AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Blog de Danielle Bleitrach
Jean Pierre Page et moi n’avons cessé de nous croiser, d’abord au Comité central dont nous étions tous les deux membres, puis au hasard des rencontres de l’Internationale communiste… Nous avons partagé au moins trois passions: Cuba, le cinéma et bien sûr l’internationalisme communiste. Mais notre dialogue s’il porte sur ce passé commun, porte aussi sur l’avenir, ce qu’avec notre expérience – lanterne que nous avons dans le dos comme on dit – nous pouvons envisager. Cet échange prend place dans la réflexion que nous avons dans ce blog sur le socialisme plus encore que sur le PCF (note de Danielle Bleitrach).
Chère Danielle,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ton récent article “j’accuse”. Je partage le constat critique que tu fais sur le caractère non-accidentel des positions du PCF, particulièrement sur de nombreux sujets internationaux. Je pense que ton opinion est utile et qu’elle contribue à clarifier ce qui n’est pas seulement une dérive résultat d’insuffisances mais une réorientation stratégique engagée depuis de nombreuses années. Le changement de société dont nous parle le PCF et comme on le voit sur l’Europe n’est rien d’autre qu’une adaptation illusoire qui ne remet pas en cause la domination du Capital. Cette politique a conduit entre autre à l’abandon purement et simplement de la dimension internationaliste du combat de classe des communistes en France.
Les directions qui se sont succédées depuis le milieu des années 90 portent une large responsabilité dans le préjudice causé aux luttes des travailleurs et des peuples non seulement dans notre pays mais dans le monde. L’internationalisme était une dimension essentielle de son patrimoine et n’était pas étranger au prestige du PCF. Toi comme moi qui avons beaucoup travaillé avec bien des partis et forces progressistes dans le monde avons souvent fait l’expérience de ce décalage entre ce que nous constations sur le terrain et le discours dans l’air du temps aux préoccupations sociétales exclusives devenu celui du PCF.
Aujourd’hui par son opportunisme et son refus de la moindre autocritique le PCF est devenue une force politique marginale au niveau national et par ailleurs incapable internationalement de jouer un rôle positif en faveur d’une prise de conscience permettant de se hisser à la hauteur des défis de notre temps face à la barbarie capitaliste et aux obsessions dominatrices de l’impérialisme. Cette évolution est d’autant plus paradoxale que comme le montrent les crise actuelles, si les risques existent, les opportunités ne manquent pas.
Comme le disait récemment Atilio Boron “il y a là un défi et une opportunité qu’il serait impardonnable de manquer pour toutes les forces anticapitalistes de la planète”. Le problème c’est que le PCF n’est plus et n’est pas une force anticapitaliste! Face à l’épidémie et à la crise systémique la faillite du capitalisme est pourtant avérée quand en Chine ou à Cuba la démonstration est faite qu’il existe une autre logique possible à mettre en œuvre et avec quels résultats!!!. Mais qu’en dit le PCF?
Pour ma part et comme cela était prévisible, je considère que les changements opérés au dernier Congrès du PCF n’ont pas permis de s’attaquer efficacement aux blocages, comme aux refus de corriger les orientations et pratiques, les alliances, les dérives, l’opportunisme électoraliste. Tu en fais la démonstration! Il est vrai que “celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre”. Tout persiste sans perspective de changements. Bien au delà de ceux qui ont quitté le parti, comment la masse de ceux qui en restent membres peuvent trouver une raison à se mobiliser, à prendre des initiatives pour permettre par l’action de rassembler les communistes et contribuer au rapport des forces.
Aux yeux de certains c’est peut-être regrettable mais c’est ainsi! Ce qui écarte les communistes de leur parti est devenu un abîme presque infranchissable et il y a tant d’amertume. De plus, on s’est depuis longtemps accommodé de cette situation qui a conduit à mettre à l’écart des dizaines de milliers de communistes militants et combatifs, qui pour certains ont donné la majeure partie de leur vie à leur parti, mais n’ont pas trouvé d’autres choix que de renoncer à poursuivre leur engagement. On a fait le choix de les ignorer voire de les mépriser et même parfois de les caricaturer. Tu en sais quelque chose!
Les évènements dans le Val de Marne notamment à Villejuif et Vitry en sont le témoignage pathétique. Dans les années 90 il y avait 25 000 communistes dans le 94, officiellement il y en a moins de 2800 aujourd’hui et rien ne permet de penser que cette dégradation ne se poursuivra pas.
