Benoît Borrits: À bas l’impôt, vive la cotisation sociale !

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog de Borrits

Contester les profits par augmentation des salaires et des cotisations sociales ou tenter d’en reprendre a posteriori une partie grâce à l’impôt ? Dans le premier cas, une voie possible vers une économie des travailleurs.ses débarrassée du Capital. Dans le second, une acceptation du système tel qu’il est en le corrigeant à la marge. Un débat stratégique pour la transformation sociale.

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Les cotisations sociales sont aujourd’hui l’objet d’une attaque sans précédent du patronat et des libéraux qui se réalise sans opposition majeure et dans un silence assez sidérant. Les cotisations sociales ont pourtant deux caractéristiques essentielles : elles sont constitutives du salaire et permettent de financer, en plus des revenus de remplacement, des secteurs économiques non marchands, ce qui signifie qu’elles sont capables de remplacer l’impôt.

Alors, impôts ou cotisations sociales ? Augmenter le salaire socialisé pour réduire les bénéfices et ouvrir la voie à une société post-capitaliste ou laisser les profits et des revenus indécents se former pour tenter de les reprendre après coup ? Il s’agit ici d’un débat stratégique majeur pour la gauche et tout particulièrement pour celles et ceux qui veulent sortir du système capitaliste.

Valeur ajoutée, salaire et cotisation sociale : de quoi parle-t-on ?

Nous allons, au préalable, expliciter quelques notions de base essentielles pour comprendre les enjeux de l’alternative entre impôts et cotisations sociales. La valeur ajoutée est l’évaluation comptable de ce que les salarié.es ont produit dans le cadre de l’entreprise. Le salaire est ce qui est payé par l’entreprise pour le travail réalisé. Si le salaire est supérieur à la valeur ajoutée alors l’entreprise réalisera une perte. Inversement, elle réalisera un profit. L’entreprise capitaliste – que nous appellerons « société de capitaux » – tentera donc de contracter avec un.e travailleur.se à un salaire tel que la valeur ajoutée qu’il/elle produira sera supérieure afin qu’elle réalise un profit. Le partage de la valeur ajoutée est donc un enjeu central de la luttes de classes. La propriété des moyens de production ne trouve son sens qu’à partir du moment où l’entreprise réalise des profits qui permettront demain de verser des dividendes qui valoriseront la société de capitaux.

Les cotisations sociales sont une partie constitutive du salaire. Plutôt que d’être directement versées au salarié, les cotisations sociales sont collectées dans des caisses afin de financer différentes prestations. Dans le cadre du système capitaliste, leur base de calcul est le salaire brut. On distingue deux types de cotisations qui s’affectent sur le salaire brut : les cotisations dites « salariales » et les cotisations dites « patronales ». Le salaire brut est le montant qui est contractuel entre le salarié et l’entreprise. Le salarié se verra remettre sur son compte en banque un salaire net qui est égal au salaire brut moins les cotisations salariales. L’entreprise versera aux différentes caisses les cotisations sociales salariales comme patronales. On comprend donc que le montant total du salaire pour l’entreprise est le salaire brut plus les cotisations patronales ou le salaire net plus l’ensemble des cotisations, salariales comme patronales.

Le distinguo entre cotisations sociales « salariales » et « patronales » est un enjeu essentiel de la lutte des classes. Lorsqu’une cotisation sociale doit être créée ou augmentée, un débat s’engage pour savoir si cette augmentation portera sur la part salariale ou patronale. Si celle-ci s’applique sur la partie salariale, ceci signifie que l’entreprise ne contribue pas plus, que le salaire total reste inchangé et que le salaire net – directement versé au travailleur – diminuera. À l’inverse, si celle-ci porte sur la partie patronale des cotisations, alors l’entreprise devra payer plus puisque le salaire brut est contractuel : ceci augmente le salaire total et diminue donc les profits. Ceci ne changera rien au salaire net directement versé au salarié.

Qu’elle soit « salariale » ou « patronale », la cotisation sociale fait partie du salaire : l’employeur a l’obligation de payer ces différentes cotisations dès l’instant où il verse un salaire. Mais à quoi servent ces cotisations sociales ?

Les cotisations sociales comme salaire différé ou continué

En France, le premier objet des cotisations sociales a été la retraite. Dès 1853, la retraite des fonctionnaires est organisée comme un salaire continué sur la base des traitements des six dernières années. En 1910, la loi sur la retraite ouvrière et paysanne institue des cotisations obligatoires qui constitueront une épargne retraite qui pourra être utilisée à partir de 65 ans, âge supérieur à l’espérance de vie des travailleur.ses de l’époque. Fortement décriée par la CGT anarcho-syndicaliste qui y voit un vol du salaire des travailleurs, Jean Jaurès soutiendra cette loi en dépit de ses imperfections car il y voyait un potentiel émancipateur pour l’avenir. En dépit des réticences initiales, le principe des cotisations a finalement été largement plébiscité par le syndicalisme qui a été l’inspirateur du régime général de la sécurité sociale établi en 1946. Son volet retraites se rapportant au secteur privé établissait une retraite calculée sur la base des dix meilleures années dans une logique de salaire continué (montant en fonction des derniers salaires). Ce régime général a ensuite été complété par la retraite des cadres Agirc en 1947 puis Arcco pour l’ensemble des salarié.es à partir de 1961 qui fonctionnent comme système à points dans une logique de salaire différé (montant en fonction des cotisations).

