainsi que les inégalités des chances selon l’origine sociale, le genre, l’établissement fréquenté et les théories explicatives de celles-ci ? Etc.
Certes, l’article 2 de l’arrêté de 2013, non modifié par le nouvel arrêté relatif à la formation, définit les contenus des formations dispensées au sein des Masters MEEF. Toutefois, ces contenus de formation, relatifs aux « domaines suivants : (…) [les] connaissances liées au parcours des élèves, dont l’approche par les compétences, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, les spécificités des niveaux d’enseignement (…), les méthodes d’évaluation des élèves, le processus d’orientation des élèves, les processus d’apprentissage des élèves (…) », ne sont pas équivalents au programme des concours. La préparation au métier et les programmes des concours relèvent de textes juridiques différents.
Le contenu de la formation destinée aux futurs professeurs relatif aux « valeurs de la République » est tout aussi problématique. Faut-il présenter les grands principes de la constitution de 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Convention internationale des droits de l’enfant, les droits des élèves ? Une question incontournable concerne les différentes acceptions de la notion de laïcité. Il existe une opposition particulièrement marquée en France entre les partisans d’une conception stricte de la laïcité, parfois anticléricale, voire antimusulmane, et une définition plus conforme aux définitions juridiques tant nationales qu’européennes. Lorsque, en octobre 2019, le ministre de l’Éducation nationale déclare que « Le voile n’est pas souhaitable dans notre société », il exprime une opinion contraire à l’article 1 de la constitution qui précise que « La République (…) respecte toutes les croyances ». Le propos ministériel est également contraire à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté (…) de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé ». Parmi les enseignants des INSPE chargés de la formation des futurs professeurs, certains sont susceptibles de partager la position exprimée par le ministre de l’Éducation nationale, d’autres y sont opposés. Il en sera de même parmi les membres des jurys des différents CAPES. Dès lors, quelle conception de la laïcité enseigner ?
De nombreux responsables des masters MEEF sont aussi réservés, voire opposés, à la substitution d’une « épreuve orale d’entretien » à l’épreuve académique antérieure. Bien qu’elle soit supprimée, l’épreuve orale académique semble toujours indispensable à une large majorité des responsables des masters MEEF. Cette position est particulièrement présente parmi les enseignants qui forment les futurs professeurs de langue. Dans les nouvelles maquettes des CAPES, les compétences linguistiques orales du candidat ne sont plus évaluées. La réglementation semble toutefois autoriser la réalisation de l’oral d’entretien dans la langue d’enseignement du futur candidat. Outre qu’une telle façon de procéder reviendrait à détourner la réglementation, cette pratique est susceptible d’apporter plus de problèmes que de solutions. Si un candidat réalise une prestation médiocre dans sa langue d’enseignement (accent déplorable, fautes grammaticales et lexicales, etc.), mais répond de façon satisfaisante aux questions posées sur « les valeurs de la République » et la « connaissance des enjeux du système éducatif », comment les membres du jury évalueront-ils sa prestation ? Quel est le modèle professionnel que le ministre souhaite promouvoir ? Quelle définition du « bon professeur » sera retenue ?
Dans ce nouvel oral d’entretien, faute d’une définition juridique détaillée, les thématiques susceptibles d’être abordées sont si étendues que la notion même de programme est vidée de sens. Dans ces conditions, la préparation des étudiants sera forcément différenciée selon les INSPE et l’évaluation des oraux par les jurys une source d’aléas évaluatifs importants. Le respect du principe d’égalité de traitement des candidats, central dans l’organisation des concours, sera encore plus difficile à mettre en œuvre avec une épreuve orale aux contours si incertains. Outre une forme de déprofessionnalisation disciplinaire, les exigences implicites d’une telle épreuve orale risquent de favoriser le conformisme professionnel, l’adhésion par principe à telle pratique pédagogique particulièrement prisée par les INSPE, l’administration du ministère, voire le ministre lui-même.
