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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
La situation en Bélarus semble bloquée, fausse impression que l’on retrouve aujourd’hui partout dans le monde, dans les pays qui, du Chili à l’Irak, ont connu des mouvements populaires insurrectionnels, à la fois très puissants et dépourvus de représentation politique démocratique organisée et centralisée, et se heurtant à des murs tout en manifestant une grande résilience et une grande force de résistance.
Cependant, une chose semble claire à tous les acteurs d’en bas de la lutte : l’usure ne profite pas à Loukashenko et, du coup, pas non plus à Poutine qui le tient par derrière depuis début août. Le rejet du « président » par la société est total -plus qu’au moment des présidentielles, car la société a appris depuis. Mais l’essentiel pour lui, en quoi consiste l’appareil d’État des forces armées et des managers d’entreprises, a pour l’instant tenu. Les principales défections ont eu lieu au début, et c’est maintenant une relation de détestation profonde qui oppose les nervis en cagoule à l’écrasante majorité. Une conscience nationale et démocratique s’affirme dans le rejet, hors de la nation, des nervis en uniforme qui, au service du moustachu stupide, la brutalisent.
La « grève générale », en fait grève générale du zèle qui paralyse réellement le cœur de la production, avec les comités de grèves élus mi-août, les manifestations de masse du dimanche, les manifestations de femmes et celles des retraités, a tenu, sans parvenir à se hisser, comme l’élan initial l’avait mis en perspective, au niveau d’un déferlement paralysant tout. En fait, les bélarusses « apprennent » de leur propre combat : ils ont expérimenté les manifestations de masse, les affrontements, la résistance passive de masse, les opérations nocturnes, et les débrayages temporaires majoritaires. D’où l’espoir, en bas, et la crainte, en haut, qu’ils ne se rassemblent pour refaire toutes ces expériences en même temps et passer à un autre stade, dont ils savent le besoin : l’insurrection populaire généralisée, à laquelle ne manquent, pour l’heure, que les armes.
C’est en fonction de cette réalité, et aussi en relation avec les évènements militaires du Caucase, que Loukashenko a amorcé un « tournant ». D’une part, il a contraint les opposants libéraux emprisonnés les plus connus à le rencontrer, pour la photo. D’autre part, il a ordonné à ses nervis de se remettre à frapper systématiquement comme au soir de la présidentielle, et a annoncé que l’emploi d’armes à feu pour tirer sur le peuple dans la rue pourrait se produire.
Ces sombres manœuvres ont produit une réaction de celle qui a gagné l’élection, Svetlana Tikhanovskaia, réfugiée à Vilnius. Cette jeune femme a joué son rôle de symbole du combat pour la liberté – sans avoir de programme précis et en ne le mettant d’ailleurs pas en avant : la partie sociale de son programme, qui prévoit la fin des CDD systématiques, et la partie économique, axée sur les privatisations, sont contradictoires (même si les bélarusses, qui vivent dans le monde réel et pas dans le « reste de socialisme » imaginé encore par certains, estiment qu’avoir plusieurs patrons en concurrence, au lieu d’un seul, ne se ferait pas forcément au désavantage des salariés !). Au lendemain des présidentielles, craignant pour ses enfants et pour son mari emprisonné, elle a émigré. Une semaine après, contactée par des représentants internationaux et notamment européens, elle a tenté de superviser la formation d’un comité national, associant figures populaires, intellectuels, élus de comités de grève, et représentants de petits partis de droite. Cette fois-ci, elle a réagi à l’opération Loukashenko. Il faut dire que son mari avait été conduit à la soi-disant séance de discussion avec celui-ci, mais que, refusant de lui serrer la main en prétextant le Covid, il n’est pas sur la photo, s’affirmant comme le plus ferme des opposants officiels, puis que, autorisé – pour la première fois ! – à téléphoner à son épouse, il lui a conseillé de durcir sa position.
Svetlana Tikhanovskaia a donc tenu une réunion vidéo avec des représentants des usines MTZ, MAZ, MMZ, MZKT, GrodnoAzot, Kommunmash et METZ – il est très significatif qu’elle ait, pour durcir le combat, fait directement appel aux ouvriers (mais le plus important des comités de grève, Belaruskali, n’est pas dans cette liste). Elle a réitéré les trois exigences de la nation : démission du dictateur, arrêt des violences de ses bandes, libération de tous les prisonniers politiques. Faute de quoi elle appelle à la grève totale à compter du lundi 26 octobre, avec blocage des routes et arrêt des ventes dans les magasins d’État.
Le ton de son appel a frappé les gens car Svetlana Tikhanovskaia avait à ce jour paru comme la femme-symbole, ne prétendant d’ailleurs pas gouverner le pays dans la durée, mais permettre des élections réellement libres à tous les niveaux, et appelant à éviter les affrontements. Manifestations et grève générale les 10-11 août avaient éclaté malgré ses appels à la modération. Et là, comme l’écrit le journal russe Novaïa Gazeta, l’essentiel est qu’elle s’est mise au diapason de l’état d’esprit de la majorité, qui a déjà appris à « faire grève et bloquer les routes ».
Alexandre Yaroshuk est président du syndicat indépendant BKDP, la seule organisation qui, malgré sa faiblesse initiale, présente une structure nationale réelle et influente. Il avait, suite à la première poussée vers la grève générale « effective » dans la semaine suivant le scrutin, appelé à élire un Comité national de grève pour diriger le pays de manière transitoire. De fait, ni le comité national de grève, embryonnaire et qui n’a pas pu se réunir effectivement, ni le Comité national impulsé par S. Tikhanovskaia, dans lequel sont représentés les ouvriers à côté d’autres forces sociales, ne se sont structurés de manière solide et définitive.
Sa réaction, diffusée par Belarus Partisan et par le BKDP, est pour ainsi dire mitigée : il loue le fait que « Svetlana s’exprime avec plus de confiance », réaffirme sa propre confiance dans la détermination farouche de la population, rappelle que c’est plutôt, quoi qu’on en dise, une « grève à l’italienne » qui se déroule, sans débrayages effectifs sauf ceux du début (qui ont été décisifs), sorte de « sabotage » généralisé, affirme qu’il ne faut pas tenir cela pour un échec mais le comprendre comme un auto-ébranlement de toute la société, qui a commencé à s’organiser, et qu’il n’y a pas de leaders dans ce cadre – Tikhanovskaia est écoutée et respectée parce qu’elle a, selon lui, sans doute pas fait 80% des voix mais largement plus de 50% et comme symbole, pas comme « leader ». Il n’est donc pas certain que les choses se passent conformément à son appel. Mais cela peut aussi se produire avant, ou pas, la tendance dominante étant à la recherche des actions efficaces sur la base de l’actuel « sabotage omniprésent » qui signifie qu’il n’y aura jamais de retour à arrière et que jamais Loukachenko ne retrouvera de base sociale ailleurs que chez ses nervis et prébendiers.
C’est une conclusion en points de suspension que nous avons là. Au fond, pour une raison centrale : les armes sont aux mains des oppresseurs. Ceci souligne, pour nous, le rôle direct de la solidarité internationale, notamment syndicale, dans le rapport de force. En soutien à l’appel à la grève générale avec blocages à compter du 26 octobre !
Le 16-10-2020.