Lors de l’établissement de la sécurité sociale de 1946, un volet assurance-maladie a été instauré permettant d’assurer la continuité du salaire dans les moments où le/la travailleur.se est en arrêt maladie. De même, avec l’apparition du chômage dans les années 1970, un organisme paritaire patronat-syndicat s’est mis en place – l’Unédic – qui se charge de verser des indemnités pour les travailleur.ses qui se retrouvent momentanément hors-emploi.

Le paiement des pensions de retraites, des indemnités en cas de chômage ou de maladie sont les premières applications des cotisations sociales : assurer des revenus en périodes de non-emploi.

Les cotisations sociales comme outil de financement du secteur non-marchand

Si le principe des cotisations sociales a été adopté dans quasiment tous les pays pour financer des salaires de remplacement pour les travailleur.ses, l’instauration de la sécurité sociale en France a été l’occasion d’étendre le champ de la cotisation sociale à d’autres domaines.

Lors de l’établissement de la sécurité sociale en 1947, une part importante des cotisations ont porté sur la politique familiale sous la forme d’allocations familiales qui reconnaissaient de facto le travail d’éducation des parents1). De même, l’assurance maladie ne s’est pas contentée de verser des indemnités au salarié en arrêt maladie mais a pris en charge une part de plus en plus importante des personnels de santé avec l’apparition des Centre Hospitaliers Universitaires (CHU) en 1958 puis le conventionnement des médecins libéraux en 19612).

Lorsque la masse salariale augmente, ce sont des profits en moins pour les sociétés de capitaux, et donc des salaires en plus. Quelle que soit la nature de ce que finance la cotisation – salaire différé/continué ou service non marchand – il s’agit bien de revenus pour le salarié. Ceci se comprend aisément lorsque l’on parle de salaire différé ou continué. Mais il en est de même lorsqu’il s’agit de financer du service non marchand. Supposons en effet que la santé publique n’existe pas et soit confiée au secteur privé. Ceci signifie alors que le/la salarié.e devra payer des prestations de santé ou des assurances privées sur son salaire net. Si elle est financée par la cotisation sociale, ceci signifie que la cotisation sociale, qu’elle soit « salariale » ou « patronale » fait partie intégrante de son salaire et qu’il/elle reçoit à ce titre des prestations médicales gratuites lorsqu’il/elle en a besoin.

On voit donc à travers ces deux exemples qu’il n’y a aucune raison que la cotisation sociale se limite à servir des revenus de remplacement aux salarié.es qui en auraient besoin mais peut financer des secteurs économiques non marchands. Dès lors, la cotisation sociale peut très bien prétendre financer la totalité de l’économie, ce qui rend l’impôt totalement inutile pour cette fonction. Bien que ce financement des secteurs non marchands par la cotisation sociale soit relativement peu répandu dans le monde, il est porteur de transformations sociales majeures permettant de penser l’économie post-capitaliste. Il n’est donc pas anodin de constater que d’ardents défenseurs de l’impôt comme Thomas Piketty veuillent voir disparaître le financement de la santé publique par la cotisation sociale3).

Vers une économie des travailleur.ses

Notre objectif final est bien que les profits disparaissent à tout jamais, ce qui signifie que les actionnaires n’aient plus aucune place dans les entreprises et que ces dernières soient alors directement gérées par les salarié.es de ces sociétés. Dans cet aboutissement, la notion même de salaire change. Alors que dans le passé, celui-ci exprimait une relation de subordination avec le capital dans lequel le salaire – avec l’ensemble des cotisations associées – était échangé contre du temps de travail, les salaires seront désormais les prélèvements qu’effectueront les travailleur.ses de l’entreprise dans laquelle ils/elles travaillent, sachant que chaque prélèvement sera ventilé entre des versements directs sur leurs comptes bancaires et des cotisations correspondant aux différentes caisses à abonder. Dans une telle configuration, le distinguo cotisations « salariales » et cotisations « patronales » n’a plus aucun sens puisque les salarié.es s’accapareront la totalité de la valeur ajoutée et que leur rémunération ne sera plus limitée par un contrat signé avec le patronat.

La cotisation sociale est l’outil qui a permis dans le passé de construire de véritables institutions des travailleur.ses. La sécurité sociale de 1946 n’a jamais été pensée comme devant être une institution étatique. Elle constituait de facto un commun des travailleur.ses qu’ils/elles géraient directement par l’élection de listes syndicales dans les différentes caisses. Il est, à cet égard, intéressant de constater l’acharnement conjoint de l’État et du patronat pour contester l’indépendance relative de cette institution des travailleur.ses afin de la réintégrer dans le giron de l’État et de permettre au privé de s’engager dans le secteur de la santé. Au lancement de la sécurité sociale, les administrateurs.trices de ces caisses étaient élu.es par les salarié.es pour 75 % et le patronat pour 25 %, ce qui garantissait de facto une gestion de la sécurité sociale par les travailleur.ses. Le premier acte de cette reprise en mains a été la nomination des directeurs de caisse par le gouvernement suivi de l’introduction de la parité avec les ordonnances de Jeanneney de 1967 qui, du fait de la division syndicale, ôte de facto le pouvoir aux salarié.es dans ces caisses. À ce jour, il n’y a plus d’élections depuis 1983, les ressources de la sécurité sociale proviennent en partie de la fiscalité4) et le budget est désormais voté par le parlement dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

