Elections USA: vers une “tempête de merde”?

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Nous donnons ici la traduction d’un des derniers articles de notre camarade John Reimann, militant syndicaliste et révolutionnaire de longue date à San Francisco. La situation se tend du sommet de l’État à la rue aux États-Unis, et la date du 3 novembre apparaît comme un « mur » redoutable à toutes les forces en lice. Une discussion s’est engagée dans notre comité de rédaction quant à l’opportunité, ou non, de parler d’éléments de « guerre civile », ou du spectre de la « guerre civile », pour analyser la situation présente et surtout réfléchir sur comment agir dans ses développements possibles.

Cet article étant, pour des lecteurs de France, assez bien informé, contribue pour nous à cette réflexion. Le titre – US Elections: Is a « shitstorm » coming? » comporte le mot « shitstorm » dont la traduction littérale, « tempête de merde », signifie la possibilité d’une crise terrible, avec en effet des éléments de guerre civile, mais aussi beaucoup d’opacité. Nous l’avons légèrement édulcoré ci-dessous.

Source: https://oaklandsocialist.com/2020/09/26/u-s-elections-is-a-shitstorm-coming/

Élections américaines : dans quoi fonce-t-on ?

Un article du magazine The Atlantic fait pas mal de bruit. Les éditeurs l’ont jugé suffisamment important pour l’avoir mis en ligne avant sa parution prévue en octobre.

L’auteur, Barton Gellman, annonce ce qu’il considère comme un état probable de totale confusion dans les résultats de l’élection présidentielle. Il explique que la pire menace ne vient pas du refus de Trump de partir s’il perd officiellement. « Le pire scenario serait qu’il utilise son pouvoir pour embrouiller tout résultat clair contre lui. », affirme-t-il avant tout. « Il peut empêcher la formation d’un consensus sur l’existence d’un résultat. Il pourrait se saisir de cette incertitude pour rester au pouvoir. »

Comme par magie, le jour même de la publication de l’article, Trump a tenu une conférence de presse où il a déclaré : « Débarrassez-vous des bulletins de vote [ par correspondance ] et nous aurons une situation très pacifique … Il n’y aura pas de transfert, à proprement parler, il y aura continuation …»

Une large part du problème vient de l’absence de combativité des Démocrates qui, avec la réponse à la crise du Covid, essaient de contourner la suppression d’électeurs [Il s’agit de la pratique visant à rayer des listes électorales tout électeur dont on n’attend pas qu’il vote en faveur d’un candidat, sur la base de critères raciaux, sociologiques – lieu d’habitation, revenus, antécédents judiciaires…- NDR] par les Républicains en encourageant le vote postal. Ils agissent ainsi au lieu de mobiliser dans la rue pour interdire la suppression d’électeurs.

Vote en personne ou vote postal ?

Par conséquent, il est tout à fait possible que Trump puisse gagner assez de votes enpersonne dans assez d’États le 3 novembre pour « gagner » la présidence, mais que dans les jours et les semaines qui suivront, le décompte des votes postaux inverse la situation. Sous le nom de blue shift, c’est une situation qui s’est produit de plus en plus souvent lors des récentes élections.

Dans ce cas, toutes sortes de manœuvres juridiques et politiques au niveau des États et au niveau fédéral permettent à chacune des parties de déclarer leur candidat vainqueur. En outre, il est possible que la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, puisse assumer la présidence en tant que 3° personnage de l’État après le président et le vice-président.

Manœuvres légales.

Les grandes manœuvres surviendraient à tous les niveaux. Si aucune des parties ne recule, il peut même arriver que des législatures d’États puissent re-désigner les grands électeurs (qui choisissent le président) en écartant ceux choisis par les électeurs. Ou encore que les résultats de deux listes différentes et concurrentes d’électeurs parviennent au Congrès, où ces votes seront comptés. Au niveau national, hé bien … il faudrait tout un livre pour énumérer les possibilités, mais il suffit de dire que ni la Constitution ni la loi ne sont claires sur comment ces différents doivent être tranchés, ni même sur qui compte, exactement, les votes (lisez l’article de Gellman). Et il y aura des centaines, voire des milliers, de contestations judiciaires.

