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SOURCE : Bastamag
La Marche des solidarités est partie des quatre points cardinaux de France le 19 septembre pour converger à Paris le 17 octobre. Reportage en images tout au long d’une étape en Bretagne. Parmi les revendications : régularisation des sans-papiers, fermeture des centres de rétention et accès au logement.
« C’est une vraie communion cette marche. En tant que sans-papiers, je me sens à égalité avec tout le monde ici ». Baba*, 33 ans, est gabonais. Il est au rendez-vous ce lundi 5 octobre sur la place de la mairie de Saint-Aubin-du-Cormier, en Ille-et-Vilaine. Le groupe d’une trentaine de personnes réunit des travailleurs sans-papiers de divers horizons, des membres d’associations et de simples marcheurs venus solidairement parcourir les 21 kilomètres de cette troisième étape de la version « grand Ouest » de la Marche des solidarités. « Nous sommes tous au même niveau avec un objectif identique », poursuit Baba.
La marche nationale répond à l’appel de quinze collectifs de sans-papiers, de plus de 120 organisations et des États généraux des migrations. Le premier cortège est parti de Marseille le 19 septembre. Mais la marche traverse le pays depuis plusieurs zones géographiques. La « marche Nord » est partie de Lille et du Havre le 3 octobre, la « marche Est » de Strasbourg à Metz du 3 au 10 octobre, la « marche Ouest » a démarré à Rennes le 3 octobre. Toutes ces branches se dirigent en même temps vers Paris. Arrivée prévue le 17 octobre : une date choisie en hommage aux nombreuses victimes du 17 octobre 1961. Ce jour-là, des milliers de travailleurs algériens avaient manifesté dans Paris et avaient trouvé sur leur chemin la police. Plusieurs dizaines de manifestants y ont été tués, des corps ont même été retrouvés dans la Seine [1].
- © Guy Pichard
Sur le parking de Saint-Aubin-du-Cormier, les marcheurs de l’Ouest s’attaquent à leur troisième étape. « L’accueil à Saint-Aubin-du-Cormier a été magnifique et chaleureux. Chaque jour de nouvelles personnes rejoignent la marche », s’enthousiasme Baba, malgré les bourrasques. Une voiture ouvre la voie, un camion ferme la marche. Quelques personnes ont été désignées pour encadrer le groupe, parfois vigoureusement tant la sécurité importe. L’enjeu est de taille : traverser la campagne bretonne en marchant au bord de routes plus ou moins encombrées et tâcher de respecter les horaires tout au long des 21 kilomètres de l’étape du jour.
- Dans son camion-balai, Marianne accueille ceux ou celles qui fatiguent et veille à la sécurité de la queue du convoi. © Guy Pichard
« Je ne pourrais pas vivre en France sans le soutien d’amis français »
Sorti du village de Saint-Aubin, le groupe s’engage sur une route nationale. Un petit bouchon se crée derrière, quelques véhicules doublent en klaxonnant ou en levant le poing. Vincent, retraité, s’arrête saluer une boulangerie au bord de la route. « Hier une boulangère nous a donnés du pain spontanément », explique-t-il. Marianne, également retraitée, au volant de son camion-balai, constate que « parmi les marcheurs solidaires, il y a soit des tout jeunes ou des tout vieux ». Quelques personnes issues de la communauté d’Emmaüs d’Angers sont aussi présentes. Elles sont venues avec un camion bariolé d’affiches de la marche et transportant un précieux chargement… le déjeuner !
- © Guy Pichard
Il est midi passé au petit village de La Chapelle-Saint-Aubert quand arrive le groupe pour rejoindre le camion parti devant. Les tables sont installées, la tente posée et les plats chauffent. Au programme, des légumes en sauce, du riz et du poulet. Une bénévole vient donner une livraison de chaussettes, des manteaux anti-pluie sont distribués. Jean-Marie, quadragénaire, est originaire du Cameroun. Il vit en France depuis une quinzaine d’années, après cinq ans passés au Maroc.
- © Guy Pichard
Anthropologue de formation, il est aujourd’hui sans-papiers. « J’ai fait mes études en France. On dirait que ça semble inutile à l’État français de garder des gens comme nous qui avons des diplômes. » Jean-Marie paye ses impôts en France depuis dix ans. Il marche avec l’espoir que cela mette en lumière l’aberration de la situation des travailleurs sans-papiers. « Je ne pourrais pas vivre en France sans le soutien d’amis français. Il y a une véritable solidarité de la part de la population, qui pallie le manque d’aides de l’État à notre égard. » L’entrée dans un nouveau village interrompt la conversation : Romagné.
- Sans-papiers, Jean-Marie paie pourtant ses impôts en France depuis dix ans. © Guy Pichard
« Ne pas les régulariser engendre un coût humain et financier à notre société »
De nouveaux arrivants viennent grossir les rangs du groupe, dont trois Géorgiens. Les nationalités sont multiples dans le cortège : marocaine, congolaise, malienne, sierraléonaise… La communication se fait en français et anglais, parfois dans un mélange des deux. À la sortie de Romagné, une voiture de la gendarmerie interrompt la marche. Tout est en règle, la manifestation est déclarée et autorisée, chacun a pris soin de bien avancer masqué. Les voitures de gendarmerie veilleront même à escorter le convoi par moment.
André, figure locale des luttes pour les droits humains et membre de l’association “Bienvenue” qui accompagne des personnes migrantes à Fougères, accueille le groupe. « Ne pas les régulariser engendre un coût humain et financier à notre société, lance-t-il. Cela pourrit la vie des migrants et complique celle des services sociaux, et même des forces de l’ordre. Cette marche rend visible cette demande impérieuse qu’est la régularisation. »
- © Guy Pichard
La traversée de la ville médiévale de Fougères restera sans nul doute un moment fort de la manifestation. Après une dernière montée ardue, c’est sur le parvis que se termine l’étape, entre émotion et joie. Après la photo souvenir et quelques discours improvisés, une lettre est lue à l’attention du président de la République, Emmanuel Macron. Elle demande l’égalité des droits pour toutes et tous, la fin des centres de rétention, l’accès à un logement décent, surtout en ces temps de crise sanitaire.
- L’arrivée de l’étape sur le parvis de l’église Saint-Léonard de Fougères. © Guy Pichard
Éreintés, les marcheurs se dirigent alors vers le repas au local des Oiseaux de la tempête, haut-lieu libertaire de la ville de Fougères. La soirée se nourrit d’échanges avec un groupe de féministes sur la place des femmes immigrées. Il est plus de 22 heures, certains tombent de fatigue. Il faut se remettre en route dès le lendemain.
Guy Pichard (texte et photos)
*La majeure partie des prénoms ont été modifiés, les marcheurs voulant rester anonymes.
Photo de une : © Guy Pichard
Les autres manifestations accompagnant la Marche des solidarités sont détaillées sur le site de la marche.