En dépit de ses imperfections initiales dues au contexte d’intenses luttes des classes à l’issue de la Libération, la sécurité sociale de 1946 aurait pu préfigurer une institution totalement gérée par les travailleur.ses qui décidaient ensemble le niveau de couverture sociale, les budgets et donc les pourcentages de cotisations à opérer. C’est donc sur cette voie qu’il faut s’inscrire en généralisant le principe de la cotisation à l’ensemble des domaines de la vie économique.

Il existe actuellement de nombreux services publics gérés directement par l’État, comme ceux de l’éducation ou encore tout ce qui régule notre vie politique et économique tel que la justice, la police, la défense… Tout ceci constitue une production régulée politiquement par l’État. Elles sont actuellement financées par l’impôt mais rien n’interdit de les financer par la cotisation sociale, ce qui permet, pour chacune de ces activités, de développer un champ de discussion politique sur l’orientation de chacun de ces services en vertu du principe démocratique que celles et ceux qui financent décident, conjointement avec celles et ceux qui travaillent, du contenu de la production.

La cotisation sociale permet donc de voir émerger une nouvelle démocratie dans laquelle chacun des champs d’activité sera l’objet d’une délibération citoyenne qui portera autant sur les montants que sur le contenu du service non-marchand. Il s’agit d’un horizon émancipateur largement plus enthousiasmant que cet impôt collecté dont on ne maîtrise pas vraiment l’utilisation, celle-ci étant déterminée par un gouvernement, un parlement et des partis politiques qui vont décider de tout sur tout dans la plus grande opacité comptable. Cet impôt peut certes financer des services publics qui nous sont chers mais peut aussi subventionner des sociétés de capitaux afin de favoriser les profits et les patrimoines des actionnaires. La cotisation ouvre donc la voie à une démocratie des travailleur.ses largement plus directe et délibérative que celle qui est actuellement existante.

La cotisation, un enjeu stratégique majeur

Devons-nous financer les services publics par des impôts ou des cotisations sociales ? Nous avons déjà répondu à cette question du point de vue de la démocratie : la cotisation est préférable dans la mesure où chacun.e sait ce qu’il finance et peut délibérer directement sur le sujet. Posons-nous maintenant la question du point de vue de la stratégie des programmes des partis de gauche qui ont en vue de former une majorité et un gouvernement progressiste5).

Nous noterons en préalable que l’augmentation des salaires bruts permet à la fois l’augmentation des salaires nets directement touchés par les travailleur.ses et l’obtention de nouvelles ressources pour les services non marchands, entendu que cela réduit d’office la part des profits dans la valeur ajoutée. Ces nouvelles ressources pour le secteur non marchand permettent en retour de mieux rémunérer les travailleur.ses de ces secteurs. L’augmentation des salaires bruts est donc porteur d’une augmentation généralisée de l’ensemble des salaires, du privé comme du public.

La question de l’alternative cotisation vs. impôt se pose pour le développement d’un nouveau secteur non marchand. Nous pourrions prendre l’exemple très actuel du secteur de la dépendance. À l’heure actuelle, ce besoin est principalement pris en charge de façon individuelle par les ménages. Si la personne vieillissante dispose de revenus suffisants ou d’un patrimoine, elle pourra payer son établissement ou les prestataires de service qui se rendront à domicile. Si elle n’est pas capable de payer ces prestations, on fera alors appel aux enfants et ce n’est que s’ils ne sont pas solvables qu’on fera appel à des dispositifs exceptionnels de solidarité. Le principe d’une nouvelle branche dépendance de la sécurité sociale consiste donc à rendre gratuits et en fonction des besoins l’hébergement dans ces établissements ou les personnels à domicile. Il s’agit donc de rendre non marchands des services qui étaient précédemment marchands.

Si nous nous en tenons à un financement par la cotisation sociale, le patronat argumentera que comme ces prestations étaient précédemment prises en charge par les individus et que ce service est désormais gratuit, il y a tout lieu d’augmenter les cotisations sociales salariales, ce qui réduira les salaires nets versés à l’ensemble des travailleur.ses. Ceci serait la position la plus logique pour le patronat mais il ne la met guère en avant car elle serait carrément impopulaire. À l’inverse, un gouvernement progressiste devrait logiquement proposer une hausse ou création de cotisation sociale patronale, ce qui permettrait une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Le mécanisme de la cotisation sociale permet un débat simple et direct sur qui paye : le travail ou le capital ? Si c’est le travail, les profits restent inchangés. Si c’est le capital, alors les profits baissent.