Réformer la formation des professeurs ou réformer l’institution scolaire ?
Les limites de l’actuelle réforme de la formation des professeurs posent la question de ce que pourrait être une réforme plus pertinente. Plusieurs rapports ont déjà été rédigés sur cette question sensible. Leur présentation dépasserait le cadre de cet article. Cependant, il est possible de proposer quelques pistes de réflexion en partant d’un constat guère discutable. Aucune réforme ne peut aboutir à des professeurs mieux formés en l’absence, dans la grande majorité des disciplines, d’un nombre suffisant de candidats d’un niveau académique convenable. L’exemple des mathématiques est symptomatique : les candidats font défaut et leur niveau académique est faible. Le préalable impératif à toute réforme pertinente de la formation des professeurs est de rendre le métier plus attractif. Plusieurs pistes peuvent être envisagées de façon simultanée afin d’atteindre ce résultat.
D’une part, une revalorisation du métier est nécessaire afin d’attirer davantage d’étudiants dans les INSPE. Or, les accords de revalorisation décidés sous le précédent quinquennat ont concerné essentiellement les fins de carrière, de façon à favoriser le plus longtemps possible le maintien dans le métier. Si cette revalorisation est bienvenue, elle était moins urgente qu’une revalorisation sensible des premiers échelons afin d’attirer davantage de candidats, notamment pour faire face à l’augmentation actuelle du nombre d’élèves.
D’autre part, la gestion des affectations des professeurs est caractérisée, pour les néo titulaires, par des affectations dans les établissements les plus difficiles (REP et REP+), situation qui favorise la crise de recrutement et les démissions en début de carrière. Plutôt que d’accorder des avantages financiers substantiels aux professeurs en poste en classe préparatoire, affectation caractérisée par un surnombre de candidatures par rapport aux places disponibles, il serait préférable d’augmenter sensiblement les primes, toujours modestes, associées à l’enseignement dans les établissements difficiles afin de favoriser une stabilisation des équipes au fondement d’une meilleure intégration dans le métier et d’une plus grande efficacité pédagogique. Plus globalement, les conditions de travail des professeurs devraient être améliorées en réduisant le nombre d’élèves par classe et en augmentant la place des travaux dirigés. À l’exception de l’école élémentaire avec la politique de dédoublement des CP, CE1 et CE2 dans les établissements classés REP et REP+, la politique ministérielle a poursuivi le chemin inverse.
Enfin, l’institution scolaire est caractérisée par une forte ségrégation inter et intra-établissements au fondement de la carrière des professeurs attirés par le charme discret des élèves bourgeois. Réduire la ségrégation urbaine en favorisant les logements sociaux dans les quartiers moyens et aisés est une façon de réduire la ségrégation scolaire et les difficultés rebutantes auxquelles sont confrontés les jeunes enseignants en poste dans les établissements difficiles. Limiter la ségrégation intra-établissement entre les « bonnes » classes et les « mauvaises », qui reviennent souvent aux néo-titulaires, impose de limiter, spécifiquement en collège, toute une série d’options choisies (latin, grec, chinois, etc.) utilisées de façon stratégique par les parents des catégories aisées de façon à scolariser leurs enfants dans les établissements et les classes socialement homogènes.
Aucune réforme de la formation des maîtres ne peut être pleinement pertinente sans aborder d’abord – symptôme des difficultés chroniques de l’institution scolaire – la question cardinale de la crise du recrutement. Les pistes d’amélioration proposées pour réduire celle-ci se heurtent à des contraintes financières fortes et à des logiques électorales qui amènent souvent les gouvernements successifs à préférer le statu quo afin de ne pas mécontenter les parents des catégories moyennes et aisées qui bénéficient de l’organisation ségrégative de l’institution scolaire.
