Il serait logique de penser qu’une candidature unique de la gauche pourrait permettre à celle-ci d’être présente au second tour. Il s’agit là d’une illusion.
Le récent sondage IFOP/JDD d’intentions de vote au premier tour de la prochaine élection présidentielle est catastrophique pour les candidat·es classé·es communément à gauche. Dans l’hypothèse où Anne Hidalgo est la candidate du Parti socialiste (la meilleure candidate pour ce parti), le total obtenu par l’ensemble des candidat·es de gauche est de 29,5% (Mélenchon 11%, Hidalgo 9%, Jadot 6% et les trois d’extrême gauche 3,5%). Aucun·e de ces candidat·es n’a donc la moindre chance d’être qualifié·e pour le second tour, Le Pen obtenant 24%, Macron 23% et Bertrand 15,5%.
Pourtant, il s’agit là d’une illusion. La lecture de l’enquête montre, de manière contre-intuitive, qu’une telle tactique ne présenterait aucun avantage par rapport à des candidatures séparées et serait même plus catastrophique encore. En effet, dans le cas d’une candidature unique l’hypothèse Mélenchon donne 15% et les hypothèses Hidalgo et Jadot chacune 13% (tableau 1). Le total de l’électorat de gauche serait ainsi divisé par deux. Comment expliquer un tel phénomène?
L’image irréelle d’un peuple de gauche uni
Les commentateurs opposent souvent, s’agissant de la gauche, des appareils et des leaders qui ne seraient intéressés que par leurs intérêts personnels ou de boutique à un électorat qui ne souhaiterait que l’union du peuple de gauche et donc son rassemblement derrière un candidat unique.
Il est vrai que les leaders et les appareils ont leurs intérêts propres. La logique politique de l’élection présidentielle pousse chaque parti ou mouvement à présenter sa ou son propre candidat sous peine d’être marginalisé et oblige chaque leader à être présent dans la compétition sous peine d’être oublié. Pour autant, l’image d’un peuple de gauche uni mais trahi par des chef·fes en concurrence pour le pouvoir ne correspond pas à la réalité. Les sympathisant·es des différentes organisations dites de gauche sont tout autant divisé·es que leurs leaders. L’observation des intentions de vote des trois groupes de sympathisant·es le montre clairement.
En premier lieu, les sympathisants d’un parti ne votent pas massivement pour le candidat du parti dont ils se sentent le plus proches. Si cette proportion est importante chez les sympathisant·es de La France insoumise (83%), elle n’est que de 71% chez EELV et de 62% du côté du Parti socialiste.
En second lieu, les sympathisant·es d’un parti ne votent que de manière minoritaire, parfois même très minoritaire, pour un des deux autres partis. C’est particulièrement vrai pour les sympathisant·es de La France insoumise (un quart). Plus intéressant encore, alors que le Parti socialiste envisage de soutenir un ou une candidate écologiste si Anne Hidalgo renonce à se présenter (décision probable au vu de ce sondage), 38% seulement des sympathisant·es de ce parti envisagent de voter pour Yannick Jadot. Certes, il faut prendre avec précaution les chiffres de cette enquête alors que nous sommes très en amont de l’élection et que les candidatures testées sont encore très hypothétiques. Ces données nous permettent cependant de tirer quelques enseignements sur l’état actuel de la gauche.
Faible potentiel électoral
En posant que les sympathisant·es des partis que l’on classe habituellement à gauche souhaitent l’union de ces partis, on fait implicitement une double hypothèse: que ces sympathisant·es se sentent à gauche et, si oui, qu’ils se sentent proches des autres partis classés à gauche. Or, la validité de cette double hypothèse est loin d’être démontrée.
Nous disposons d’une enquête de l’IFOP de juillet dernier qui invite les personnes interrogées à se situer sur une échelle gauche/droite en onze positions, l’institut classant à gauche celles qui se situent sur les positions de 0 à 3 (tableau 2).
Notons d’abord que 13% seulement des personnes interrogées se placent sur les positions de 0 à 4 de l’échelle. Ensuite, chez les sympathisant·es des trois organisations classées à gauche, une minorité seulement se situe sur ces positions: 41% des sympathisant·es de LFI, 40% de ceux du PS et 22% de ceux d’EELV.
En considérant comme constituant le «peuple de gauche» l’ensemble de ces sympathisant·es, on risque par conséquent de surévaluer fortement le périmètre de celui-ci, tout particulièrement s’agissant de la mouvance écologiste. Ces observations contribuent à expliquer le faible potentiel électoral d’une candidature unique de la gauche.
De graves désaccords internes
Ensuite, il faudrait vérifier que les sympathisant·es des trois groupes qui se placent sur les quatre positions les plus à gauche de l’échelle partagent les mêmes conceptions de la gauche, ce qui est très peu probable tant celle-ci est aujourd’hui divisée, qu’il s’agisse du clivage universalisme/«identitarisme», du rapport à l’économie de marché, de la conception du combat écologique, des institutions ou de la construction européenne, divisions qui non seulement peuvent opposer les groupes entre eux mais également traverser chacun de ces groupes, comme on l’a vu lors de la primaire socialiste de 2017 et comme on le voit aujourd’hui au sein de la mouvance écologiste.
Si, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, le PS et peut-être EELV n’organiseront pas de primaire, les raisons ne seront pas seulement leur faiblesse électorale et l’affaiblissement notable du contrôle que ces organisations peuvent exercer sur les candidat·es potentiel·les qui se situent dans leur espace politique, mais aussi les graves désaccords internes qui existent au sein de chaque organisation et qui rendent une telle procédure contre-productive.
L’affaiblissement et l’émiettement actuels de ce qu’on appelle la gauche explique en grande partie l’incapacité de l’opposition gauche/droite à structurer le fonctionnement du système politique. La bipolarisation gauche/droite n’existe plus. L’unité de la gauche, dans ces conditions, n’est plus ni avantageuse ni possible.