Dans le passé, face à une augmentation de cotisation patronale, la solution pour les propriétaires consistait à augmenter la production pour accroître les bénéfices. Ceci était valable durant la période dite des « Trente glorieuses » et explique en partie que les cotisations aient été en hausse jusqu’au début des années 1980. Ceci est de moins en moins viable compte tenu de la faiblesse d’une croissance essentiellement exogène et surtout non souhaitable pour l’écologie.

Dès lors, la question posée est bien de savoir si ce nouveau rapport entre les classes sera capable de se maintenir. En effet, la hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée entraîne une dévalorisation des sociétés de capitaux qui ne manquera pas de pousser les actionnaires à une grève des investissements et de l’emploi6). Si tel est le cas, la perspective du départ des actionnaires et de la transformation des sociétés de capitaux en unités de production autogérées par leurs travailleur.ses et les usagers doit être immédiatement ouverte.

On peut, à l’inverse, considérer que l’on peut diminuer les profits des entreprises, sans que cela ait des conséquences sur l’emploi. La question posée par tout changement de rapport entre salaire et profit est alors celui de son évolution dans le temps. On peut en effet augmenter une cotisation patronale, ce qui revient à augmenter immédiatement les salaires, mais si, en retour, le patronat bloque les salaires pendant de nombreuses années, il s’agira évidemment d’une victoire à la Pyrrhus. Il est donc essentiel de maintenir un rapport de forces permanent en faveur d’augmentations de salaires. Est-ce pour cela que certain.es préfèrent utiliser la voie des impôts plutôt que celle des cotisations « patronales » ?

Augmenter les impôts : la réponse des perdants

Si le curseur de la répartition de la valeur ajoutée bouge demain dans le sens des profits, certain.es voient dans les impôts une sorte de deuxième tour fiscal : les profits remontent mais comme nous avons instauré un impôt sur les sociétés, on en reprendra alors automatiquement une partie. De même, des impôts fortement progressifs sur les revenus ne pourront que toucher les dividendes qui seraient amenés à être versés. Et puis, cerise sur le gâteau, les socialistes – ceux-là mêmes qui dans les années 1970 nous parlaient de sortie du capitalisme pour finir par promouvoir l’austérité afin de restaurer les profits des entreprises – ont inventé le nec plus ultra : l’impôt sur la fortune. Vous gagnez de l’argent sur notre dos au point d’amasser des fortunes considérables ? On ne va pas tout vous prendre, on n’est pas des sauvages, mais on en va en taxer un petit pourcentage tous les ans.

Le premier impôt consiste à taxer les bénéfices des entreprises. Sur le fond, on peut considérer que cela revient à opérer une session de rattrapage vis-à-vis du salaire socialisé. Si l’entreprise a réussi à dégager un bénéfice, ceci signifie que la masse salariale a été inférieure à la valeur ajoutée. L’impôt sur les sociétés permet à l’État de prendre sa part des bénéfices qu’il pourra alors utiliser à sa guise y compris en subventionnant des sociétés, parfois au nom d’une politique sociale et écologique. L’effet de l’impôt sur les sociétés est donc très proche de la hausse de cotisations dans la mesure où il réduit les bénéfices nets, sauf qu’il ne permet pas un contrôle démocratique de l’utilisation de celui-ci. L’impôt sur les sociétés ne remet pas en cause le capitalisme parce qu’il ne fait que réduire les bénéfices et nous n’avons encore jamais entendu parler d’une proposition d’impôt à 100 % sur les bénéfices, parce qu’elle serait tout simplement absurde : pourquoi les sociétés réaliseraient-elles des profits si ceux-ci sont confisqués ? Utiliser l’impôt sur les sociétés en lieu et place de la hausse du salaire socialisé est une dangereuse illusion qui apporte plus d’inconvénients qu’on en retire d’avantages. Comme pour les cotisations sociales, diminuer les bénéfices des entreprises revient à réduire les perspectives de dividendes et donc, réduire les valorisations des sociétés. Dans le contexte de faible croissance qui est le nôtre, les directions de ces sociétés vont sous-investir et sous-employer et de ce point de vue, l’éviction des actionnaires reste tout autant posée. C’est ainsi qu’au final, la pression pour une baisse de l’impôt sur les sociétés est tellement forte que, sur les dernières décennies, celui-ci n’a fait que baisser. Choisir l’impôt sur les sociétés signifie reconnaître les profits et donc la notion de propriété des entreprises en se plaçant sur le terrain de l’ennemi.

