Microsoft 365 : le “score de productivité” qui veut surveiller vos performances au travail

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SOURCE : Marianne

Un nouvel outil de la suite bureautique en ligne Microsoft 365, présenté en octobre au sein du géant américain, promet de récolter les statistiques pour chaque salarié afin d’établir un “score de productivité”. Une pratique d’autant plus inquiétante que l’outil de Microsoft est loin d’être l’unique logiciel “espion” disponible sur le marché.

Ouvrir Pornhub par accident ne sera peut-être bientôt plus l’unique peur générée par votre ordinateur au travail. À la fin du mois d’octobre, la firme Microsoft a proposé une nouvelle fonctionnalité de sa suite bureautique en ligne Microsoft 365. Cette dernière permet aux entreprises de mesurer la manière dont leurs salariés “collaborent, communiquent et travaillent sur plusieurs plateformes“. Objectif : aider les dirigeants à “identifier les comportements et paramètres que vous pouvez améliorer“. Avec son nom qui n’a rien à envier aux plus belles heures du taylorisme, le “score de productivité” promet de fournir et d’analyser des sommes de données faramineuses sur le comportement des salariés. Et la pratique d’autant plus inquiétante que l’outil de Microsoft est loin d’être l’unique logiciel “espion” disponible sur le marché.

En juin, avant même que le score de productivité de Microsoft ne soit disponible sur le marché, le cabinet de consultants ISG dévoilait une étude aux résultats évocateurs : les ventes de logiciels permettant de contrôler les salariés en télétravail ont bondi de plus de 500% depuis le début de la pandémie de Covid-19. “Si le monitoring des salariés existait déjà avant, notamment dans le télémarketting, il est évident que ces outils se sont multipliés avec le recours massif au télétravail au printemps, note Caroline Diard, enseignante-chercheuse en managment des ressources humaines et du droit du travail à l’EDC Paris Business School. Les entreprises ont dû s’adapter à une forme de travail qui, si elle n’est pas nouvelle, est devenue massive, et les éditeurs de logiciels se sont engouffrés dans la brèche.

DES DEMANDES AUGMENTANT PARFOIS DE 202%

Les petits noms des dix caïds de ce juteux business ont tout du cauchemar orwellien : Desktime, Spyera, Time Doctor, Flexispy ou encore ActivTrak. Entre les mois de mars, d’avril et mai, leur demande a parfois augmenté de 202%. Si chacun de ces logiciels a ses propres fonctionnalités, la nature de leur service reste la même : mesurer la productivité des employés en enregistrant à distance leurs comportements en ligne. Certains enregistrent l’historique de navigation, d’autres prennent des photos via la webcam d’un ordinateur. D’autres, encore, mesurent la durée de travail des salariés en évaluant leur temps passé sur les réseaux sociaux, ou en comptant les mouvements de leur souris. “Un peu comme si chaque salarié avait un contremaître avec un bloc-notes penché sur son épaule“, schématiste Caroline Diard.

Cette surveillance prend néanmoins une nouvelle dimension avec l’arrivée sur le marché du score de productivité de Microsoft. Cette fonctionnalité est présentée par le géant comme un moyen pour les employeurs “d’harmoniser la productivité et le bien-être“, “d’améliorer la résilience organisationnelle” ou encore “de transformer la culture des réunions“. Derrière ce vocabulaire managérial fleuri, il y a une plateforme : Workplace Analytics, incluse dans Microsoft 365, suite bureautique utilisée quotidiennement par des millions de personnes pour participer à des visioconférences, envoyer des mails, rédiger des notes. En clair, le quotidien banal d’un employé de bureau lambda. Mais pour le logiciel, ces miniscules actions répétées et consécutives sont une mine d’informations. Enregistrées, analysées, présentées sous la forme d’un tableau de multiples tableaux de bord à disposition de l’employeur, ces données donnent un aperçu assez complet des habitudes et du rythme de travail de chaque salarié.