Crises d’angoisse et passions enflammées.

Le tout escorté des cris d’angoisse indignés de part et d’autre. Même si une part de tout cela n’est peut-être que théâtre, les passions déjà enflammées vont monter parmi des dizaines de millions de personnes. A quoi s’ajoutent les menaces de Trump, de déployer 50000 « observateurs » le jour du scrutin. Les diverses milices et autres racistes et xénophobes se préparent au rendez-vous.

Émeutes «Brooks Brothers».

A propos du décompte des millions de votes postaux après le 3 novembre, souvenons-nous des « émeutes Brooks Brothers » en 2000. Des milliers de partisans de Bush avaient empêché le recomptage à Miami-Dade en Floride. Si le décompte des votes postaux semble pouvoir annuler une victoire de Trump annoncée le 3 novembre, cet épisode pourrait passer pour une gentille fête d’anniversaire en comparaison de ce qui pourrait arriver. Au lieu des costumes des Brooks-Brothers, bien des émeutiers seront en tenue militaire de camouflage, armés jusqu’aux dents, du moins dans les États qui autorisent le port d’armes apparent …

Pour éviter le parfait « shitstorm » annoncé, comme l’a appelé un conseiller Républicain, il faudrait que l’une des parties accepte de reculer. Est-ce envisageable ?

Trump peut-il reculer ?

Il serait très difficile à Trump de reculer. Qu’il ait lui-même appelé à envoyer ses « observateurs » indique qu’il est poussé à aller toujours plus loin. Il a aussi galvanisé sa base violente et irrationnelle qui est en train d’interférer déjà dans les opérations de vote. Avec eux se trouvent les milices violentes et autres. Et au final, son parti a tout à perdre et s’il recule, beaucoup de Républicains perdront leurs sièges et leurs possibilités de manœuvres frauduleuses.

Une question clef est de savoir si la classe capitaliste s’unirait pour convaincre Trump de reculer. A ce jour, la grande majorité des capitalistes préfèrent Biden. Ce que montre, par exemple, la lettre de près de 500 anciens hauts-gradés militaires et responsables civils qui ont pris la décision inhabituelle d’exhorter à voter Biden. Et auparavant, nous avons vu le tollé parmi les dirigeants militaires, exprimé par les généraux retraités, lorsque Trump a voulu lancer l’armée contre Black Lives Matter.

Extrême faiblesse de la base capitaliste.

Certains en concluent que Biden sera le prochain président. Ce serait là une erreur similaire à celle de beaucoup d’entre nous – dont l’auteur de cet article – commise en 2016. Il était alors clair que la grande majorité de la classe capitaliste préférait Hillary Clinton. Même les éditorialistes du Wall Street Journal attaquaient continuellement Trump. Nous en avions tiré une conclusion erronée. Et après la victoire de Trump, du moins cet auteur a pensé que la classe capitaliste pourrait le mettre au pas. Encore faux.

Ce que moi-même et bien d’autres n’avions pas appréhendé, c’est à quel point est faible la base de soutien au courant dominant de la classe capitaliste américaine […]

Est-ce que les Démocrates peuvent capituler ?

Et Biden ? Pourrait-il accepter que Trump et compagnie essaient de voler l’élection par une combinaison de suppression d’électeurs le jour du vote et de « mise au rencard » des votes postaux comme Trump l’a explicitement demandé ? C’est possible. C’est ce que les Démocrates ont imposé à Gore en 2000. Mais cette fois-ci, les enjeux sont bien plus élevés, et une couche bien plus large de la classe capitaliste US est déterminée à ce que les Démocrates prennent leur fonction le 20 janvier prochain.