Il n’y aura pas d’évolution possible de cette situation par l’usage de la rhétorique, l’aveuglement dogmatique, les incantations ou les batailles picrocholines de pouvoir. Comme le montre la réalité tout cela est bien vain. Nous avons besoin de revenir aux fondamentaux du combat de classe et déjà là ou c’est décisif dans les entreprises et les quartiers avec ceux qui souffrent du capitalisme. Il faut comme tu le fais dans cet article encourager l’esprit critique et l’action au service d’une alternative qui ne peut être que celle du socialisme. Il faut en urgence redonner des bases d’analyses qui puissent permettre aux communistes de se retrouver dans cette situation et de penser par eux-mêmes en encourageant l’expérimentation concrète avec les travailleurs et le peuple partout et là où ils se trouvent.
Ton article contribue à faire un état des lieux correct. Je ne juge pas ici de ce qu’ensuite tu préconises. Ce qui est important c’est de dépasser les exclusives, les jugements de valeurs, les aprioris, les ostracismes pour donner l’élan nécessaire au combat communiste. Cela ne se fera pas sans les uns ni sans les autres. En amitié,
Jean-Pierre Page
cher jean Pierre, je te remercie de ce texte très argumenté, il a toute sa place dans la discussion de notre blog. Je partage bien des points de ton pessimisme et je vis dans ma chair ce que tu décris à savoir un certain statu quo institué par le 38e congrès. Si je dis que je le vis dans ma chair c’est que comme bien des camarades qui avons subi l’exclusion, la stérilisation de fait de la part de ceux qui se sont emparés du parti et l’ont marginalisé en France et déshonoré au plan international (nous savons toi et moi jusqu’où est allé ce déshonneur puisque nous sommes restés internationalistes et en contact avec le mouvement communiste). Donc ce que tu décris cette hémorragie de camarades n’est pas imputable à la seule direction du PCF, et encore moins à celle issue du 38ème congrès, direction bicéphale, lestée de tout le poids de l’ancien. il y a eu le choc de l’URSS, mais il y a eu la réponse de ceux qui se sont emparés du parti, profitant de ce désarroi, résultat beaucoup de ceux qui restaient communistes et étaient prêts à faire face comme nos camarades cubains ont été écartés. C’est là le véritable reproche que l’on peut adresser à ces directions successives, n’avoir pas voulu comme certains partis rassembler les révolutionnaires et tenir bon face à la tempête. Peut-être cela a-t-il avoir avec le rejet de l’avant-garde, je le crois. Tout le monde n’est pas révolutionnaire, prêt à sacrifier sa vie, et il n’y a de Révolution que quand la masse attentiste y voit une nécessité, le rôle du révolutionnaire est de rassembler. Mais sans cette force révolutionnaire, il n’y ni rassemblement, ni résistance. Cuba est l’exemple de cette dialectique. Mais elle avait été posée par Marx et Lénine, il n’y a pas de rassemblement populaire sans que le parti le fasse sur des bases de classe, des principes sans lesquels c’est la dérive opportuniste. Ce sont les révolutionnaires qui ont été écartés, marginalisés, diffamés. La survie a été dans les élus, une présence grâce à eux, mais aussi quelles que soient leurs qualités un opportunisme parce que dans une élection comme on disait on ne refait pas le terrain on l’utilise. Le parti est devenu de plus en plus un appareil électoral perdant la créativité extraordinaire de ses militants, celle qui naissait justement de cette dimension de classe travaillée par la théorie, par le contact entre intellectuels et couches populaires. Dans un tel contexte d’abandon, les questions internationales n’intéressent pas l’électeur, a-t-on plus ou moins laissé entendre. Ce qui permettait de se soumettre à la social démocratie, elle-même de plus en plus intégrée aux dispositifs de l’OTAN. Et il fréquent aujourd’hui de t’entendre répondre : “il faut des élus pour exister”, comme si nous n’existions que sur les plateaux de télé ou dans l’assemblée. Nous ne sommes plus des révolutionnaires mais des roues de secours de l’opposition, celle qui n’exige pas un changement de politique et de société mais un simple changement d’individus. Quand tu expliques cela tu as de la part des opportunistes de toujours la réponse : qu’est-ce que tu veux l’insurrection? l’incurie théorique se nourrit d’un pseudo-bon sens qui n’est qu’adhésion aux idées les plus éculées de la bourgeoisie. Le plus extraordinaire est la quasi interdiction de parler du socialisme. Nous alternons entre les combinaisons de sommet, les pratiques de couloir et les discours creux sur l’actualité du communisme. Comme d’habitude, le sordide de la reddition sans combat a souvent besoin de feindre de planer