Le deuxième est l’impôt sur le revenu. On le ressent comme quelque chose de fondamentalement « juste » puisqu’il a un effet redistributeur évident. Dans le financement des services publics, les « riches » payent en effet plus que les « pauvres » dans le cadre de l’impôt progressif alors que la cotisation est proportionnelle : on paye tous en due proportion de ce que l’on retire du processus de production. Si l’on suit Thomas Piketty, grand défenseur de cet impôt, il n’est pas anormal d’avoir des taux de prélèvement de 90 % sur les plus hauts revenus car cela permet de réduire les inégalités qui se sont fortement accrues sur ces dernières décennies. On ne peut que louer l’intention mais là encore, celle-ci va se heurter aux dures réalités de l’investissement. Thomas Piketty n’est pas sans savoir, puisqu’il l’explique lui-même, que les plus hauts revenus ont une composante financière très importante7). Plus ceux-ci sont ponctionnés, plus l’intérêt d’investir est faible. L’investissement est un exercice incertain dans lequel on peut réaliser des gains… ou des pertes. Si les gains sont taxés à 50 % par exemple, ceci signifie que si l’investisseur gagne, il ne conservera que 50 % de son gain alors que s’il perd, il perdra tout et ne recevra rien de l’État. On imagine avec aisance l’effet que pourrait avoir une taxation à 90 % des revenus financiers et des plus-values ! C’est ce qui explique qu’une des premières mesures d’Emmanuel Macron a été d’imposer la taxe à taux unique de 30 % sur les revenus financiers et les plus-values afin de préserver l’investissement. Cette mesure a coûté relativement peu cher – entre 1,4 et 1,7 milliards d’euros8) – aux caisses de l’État mais a évidemment profité aux segments les plus riches des ménages : l’accroissement des inégalités est une conséquence inévitable du maintien des actionnaires et l’impôt est un palliatif assez inefficace. Voilà pourquoi, vouloir imposer très fortement les revenus financiers est certes juste socialement mais il devient alors difficile de compter sur l’investissement privé pour l’économie.

Le dernier impôt auquel on pense est bien sûr l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Là encore, nous rentrons dans le même processus et c’est ce qui explique l’empressement d’Emmanuel Macron à le transformer en un IFI qui ne porte plus que sur la seule fortune immobilière. Là encore, ce n’est pas indolore pour les caisses de l’État : 3,7 milliards d’euros. Le taux le plus élevé de l’ISF était de 1,5 % pour les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros. Sur le fond, tout le monde ou presque est d’accord pour dire que devoir payer 1,5 % sur la partie des patrimoines supérieure à 10 millions d’euros est quelque chose de totalement normal. Cependant, cette imposition signifie pour les plus riches une dévalorisation de leur patrimoine qui est préjudiciable à l’investissement. Si celui-ci a progressé de 5 % dans l’année, il leur faut anticiper l’impôt sur les plus-values pour ensuite déduire l’ISF. A titre d’exemple, si l’impôt sur la plus-value est de 50 %, ceci signifie que le patrimoine a alors progressé de 2,5 % en valeur nette et qu’il faudra déduire ensuite 1,5 % au titre de l’ISF, ce qui laisse une progression de 1 %. Bien entendu, c’est loin d’être la misère mais peut dissuader de prendre des risques. Reconnaissons quand même à cet impôt la vertu d’être moins néfaste au capitalisme que ne peut l’être l’impôt progressif sur les revenus : il vaut peut-être mieux investir pour espérer un rendement positif qui maintiendrait le capital plutôt que de perdre 1,5 % tous les ans. Les gilets jaunes ont parfaitement raison de réclamer le rétablissement de l’ISF à l’égard du gouvernement d’Emmanuel Macron, mais cela ne peut pas être le fondement d’une politique progressiste conséquente.

Le point commun de ces deux derniers impôts est de quitter le terrain de classes pour lui préférer la lecture d’une société divisée entre « riches » et « pauvres », ce qui correspond à une démarche fondamentalement populiste9). Le terrain de classes consiste à déterminer qui détient le pouvoir pour le contester et déboucher sur une nouvelle société. Dans le cadre du capitalisme, la société est divisée entre les propriétaires des moyens de production et celles et ceux qui ont besoin de vendre leur force de travail pour vivre. Du fait du processus d’exploitation inhérent au capitalisme, la richesse se concentre plus dans le camp des propriétaires des moyens de production que dans celui des salarié.es10). Vouloir redistribuer la richesse entre « riches » et « pauvres » n’a aucun potentiel transformateur. Il ne fait que pérenniser une configuration de classes en corrigeant a posteriori ses effets : on laisse les profits se former et on corrige ensuite à la marge. Du coup, l’ampleur de cette correction est un sujet permanent de débats dans lequel les « correcteurs » ne peuvent jamais avoir le dessus. On peut vouloir établir par l’impôt progressif un revenu maximum11), la faiblesse fondamentale de cette approche est de reconnaître de facto le système tel qu’il est et de le corriger après coup. Comme une grande partie de ces revenus est formée de produits financiers, on ne peut compter sur celles et ceux qui ont de l’argent pour investir pour leur dire ensuite qu’on va leur en reprendre une grande partie. On est d’office en position de faiblesse et il ne faut donc pas s’étonner que les libéraux aient toujours le dessus aboutissant au final à l’apparition d’une flat tax dérogeant à l’impôt progressif pour les revenus financiers comme cela vient d’être le cas durant la présidence Macron.

Il nous faut donc contester la formation des profits à la base, en explicitant clairement que nous n’avons pas besoin des riches pour investir car nous allons le faire nous-mêmes. Et pour cela, plutôt que de laisser les profits se former pour les reprendre a posteriori, il vaut mieux intégrer la problématique de l’investissement dans l’économie des travailleur.ses au travers de cotisations sociales, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent et reste à construire : il s’agit d’une voie infiniment plus féconde que celle des impôts.