Un détail, qui n’est peut-être pas qu’un détail, est qu’en 2000 la reculade n’avait pas été contestée par tel ou tel sénateur ou représentant démocrate. Quelques-uns en avaient fait la menace, mais le parti avait pu imposer sa discipline. S’il semble douteux mais pas impossible que les sommets Démocrates estiment que mieux vaut allouer quatre années supplémentaires à Trump qu’une situation de chaos total, il semble encore bien moins vraisemblable qu’il ne se trouve quelque sénateur pour, dans ce cas, rompre les rangs et lancer le défi, ce qui ne s’était pas produit en 2000. En fait, si Biden devait se soumettre aux suppressions d’électeurs, au comptage frauduleux des votes, et à la terreur de rue, ceci déclencherait d’énormes affrontements au sein du Parti Démocrate.

Plus encore : si les Démocrates capitulent, alors une telle couardise avérée pourrait déclencher très rapidement un mouvement vers un parti de masse de la classe ouvrière.

Trump ou Biden ?

Une victoire de Trump serait un grave revers pour la classe ouvrière US et particulièrement pour tous les opprimé-e-s. Ceci augmenterait énormément la confiance en soi et les agressions des milices armées et groupes similaires. Et ceci accélérerait aussi la tendance de Trump vers la dictature d’un seul homme (alias « bonapartisme »). Si Biden passe, ce sera aussi un revers pour la classe ouvrière et les opprimé-e-s, sauf sur un point. Après une très courte période de « lune de miel », la même extrême-droite se regroupera. Certains d’entre eux pourraient même lancer des attaques terroristes après l’investiture de Biden, voire avant. Et là, quiconque croirait que Biden pourrait se battre vraiment pour la classe ouvrière et les opprimé-e-s serait à côté de la plaque.

Au total, il s’agit de choisir entre fanatisme bigot et dérive dictatoriale ou démocratie bourgeoise. Même si la démocratie capitaliste est mensonge, hypocrisie, exploitation, oppression, désastre environnemental, le choix ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce choix ne signifie aucun soutien politique à Biden ou tout autre Démocrate.

Telles que les choses sont cadrées sur ce terrain, aujourd’hui, la classe ouvrière comme classe est spectatrice, ne pouvant jouer, elle ou tel de ses secteurs, de rôle indépendant [dans la présidentielle, NDR].

La classe ouvrière.

La tache principale des socialistes et apparentés est d’appeler à, et d’essayer de construire, un mouvement indépendant des travailleurs. Comme les seules organisations de masse de la classe ouvrière existantes sont les syndicats, cela implique d’amener les syndicats à mobiliser leur base. Bien des syndicats sont remplis de bigots blancs de droite, mais beaucoup ne le sont pas. En plus des syndicats du secteur public, nous avons l’ILWU [dockers et ouvriers portuaires sur la Côte Ouest, NDR], les Transports, les Hôtels, les employés des grands magasins. Il y a une base pour commencer à construire une mobilisation indépendante de la classe ouvrière, avec des grèves politiques et en allant vers une grève générale contre les attaques de Trump visant les droits démocratiques aussi bien que contre les attaques de la police.

Pour cela, un programme de revendications est nécessaire. Ce n’est pas ici le lieu pour la discussion adéquate d’un tel programme, mais il devrait inclure des revendications économiques aussi bien que celles concernant la police, les oppressions spécifiques, la solidarité internationale, le Covid et l’environnement. Le plus important est que les syndicats organisent activement et combattent pour leurs membres comme pour tous les travailleurs et les opprimés dans toute la société. Pour y arriver, les syndiqués de base doivent s’organiser en opposition aux dirigeants actuels.

Voilà qui conduirait à des conflits aigus avec l’ensemble des directions syndicales, y compris leurs ailes « progressistes ». Cela nous fait sortir de la zone de confort pour la plupart des socialistes et des couches militantes. Il est temps d’envisager de sortir de la zone de confort, car ce qui arrive tout droit sur nous est beaucoup plus « inconfortable ».

Une telle campagne est le meilleur moyen de changer l’état d’esprit et de commencer à structurer au moins un secteur de la classe ouvrière en force indépendante dans la société. Ce serait la première étape vers la construction d’un parti ouvrier indépendant. Et en prime, cela garantirait que Trump ne reste pas au pouvoir.

John Reimann, le 28/09/2020.


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