dans un rêve idéal en évitant les buts et les moyens. Ce qui va avec le fait que nous avons perdu notre mémoire et nous n’arrivons plus à voir les transformations du monde, celles qui posent la question des “socialismes”, des transitions différentes. Tout cela dépasse les individus, mais les plus révolutionnaires, ceux qui savaient à quel point l’internationale permet de comprendre ce qui se joue, la perspective, ont terriblement souffert d’être mis sur la touche et de ne plus pouvoir être utiles. Cette souffrance a détruit beaucoup d’entre nous et j’ai vécu dans ma chair tout cela. Paradoxalement ce n’est pas ma mise à l’écart que je déplore, mais celle de dirigeants beaucoup plus expérimentés et utiles que moi. Diriger n’a jamais été ma vocation et j’ai mené, continue à mener ma vie comme je l’entends. En revanche, il y a eu un véritable sabotage de capacités. Certes, sur ce plan personnel comme celui de l’international, le 38e congrès n’a rien changé, la situation s’est même aggravée et c’est fou le nombre de camarades qui ont subi la destruction de ces gens-là, en toute impunité et pour qui il y a eu déception, repliement. Je me rends bien compte de la faiblesse sur le plan théorique et sur celui de la simple histoire de notre parti et du mouvement communiste international de l’actuelle direction, non seulement parce qu’elle est bicéphale, obligée de composer mais parfois je me demande si elle la volonté non seulement en ce qui concerne les camarades mais sur des enjeux aussi important que la Chine et les dangers de guerre y compris chaude, l’absence de vision historique. Donc dans ma chair tu ne m’apprends rien, les expériences que j’ai faite sont au-delà de l’imaginable et quand on est de surcroit dans les Bouches du Rhône cela atteint des sommets, le ridicule, le dispute à l’incroyable comme le vieux maire du Rove, celui que nous appelions Pepone en train de voter à la métropole pour la droite contre le candidat communiste de Martigue, tu as l’impression d’une désagrégation… Dans mes imaginations les plus folles quand j’ai adhéré à ce parti jamais je n’aurais imaginé cela… il est vrai que je n’aurais jamais pensé que le monde prendrait cette allure de chute de l’empire romain… Je lis en ce moment les carnets de Thorez de 1952 à 1964, et cela me fait redécouvrir à quel point le PCF était son parti. Fondé sur deux appartenances totalement français et totalement soviétique. Jamais il n’y renonce et prévoit ce que sera la “déstalinisation” Déjà le parti et sa direction, celui de notre temps, celui de Marchais était différent et je pense que même si Georges s’est repris, il a commencé cette dérive eurocommuniste. Donc l’affaire remonte loin, et on ne reviendra pas en arrière. Je sais que bien des camarades qui ont détruit, humiliés, diffamés, écartés en contribuant à faire du parti ce qu’il est, le contraire de celui que nous avons connu, un lieu de bavardage vain de la base au CN, ils l’ont frappé d’inertie pour mieux le mettre à la remorque de la social-démocratie et des bonnes œuvres de l’OTAN. Parfois des camarades ont tenté un retour et ils ont découvert la paralysie qu’ils avaient été capables d’insuffler, la lutte des places, l’aspiration des directions dans des postes de conseillers municipaux où ils servent de force d’appoint. Il faut savoir ce qui s’est passé mais pas pour remettre les pas dans un chemin disparu, pour répondre aux questions de notre temps. C’est pourquoi maintenant que j’ai abondé dans ton sens je vais te dire pourquoi mon choix est différent et pourquoi je m’obstine à dire qu’il faut reconquérir le parti et pas tenter des aventures groupusculaires. Je reconnais cependant qu’elles ont souvent le mérite d’entretenir la réflexion, le marxisme, une certaine conception de la lutte des classes, mais à la marge ce qui les soumet d’ailleurs elle aussi à des aventures social-démocrates. La plupart des groupuscules ne sont pas mieux que le PCF, parfois pire, et c’est pareil dans tous les pays qui ont vécu l’aventure de l’eurocommunisme y compris le Mexique. Seul le japon paraît s’en sortir un peu mieux mais parce qu’ils tiennent bon sur le refus des Etats-Unis et sur la paix. Sur ce qui fait donc l’actualité des temps nouveaux. Donc, ce n’est pas à toi que je l’apprendrai, il faut prendre du recul. Nous sommes c’est mon hypothèse entrés dans une transition historique, la chute de l’empire américain et de l’occident. Déjà s’esquissent comme je l’avais prévu à la suite de la lecture de Fidel de nouveaux rapports sud-sud – avec pour la première fois en puissance déterminante un pays que l’on peut considérer comme ayant des aspects de sous-développement et de sortie récente du colonialisme, la Chine, un