Il en est de même des inégalités de revenus y compris de ceux du travail. On peut voir dans l’impôt sur le revenu le moyen de corriger des inégalités qui sont de facto crées par le capital dans le sens des intérêts de sa valorisation. Les salaires de ses cadres les mieux payés s’apparentent plus à des contrats de « mercenaires » qui vont faire bosser les autres dans l’intérêt du capital : il est facile de verser des rémunérations de quelques centaines de milliers d’euros, voire de millions lorsque l’entreprise est censée verser des dividendes de plusieurs millions, voire milliards d’euros. À l’inverse, une économie des travailleur.ses dans laquelle ces dernier.ères s’approprieront la totalité de la valeur ajoutée sera capable de maîtriser la distribution des rémunérations dans une échelle plus raisonnable et n’aura nullement besoin de réaliser une redistribution a posteriori des rémunérations. Il en est de même des patrimoines. La majeure partie de ceux-ci sont financiers et leur valeur n’est déterminée que par les anticipations de revenus futurs : abrogez toute perspective de revenus futurs et ces patrimoines n’existent tout simplement plus.

La fable des « charges » sociales

L’emploi est un terrain sur lequel le patronat et les gouvernements de droite mais hélas aussi de « gauche » accentuent leur pression contre les cotisations sociales en les appelant « charges » et non plus « cotisations ». Leur argument est simple : de nombreuses activités économiques ne permettent pas de payer le salaire minimum avec l’ensemble des cotisations. Pour illustrer le propos, sur la base d’un SMIC brut de 1500 euros, les cotisations sociales « patronales » devraient être de l’ordre de 700 euros, ce qui ferait un salaire total de 2200 euros. De nombreuses activités ne sont pas capables de payer des salarié.es à un tel montant car cela imposerait des niveaux de prix qui ne trouveraient pas preneurs. Du coup, les libéraux présentent les cotisations comme étant des « charges » qui « pèsent » sur le travail et génèrent du chômage.

À partir des années 1990, des politiques d’exonération de cotisations sociales ont été mises en place vis-à-vis des salaires proches du Smic. En juillet 1993, le gouvernement Balladur décrète l’exonération totale des cotisations sociales de la branche « famille » sur les salaires jusqu’à 1,1 Smic et de 50 % jusqu’à 1,2 Smic. Il a ainsi donné le coup d’envoi d’une politique qui n’a cessé de s’intensifier. En 1995, c’est l’allègement des cotisations d’assurance-maladie. En 1996, Juppé fusionne ces deux dispositifs. En 1998-2000, les « aides Aubry » ajoutent de nouveaux allégements de cotisations aux entreprises concluant des accords de passage aux 35 heures. En 2003-2005, François Fillon parachève l’édifice avec un dispositif unique, compensant la hausse du Smic entraînée par la RTT. Le gouvernement Hollande ne sera pas en reste avec l’introduction du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE). Comme son nom l’indique, il ne s’agit pas directement d’un allègement de charges mais d’un crédit d’impôt qui y ressemble fortement : ce crédit d’impôt est égal à 4 % puis 6 % de la masse salariale des salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic. Son coût total est exorbitant : plus de 20 milliards d’euros par an avec un effet sur l’emploi pour le moins contestable – au mieux 115 000 emplois – et sans aucun rapport avec les sommes versées. L’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence transformera ce dispositif en baisse de charges permanentes. Juste avant la crise du Covid-19, il n’y avait quasiment plus de cotisations sociales patronales pour les salaires au niveau du Smic et celles-ci étaient progressives jusqu’à 2,5 Smic. Aujourd’hui, l’État compense en grande partie les exonérations de cotisations sociales. Pour combien de temps ?

Le bilan de ces exonérations de cotisations sociales est catastrophique. Il induit des effets de trappes à bas salaires : si l’entreprise augmente le salarié, l’entreprise paiera un accroissement plus fort du salaire total que le salaire net versé. Du coup, les entreprises tendent à maintenir une grande partie du salariat dans des bas salaires. Ces baisses de cotisations sont aussi un effet d’aubaine pour bien des sociétés qui pourraient très bien payer ces cotisations. C’est la raison pour laquelle si ces baisses de cotisations ont un effet bénéfique pour l’emploi, le résultat est sans commune mesure avec le coût pour le budget de l’État, comme cela a été démontré par plusieurs études dans le cas du CICE. Enfin, une telle mesure aggrave le déficit des budgets publics au grand bénéfice des sociétés de capitaux. La crise du covid-19 a été l’occasion de porter un coup supplémentaire aux cotisations sociales. Dès le début du confinement, Emmanuel Macron a autorisé les entreprises à suspendre unilatéralement le paiement des cotisations sociales. Certaines entreprises, notamment celles de secteurs particulièrement touchés, en seront totalement exonérées.

Il convient donc de ici de réhabiliter à la fois le salaire minimum et les cotisations sociales. Le salaire minimum net est aujourd’hui de l’ordre de 1200 euros nets, ce qui reste faible. Le Plan de sortie de crise en 34 mesures signé par 20 organisations syndicales et associatives prévoit de le porter à 1700 euros12). Ce plan n’aborde hélas pas la question du rétablissement des cotisations sociales, préférant mettre l’accent sur un impôt fortement progressif et le rétablissement de l’ISF. C’est bien dommage car les cotisations sociales sont du salaire et nous devrions nous réjouir que le capital ne soit pas capable de payer de tels niveaux de salaires car cela signifie qu’il a fait son chemin et qu’il est désormais temps de l’exproprier.