MICROSOFT NIE TOUTE VOLONTÉ DE SURVEILLANCE

Ces mesures, réparties en catégories valant chacune 100 points, sont ensuite pondérées afin de produire le fameux “score de productivité”. Ce chiffre, unique, se situe sur une échelle de 0 à 800, et est censé rendre compte de l’efficacité d’un employé ou de son organisation. Les scores peuvent ensuite être mesurés dans une même entreprise, ou comparé à d’autres sociétés. Le tout, accompagné dans le lexique Microsoft “d’actions recommandées“, c’est-à-dire de suggestions sur la manière dont un employé ou son entreprise peuvent améliorer leurs performances. Ces bonnes intentions affichées pourraient néanmoins très vite avoir un effet pervers au sein de l’entreprise : “Il faut prendre garde à ce que ce contrôle à distance ne devienne pas anxiogène pour les employés, met en garde Caroline Diard. Le fait d’être surveillé sans arrêt peut provoquer une impression d’espionnage qui finit par être contre productive.

De son côté, Microsoft, nie pourtant toute proximité entre cette observation très précise du comportement des salariés et du pur espionnage : “Laissez-moi être clair a assuré dans un communiqué Jared Spataro, vice-président corporate responsable de Microsoft 365, le score de productivité n’est pas un outil de surveillance du travail. Son but est de promouvoir de nouvelles façons de collaborer et d’inciter les travailleurs à mieux profiter de leurs expériences technologiques“. À l’inverse de logiciels comme Keystroke, qui permet aux employeurs de prendre connaissance de chaque clic du clavier de leurs employés, l’outil de la firme créée par Bill Gates se contente de recenser la fréquence des services qu’ils utilisent.

UNE UTILISATION INCERTAINE EN FRANCE

Pour Wolfie Christl, activiste des droits du numérique, le danger posé par ce nouvel outil n’en est pas moins réel : “Microsoft a le pouvoir de définir des mesures hautement arbitraires qui pourraient potentiellement affecter la vie quotidienne de millions d’employés et même façonner le fonctionnement d’organisations entières“, a-t-il fait remarquer dans un tweet, avant de s’interroger sur la légalité de ce logiciel en Europe. “L’affichage des données individuelles peut-être désactivé, mais il est actif *par défaut*. Cela normalise la surveillance étendue sur le lieu de travail d’une manière jamais vue auparavant. Je ne pense pas que les employeurs puissent légalement l’utiliser dans la plupart des pays de l’UE. Je suis certain qu’ils ne peuvent pas l’utiliser légalement en Austriche et en Allemagne.

En France, l’exploitation de l’outil de Microsoft paraît aussi très incertaine : “Même pendant le télétravail, l’employeur conserve un pouvoir de contrôle des tâches de ses salariés, mais il faut maintenir une certaine proportionnalité, ce qui n’est pas certain ici“, estime Me Mathilde Barbour, avocate et déléguée à la protection des données personnelles. Sollicitée ces dernières semaines sur des questions relatives au télétravail, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a souligné à la mi-novembre que “si le pouvoir de contrôle de l’employeur est une contrepartie normale et inhérente au contrat de travail, les juridictions ont rappelé de manière constante que ce pouvoir ne saurait être exercé de manière excessive“.

DES LOGICIELS JUGÉS “EXCESSIFS” PAR LA CNIL

De quoi laisser penser que le “score de productivité” de la firme fondée par Bill Gates pourrait peut-être connaître le même sort que les logiciels “keyloggers”, permettant d’enregistrer les frappes sur les claviers et les mouvements. Il y a deux ans, la Cnil avait strictement interdit ce genre de pratiques, en dehors de “circonstances exceptionnelles“, car les jugeant “trop intrusives“. En juin 2020, Thomas Dautieu, chef de sa direction de la conformité, avait également expliqué sur France Inter que les logiciels de prise de capture d’écrans toutes les 10 minutes avaient été jugés “excessifs” par l’organisme.

Au même titre que le ‘score de productivité’, dont nous parlions, ce type d’outil peut avoir une influence considérable non seulement sur le travail, mais aussi sur la vie des salariés, explique Me Mathilde Barbour. On pourrait considérer que cet outil outrepasse et place les salariés sous surveillance quasi-constante. Ce qui n’est pas possible en France.” De quoi continuer à travailler (et scroller) en toute quiétude.


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