multilatéralisme. Quand tu dis comme ça au passage que ce sont les pays développés qui devraient être en avant, je pense qu’il y a peut-être à repenser cela. Ce qu’a représenté la contrerévolution néolibérale à partir des années soixante et dix, du Chili, s’est traduit par un pillage sans rivage, par la faim, des espérances de vie diminuée pour ce qu’on a appelé le tiers monde et c’est ce que voit Fidel dès 1983. Il explique que les pays du sud n’ont plus rien à attendre en matière de croissance des pays du nord, ceux-ci sont entrés dans une stagnation. La fin de l’URSS a représenté un certain répit, de nouvelles bases d’accumulation. Mais en 2020, c’est terminé et ce n’est pas un hasard si c’est un pays sous-développé qui porte le challenge, la Chine, qui reprend à son compte dans une nouvelle harmonie la contradiction force productive rapports de production. La question qui nous est posée est la survie de la planète et des êtres humains, le capitalisme ne voit d’issue que dans la régression, le sacrifice de tous au bénéfice d’une poignée, il porte en lui cette régression et tente de la faire partager, inventant des menaces puisqu’il ne peut pas répondre aux vrais dangers dont il est la source. Il ne s’agit pas de demain mais d’aujourd’hui et le coronavirus en est le révélateur. Il faut faire percevoir cela, je trouve par exemple que les débats menés par Delaunay dans mon blog sont très utiles parce qu’ils aident à percevoir ce qui est en train de naître et ce que cela représente pour nous Français, communistes. Je préfère cette démarche-là à celle qui consiste à seulement marquer les camps ou à simplement dénoncer des gens dont je pense qu’ils sont les produits ultimes d’une dérive historique, même s’il faut dire là où ils prétendent nous mener c’est-à-dire dans le camp de l’impérialisme, mortifère. Nous sommes dans une zone de tempête et il faut se rassembler, l’histoire va recréer les camps et on n’a pas intérêt à détruire ce qui est mais au contraire il faut partir des lieux de prise de conscience tels qu’ils sont. Tu sais c’est le fameux constat de Marx : quand les forces productives entrent en contradiction avec les rapports de production existant, s’en suit un ébranlement de toute la superstructure, institutions, forces politiques, représentation, droit, etc… c’est pourtant à travers la superstructure que les hommes prennent conscience et il faut en tenir compte. Fidel est orfèvre en la matière… J’ai beaucoup réfléchi, beaucoup contemplé autour de moi et je vois pousser des choses dans le PCF, il y a des militants, des gens proches de la direction qui perçoivent plus ou moins les enjeux, même s’ils n’ont pas la même conception de la tactique que moi, je vois aussi chez pas mal de jeunes avec qui j’ai beaucoup de discussion. Ils sont calmes, beaucoup moins agressifs que nous, mais ils savent déjà un peu ce que nous savons sur l’état du monde, parce qu’ils sont issus de cette crise, ils la portent en eux. Il y a des gens qui se battent avec une sorte d’instinct, avec l’idée forte qu’ils ont besoin d’un parti révolutionnaire . Tu cites la situation du Val de Marne, c’est vrai qu’au niveau fédéral comme les Bouches du Rhône ils montrent une ardeur dans la liquidation étonnante, mais c’est surtout un esprit de revanche face aux changements du 38e congrès. Tu cites Vitry et Villejuif, tu cites mal tes exemples puisque c’est là qu’il y a eu le sursaut le plus évident. Villejuif a été reconquis par un travail auprès des couches populaires et à Vitry il y a eu refus de l’abandon. Et cela continue. Parce que tu le veuilles ou non il s’est passé quelque chose d’important au 38e congrès. Il existe désormais à la tête du parti un certain nombre de camarades qui refusent l’effacement derrière la social-démocratie, sans gauchisme, mais avec le souci de retrouver à la fois la dimension de classe et la souveraineté nationale. En outre, les liquidateurs ont commis l’erreur avec l’affaire de Vitry et d’autres de sortir les couteaux et la bataille du 39e congrès est engagée, comme au 38e cela reste encore une simple opposition entre ceux qui veulent liquider, effacer et ceux qui tiennent au parti, parfois avec une dimension nationale, la nécessité de reprendre pied dans la classe ouvrière et la souveraineté, et de là commence à surgir l’idée d’un but, d’une stratégie… Là aussi c’est un ébranlement, une conscience nouvelle… Les actes poussent à la conscience, ceux qui simplement ne veulent pas liquider le parti ont tenu bon, ils ont parfois tout abandonné mais ont refusé de changer le nom. Le PCF n’est pas dans la situation des autres partis de l’eurocommunisme… Il est en bout de course mais aussi dans un contexte de colère