On nous opposera que cela ne sera le cas que dans des entreprises à très faible valeur ajoutée qui, après expropriation du capital, ne pourront pas non plus verser des rémunérations au moins égales au salaire minimum avec l’ensemble des cotisations sociales.

La péréquation interentreprises

La solution qui a été apportée précédemment consiste pour l’État à « subventionner » l’emploi sans questionner la présence des propriétaires d’entreprises : si celles-ci ne savent pas payer les salaires (avec l’ensemble des cotisations), alors l’État va se substituer aux entreprises dans le paiement des cotisations sociales. Ne pas questionner ce tour de passe-passe revient tout simplement à ne pas contester la propriété privée des moyens de production.

La péréquation interentreprises va agir de façon radicalement différente : plutôt que de faire appel à l’État pour payer les cotisations sociales des salaires proches du Smic, elle va transférer de l’argent des entreprises à forte valeur ajoutée par personne aux entreprises à faible valeur ajoutée, de façon à ce que celles-ci soient au moins capables de payer à leurs travailleur.ses le salaire minimum accompagné de l’intégralité des cotisations sociales. Grâce à ces transferts, la question de l’appropriation sociale se posera dans l’ensemble des entreprises, qu’elles soient à faible ou forte valeur ajoutée par salarié.e.

Le principe est simple. L’assiette du prélèvement sont les Flux de trésorerie d’activité (FTA), donnée très proche de la valeur ajoutée13), dont on prélèvera une fraction significative (60 % par exemple) pour la redistribuer ensuite en fonction du nombre de personnes dans chaque entreprise. On pourra répartir ce flux sur la base d’une allocation unique par personne ou sur la base d’une qualification14). Ce mécanisme permettra donc de poser la question de l’échelle des salaires lors de la formation des revenus, ce qui rendra inutile une redistribution ultérieure par un impôt progressif sur le revenu.

Derrière cette proposition se profile une approche radicalement différente de la relation entre emploi et salaire. Dans le système capitaliste, le salaire est la contrepartie de l’emploi, ce qui signifie que les individus sont sommés de se rendre « employables » pour accéder à des revenus autres que les minima sociaux. Avec la péréquation interentreprises, on considère qu’une partie importante du revenu doit être garantie dès l’instant que l’on occupe un poste de travail. Un tel système permet de garantir que les unités de production proposeront de nombreux postes de travail, sachant que le différentiel entre ce que rapporte la présence de l’individu dans l’entreprise et le montant du salaire minimum sera très faible. La rareté des emplois sera remplacée par la rareté des individus qui auront alors un véritable choix de postes de travail.

Dans un tel système, le salaire devient premier : tout le monde a droit à un salaire, la seule contrepartie demandée étant de participer à la production en prenant un des nombreux postes de travail offerts ou en créant sa propre activité. Nous ne raisonnerons plus sur une hypothétique croissance pour créer des emplois mais sur un volume d’activité prévisionnel – qui pourra éventuellement être en décroissance pour des raisons écologiques évidentes – qui induira un temps de travail légal en forte diminution permettant à toutes et à tous de participer à la production.

Une cotisation pour financer les investissements

L’accaparement de la totalité de la valeur ajoutée par les salaires signifie que la valeur des sociétés de capitaux a disparu, ce qui signifie que les salarié.es gèrent l’entreprise pour eux-mêmes et qu’il n’y a plus aucun intérêt à être propriétaire d’une telle entreprise. Mais sans propriétaire, il n’y a alors plus de capital et donc, de fonds propres. La conséquence est que l’ensemble des actifs de l’entreprise doit être financé par emprunts et ceci ne peut évidemment se faire auprès d’agents privés. C’est la raison pour laquelle il faut constituer un secteur financier socialisé qui prêtera aux unités de production de façon à ce que les travailleur.ses puissent se payer l’intégralité de ce qu’ils/elles produisent15).

L’établissement d’une cotisation investissements est une mesure de transition incontournable. Elle est indispensable pour permettre d’étendre les salaires à la totalité de la valeur ajoutée. En effet, une partie de la valeur ajoutée est actuellement constituée de profits dont seule une fraction pourra être versée immédiatement sous forme de dividendes, l’autre partie étant constituée d’une augmentation d’un actif net non liquide. L’établissement de cette cotisation permet donc de disposer de ressources immédiates pour prêter aux entreprises autogérées de façon à ce que les travailleurs n’aient pas à sacrifier leurs rémunérations dans l’accumulation d’un actif net, ce qui d’ailleurs reconstituerait un capital avec les risques politiques associés.

La structuration du secteur financier socialisé est un objet de débat en soi. Il pourra s’articuler autour d’un Fonds socialisé d’investissements et de banques qui, comme les autres entreprises, seront désormais gérées par leurs travailleur.ses et leurs usager.ères. Le Fonds socialisé d’investissements aura le rôle d’une banque centrale qui contrôlera l’émission de monnaie en fonction d’une politique monétaire décidée démocratiquement. Il fournira aux banques des lignes de crédit de moyen-long terme afin de se passer définitivement des marchés financiers. Le rôle de la cotisation investissements sera d’ajuster les liquidités disponibles à la consommation en fonction de la politique monétaire décidée.