Conclusion
La nouvelle organisation de la formation des professeurs a pour finalité formelle de mieux adapter leur formation aux difficultés incontestables du métier, surtout celles propres aux jeunes professeurs, le plus souvent nommés dans les établissements difficiles. L’actuelle réforme de la formation des professeurs ne satisfait pas cet objectif et n’est pas à la hauteur des défis contemporains. Le premier est d’offrir aux étudiants les meilleures conditions de préparation au concours et au métier. Ces conditions sont loin d’être réunies. Même les meilleurs étudiants ne pourront à la fois réaliser de façon satisfaisante un tiers-temps d’enseignement, un mémoire de recherche et une préparation à un concours particulièrement sélectif. Cette nouvelle organisation de la formation ne relève pas un second défi tout aussi impératif : mettre fin à la crise du recrutement. Bien au contraire, l’effet dissuasif de cette nouvelle organisation de la formation, notamment le recul d’une année du premier salaire, ne peut qu’accentuer la crise de recrutement. Enfin, l’adaptation au métier risque d’être encore moins assurée que dans l’actuel schéma de formation. Dans l’ancienne organisation de la formation, les professeurs stagiaires étaient débarrassés de la préparation au concours. Leur investissement principal était de travailler leurs cours et de réussir leur adaptation au métier. Il n’en sera plus de même avec la nouvelle organisation du concours.
Le défaut de conception de l’actuelle réforme de la formation des professeurs tient notamment à la contrainte financière qui a pesé sur les décisions du ministère. La contrainte budgétaire est d’autant plus forte que le nombre d’élèves scolarisés dans le second degré passera de 2018 à 2022 de 5,64 à 5,75 millions, soit plus de 100 000 élèves supplémentaires au cours du quinquennat. À partir du moment où le ministre poursuit l’objectif de réduire le nombre de postes de fonctionnaires et définit le nombre d’inscrits en Master MEEF à partir des besoins d’enseignement propres à chaque académie et chaque discipline, le projet pédagogique poursuivi par la réforme devient secondaire. Cet objectif de court terme risque d’avoir des conséquences considérables à moyen terme. Le classement de compétitivité de Davosrepose sur douze piliers dans lesquels figurent la santé, l’éducation et l’enseignement supérieur, autant de domaines non prioritaires en raison du projet initial du gouvernement de réduire, dès 2018, le déficit budgétaire en dessous du seuil de 3 %, parallèlement à une réduction sensible des recettes fiscales avec notamment la suppression de l’ISFdont la pertinence économique est pourtant discutable.
La crise sanitaire liée au Covid-19 a montré le coût humain, mais aussi économique considérable d’un sous-investissement dans la protection sanitaire des citoyens. Dans le domaine éducatif, le sous-investissement exerce des effets peu visibles sur le court terme, mais aux conséquences également considérables à moyen terme. Faute d’investissements éducatifs suffisants, les inégalités de réussite selon l’origine sociale, déjà particulièrement marquées dans le système scolaire français, ne peuvent que croître. Le risque de chômage et de précarité, particulièrement plus élevé parmi les personnes peu ou non diplômées, demeurera une source récurrente d’exclusions et de conflits sociaux.
Les faiblesses du système éducatif français, aggravées par la crise du recrutement liée notamment à la faiblesse des rémunérations des enseignants (avec 15 ans d’expérience, un enseignant du secondaire en Allemagne gagne plus du double qu’un enseignant français), produiront à terme une perte de compétitivité économique, un délitement de l’intégration individuelle des élèves scolairement marginalisés, et l’affaiblissement d’une cohésion sociale déjà fortement éprouvée et pourtant indispensable au maintien des valeurs de la République. Celles-ci ne seront pas défendues par l’introduction d’un oral d’entretien lors du recrutement des futurs professeurs, mais par un investissement éducatif susceptible d’intégrer de façon effective chaque élève à l’institution scolaire et, ultérieurement, chaque adulte à la vie économique, politique et sociale de la Nation.
par , le 15 septembre