et de rébellion, très proche de l’humeur française. Alors vois-tu s’il ne s’agissait que de moi et de l’abomination de ce que ces gens-là m’ont infligée je n’aurais aucun espoir mais nous sommes différents nous communistes et nous sommes dans une sorte de transcendance “nos raisons d’exister valent mieux que notre existence” disait Robespierre, nos raisons d’exister nous qui sommes prêts de la fin, demeurent celles qui nous ont fait adhérer : en finir avec l’exploitation, la guerre, l’intolérable injustice d’un monde crépusculaire… Mon intime conviction est qu’il faut persévérer dans ce que je fais, aider les communistes à avancer et soutenir ceux qui se battent pour aller dans le sens du combat d’une vie et espérer être encore utile. Si je ne me trompe pas cela peut servir. Cela dit, dans le PCF, cela ne va pas pouvoir continuer comme cela longtemps. Ce qui se passe dans le secteur international comme dans d’autres, y compris les finances, le Conseil National, la commission féminine, la formation, la presse communiste, ce n’est pas seulement une double direction, c’est le sabotage permanent des décisions, la désinformation des militants. Si on prend le cas de Cuba qui apparemment pose le moins de problème, personne désormais n’osant s’opposer à la solidarité comme en d’autres temps, les déclarations affirmées de soutien du secrétaire national ne débouchent sur rien parce que le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y a pas de volonté politique, pas de suivi, dans d’autres domaines cela commence à évoluer mais pas dans les secteurs contrôlés par Pierre Laurent. Pour te donner un aperçu de l’ambiance: hier j’ai échangé quelques nouvelles au téléphone avec Edmond de Delga, mon éditeur. Il m’a appris que lors de la dernière université d’été dans le nord, donc théoriquement sous contrôle de la fédération du nord, il avait été fait appel à un libraire indépendant. Celui-ci avait mis sur la table plusieurs publication Delga dont mon livre et celui de J.Cl. Delaunay. Mais à un moment Guillaume Roubaud-Quashie était intervenu et avait forcé le libraire à remballer les livres Delga. Nous ne sommes pas ici dans une succursale de cette maison d’édition, a -t-il vitupéré. J’aimerais bien savoir de qui Guillaume Roubaud-Quashie est en fait la succursale officieuse et pratiquement officielle. Il ne peuvent rien au fait que ce blog et d’autres ont plus de lecteurs que l’Humanité mais ils poursuivent le verrouillage avec une énergie démente comme si nous étions des ennemis et encore ils publient jusqu’à BHL et le fils Glucksmann qui est digne de son père comme on l’a vu en Géorgie et n’autorisent que ceux qui ont fait allégeance à Mitterrand, au PS, à la FI. C’est comme ça, je ne suis pas sûre que le tolérer favorise un meilleur rapport des forces ultérieur. Ils sont en train de dévoyer le congrès en lançant des leurres comme la querelle entre Friot et les économistes et plus grave en menant campagne pour une “candidature unique de la gauche” en violation de la décision du 38e congrès. Je n’interviendrai pas sur la CGT. De mon temps on était membre de la FEN en tant qu’enseignant et bien que j’ai été un temps dans la direction du Snesup et que j’ai fondé des sections syndicales partout où j’allais, je n’avais pas la fibre syndicale. La seule chose que je puis dire c’est qu’il me semble que les luttes syndicales ont aussi besoin d’urgence d’une perspective politique. C’est dire si beaucoup de choses sont suspendues au 39e congrès du PCF, mais parfois j’ai des doutes sur son issue. Cela dit quel espoir avons-nous de conquérir le pouvoir si nous ne sommes même pas capable de reconquérir l’instrument indispensable à cette conquête, les problèmes ne viennent pas que des autres, l’opposition pour l’opposition manifeste un certain confort, dire que ‘on a sa part de responsabilité évite parfois de l’analyser et la dépasser. C’est parfois si difficile à vivre, qu’il m’arrive, tu le sais, d’en vouloir à ceux qui sont mes alliés où qu’ils soient parce que j’aimerais que nous ne dispersions pas nos efforts. mais je me dis que fort heureusement peu de choses dépendent de moi. |
Chère Danielle,
Merci pour ta réponse que j’ai lue avec une certaine émotion. Je la partage pour l’essentiel. Pour ma part j’ai fait le choix d’aider autant que je le peux et modestement les communistes dispersés. La situation n’est pas exactement identique, mais je pense souvent à nos anciens camarades qui dans les premières heures de la résistance ont réussi non seulement à réorganiser le parti mais aussi la lutte armée tout en entretenant la flamme des idées, certes, non sans de grands sacrifices. Cela devrait nous inspirer, c’est insuffisamment le cas.