Cotisation ou impôt : il faut choisir

La cotisation sociale permet de financer des revenus de remplacement déliés de la subordination salariale et de financer les services non marchands. Alors qu’elle permet de penser une économie définitivement débarrassée du capital, la cotisation est actuellement sujette à des attaques venant aussi bien de la droite que de la « gauche » de l’échiquier politique : les cotisations sociales deviennent des « charges » qui pèsent sur l’emploi et qu’il convient donc de réduire. Nous avons démontré que si charges il y a, celles-ci sont effectives pour le capital puisqu’elles contestent le profit. Si, dans ce contexte, le capital ne peut plus développer l’emploi, c’est qu’il a largement fait son temps.

La « gauche réformatrice » n’affronte nullement la droite sur le terrain des cotisations et développe un discours soit-disant de rupture qui veut « taxer le capital » ou « faire payer les riches ». Et nous sommes ici face à un paradoxe. S’il s’agit de s’en prendre au capital, pourquoi ne pas augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée, ce qui réduit d’autant les profits ? Parce qu’on a peur pour l’emploi ? Parce qu’on pense que les emplois seront mieux garantis en laissant les profits se former pour les reprendre ensuite par des impôts ? Parce qu’on pense que les possédants ne vont pas s’en rendre compte et continuer à investir comme si de rien n’était ? On est dans l’absurdité la plus totale. Cela fait des années que la voie de l’impôt est privilégiée et l’histoire nous a montré que les moins-disant fiscaux ont toujours le dessus.

Il est donc infiniment plus simple de s’en prendre directement aux profits en augmentant la part des salaires dans la valeur ajoutée. Et s’il apparaît que cela est antinomique avec le maintien du système, que les propriétaires ne vont pas accepter la nouvelle situation, il ne s’agit alors plus de maintenir la part des salaires dans la valeur ajoutée mais de s’approprier la totalité de celle-ci et de se débarrasser des actionnaires. Alors que la cotisation permet de penser dès maintenant une société post-capitaliste, l’impôt est antagonique à la transformation sociale dans la mesure où il suppose que se forment des profits et des revenus indécents pour être opérationnel, ce qui perpétue le système sans ouvrir une quelconque voie vers son dépassement. Promouvoir l’impôt en lieu et place de la cotisation sociale revient à tourner autour du pot pour éviter de poser la question de la sortie du capitalisme.

References

1. Bernard Friot, L’enjeu du salaire, La Dispute, 2012, p. 62.
2. Ibid., p. 66.
3. Camille Landais, Thomas Piketty & Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, La République des Idées & Seuil, 2011, p. 116.
4. Notamment grâce à l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) par Michel Rocard en 1990, contribution fiscale qui est venue en remplacement de cotisations sociales.
5. Nous définirons comme progressiste un gouvernement qui entend augmenter les salaires et/ou développer des services publics.
6. Benoît Borrits, Virer les actionnaires, pourquoi et comment s’en passer ?, Syllepse, 2020, p. 41.
7. Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Seuil, 2013, p. 436.
8. Nasser Mansouri-Guilani, Développer les services publics, Un combat d’avant-garde, Éditions du croquant, 2020, p.135.
9. N’en déplaise à Thomas Piketty, grand défenseur de l’impôt progressif, qui n’aime justement pas utiliser ce terme (Capital et Idéologie, Seuil, 2019, p. 1105).
10. Ce n’est pas non plus une règle générale : un détenteur des moyens de production peut aussi être très pauvre s’il s’est endetté pour acquérir ses moyens de production.
11. Comme Georges Marchais, secrétaire général du PCF, qui déclarait en 1981, « au-dessus de 4 millions, 100% d’impôts, je prends tout » : https://www.dailymotion.com/video/xdkg99 .
12. Plus jamais ça ! 34 mesures pour un plan de sortie de crisehttps://france.attac.org/IMG/pdf/le_plan_de_sortie_de_crise.pdf
13. Les Flux de trésorerie d’activités (FTA) correspondent schématiquement aux encaissements de factures clients moins les décaissements pour paiement de fournisseurs (pour une description plus complète : https://www.economie.org/solutions/perequation/quelle-mesure-de-la-richesse-produite/ ). Si l’ensemble des actifs étaient financés par un secteur financier socialisé, il y aura alors parfaite identité entre la valeur ajoutée et les FTA.
14. Comme Bernard Friot le préconise avec le salaire à la qualification. La péréquation interentreprises peut être le support d’une évolution vers sa proposition sachant que dans celle-ci, la totalité de la valeur ajoutée sera prélevée et que ce salaire est inconditionnel et sans contrepartie en terme de contrat de travail.
15. Le secteur financier socialisé prendra en charge le financement de l’ensemble des actifs de l’entreprise, ce qui signifie que les travailleur.ses n’auront pas à restreindre leur rémunération pour financer ceux-ci (cf. Benoît Borrits, Virer les actionnaires, op. cit., p. 115).

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