Je n’appartiens pas à un de ces groupes dont tu parles, j’ai mes sympathies et je m’en tiens à cette démarche. J’ai toujours considéré que le parti n’était pas une fin en soit mais qu’il devait servir à quelque chose. Ce n’est pas exagéré de dire que le PCF a grandement perdu de son utilité, c’est je crois ainsi que beaucoup de travailleurs le voient dorénavant. Je pense même parfois qu’il est devenu un obstacle. J’en ai tiré les conséquences. Ma ligne de conduite est simple, quand on me sollicite et si je trouve ma contribution susceptible d’aider une idée juste, de favoriser une action je répond. J’en suis là et je respecte le combat de chacun là où il se trouve. J’attache de l’importance au travail syndical en France ou ailleurs et je m’efforce sur ce plan de partager avec d’autres mes réflexions, mes connaissances et mon expérience. Toi et moi nous avons eu le privilège de militer avec des camarades et des dirigeants de grande culture. Nous sommes redevables. Je n’oublie pas ça.
Je suis d’accord avec toi, la dérive remonte loin, et l’eurocommunisme a été l’accélérateur d’un processus destructeur des repères de classes et a porté un coup à nos références pourtant construites sur une longue période s’appuyant sur la relation complice et inédite entre la force sociale et politique du monde du travail et celle des intellectuels. Que reste-t-il de tout ça dans la forme parti que nous avons connu. Que reste-t-il de cette fierté qui était la nôtre d’appartenir à ce parti tout comme d’ailleurs à la CGT? Nous avons aussi nos propres responsabilités dans cette évolution destructrice et je veux pas les oublier ou les ignorer, ce serait trop facile. J’assume la part individuelle qui est la mienne et celle collective qui fût la nôtre.
Je ne suis pas pour s’accabler, je vois les changements qui s’opèrent et finalement assez vite. Il y a les risques et les opportunités. Les consciences cheminent et bien des forces s’expriment parfois contribuant à des changements inattendus. Comme toi, je demeure un infatigable optimiste même si la raison ne nous y invite pas toujours au sens que disait Gramsci.
La crise épidémique est au fond un formidable révélateur des tares du système capitaliste, il met à nu la faillite qui est la sienne. Je pense que c’est un constat qu’internationalement beaucoup de peuples font. Il y a des attentes et la barbarie n’a pas réussi à tuer l’espoir, en particulier dans la jeunesse. Il y aura encore bien des erreurs commises mais comme tu le sais si bien « l’aube n’est jamais si proche qu’au plus noir de la nuit ».
Des choses bougent c’est indiscutable, mais dans un contexte de lutte de classes acharnées et même de nouvelles guerres possibles. La Chine et l’Amérique Latine sont les remarquables exemples de ces changements. Insuffisamment, là où c’est aussi décisif c’est à dire dans les pays capitalistes développés, et pourtant là aussi.
Je suis entrain de relire « les conquérants » et « la condition humaine » de Malraux, l’édition de la pléiade de 1957 a fait suivre ces deux romans d’un troisième : « l’espoir ». Les lieux géographiquement sont éloignés mais pas forcément le message. Aujourd’hui, cela prend une saveur particulière. « Rien n’est absolu, tout est changement, tout est mouvement, tout est Révolution, tout s’envole et s’en va! » comme disait Frida Kahlo.
Bien sûr je suis d’accord pour publier et partager notre échange.
Je t’embrasse fraternellement,
JPPage