Facebook s’attaque au site “Rapports de force”: la bourgeoisie s’attaque aux libertés fondamentales

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Rapports de force

Jeudi 15 octobre, Facebook a retiré tous les articles provenant du site Rapports de force et postés sur sa plateforme depuis trois ans et demi. Sur notre page, mais également sur l’ensemble des murs des personnes ayant partagé nos productions. Depuis, impossible de publier sur Facebook quoi que ce soit, par qui que ce soit, en provenance de notre site internet, malgré nos protestations et demandes d’explications.

 

À qui le tour ? En 2017, aux États-Unis, des sites d’informations de gauche voient leur visibilité volontairement réduite par Facebook, explique le journal l’Obs, relayant une information du Wall Street Journal. Plus près de nous, en France en 2019, des pages Facebook de la gauche radicale subissent le même sort, relate un article de Mediapart. Maintenant, nous. Une nouvelle étape est franchie : à notre connaissance, c’est la première fois qu’en France Facebook censure l’entièreté d’un média produit par des journalistes. Et demain ? Quel autre titre de presse ?

 

Une décision arbitraire autant qu’incompréhensible

 

C’est avec surprise que nous nous sommes rendu compte, jeudi 15 octobre en fin d’après-midi après l’alerte d’un lecteur, de la disparition de certains de nos articles sur Facebook. Puis, nous avons découvert qu’il s’agissait de tous nos articles. Tous avaient disparu de la plateforme. Sans exception. De notre page, comme des murs des centaines de milliers de personnes qui les avaient partagés en plus de trois ans. Par contre, notre page n’a pas été bloquée. Premier message à Facebook pour demander des comptes.

En attendant une réponse qui ne viendra pas, nous avons cherché à comprendre. Premier constat : notre page Facebook est marquée en vert (sans restriction ou infraction) dans la rubrique qualité des pages. Ce n’est donc pas cela. Par contre, dans la rubrique « aide et assistance », au bouton « vos infractions », nous découvrons un message daté du jour même signalant une des publications du site. Celle, trois jours plus tôt, d’un article des plus classiques sur la mobilisation nationale contre la répression subie par quatre enseignant.e.s d’un lycée, à Melle dans les Deux-Sèvres. Selon la plateforme, cette publication ne respecterait pas les standards de la communauté Facebook. Incompréhensible !

Depuis lors, de nombreux lecteurs nous ont contactés pour signaler la disparition de leurs posts ou l’impossibilité de partager tel ou tel article. Facebook leur indiquant alors : « le lien auquel vous avez tenté d’accéder est contraire aux standards de la communauté ». C’est donc le site Rapports de force qui devient tout entier un contenu indésirable et n’a plus sa place sur la plateforme. Une mesure « bombe atomique » s’il s’agissait en réalité d’un seul article qui, selon eux, contrevenait à leurs standards. Nous leur avons envoyé 5 messages et les avons interpellés à trois reprises via Twitter. En vain à ce jour. Facebook ne répond pas.

 

Une menace sur notre existence

 

Une telle censure pourrait avoir de lourdes conséquences si elle s’éternisait. À ce jour, Facebook représente à lui seul plus de la moitié de la provenance des visites vers Rapports de force. Pour éclairer le propos, voici quelques données chiffrées. Sur les 815 000 personnes qui sont venues nous lire depuis le début de l’année, 481 000 avaient d’abord vu la publication sur Facebook. Trois à quatre fois plus que l’ensemble des visites directes sur le site ou celles en provenance des moteurs de recherche. À titre de comparaison, celles issues de Twitter n’étaient que 20 000 sur la même période. Une goutte d’eau comparativement. Quant aux venues spontanées sur la page d’accueil pour s’informer des dernières publications, soit directement soit après avoir lu un article, elles ne représentent que 32 000 personnes depuis le 1er janvier.

Tout cela pour expliciter qu’en étant amputée du trafic provenant de Facebook, notre audience reculera très fortement. Probablement jusqu’à son niveau du premier semestre 2019. Mais c’est également la progression que nous connaissons depuis plus de trois ans qui marquera un coup d’arrêt durable. On peut le regretter, le déplorer ou le critiquer, mais depuis notre création, la diffusion sur Facebook a été le principal vecteur par lequel nous avons réussi à nous faire connaître en gagnant, mois après mois, de nouvelles lectrices et nouveaux lecteurs. C’est de cette façon que nous sommes passés de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de lecteurs entre nos débuts et aujourd’hui. Et même plus d’une centaine de milliers certains mois. Les recherches d’alternatives, quelles qu’elles soient, s’avèrent complexes en cela qu’elles se heurtent aux usages des internautes dans leur consommation d’informations.

Cet arrêt brutal du développement de notre audience aura aussi un effet délétère sur la progression des dons à notre journal. Or nous avions fait le choix en 2017 d’un média sans publicités, sans actionnaires, et non payant. Cela pour permettre au plus grand nombre un accès libre à ses contenus. Pour rémunérer notre travail et développer la rédaction, nous avions fait le pari un peu fou de compter sur les dons volontaires de ses lecteurs. Et donc d’accepter finalement de ne pas ou de mal se payer pendant plusieurs années pour la réalisation de Rapports de force.

Dans cette perspective de vivre des dons des lecteurs, notre seule option est de construire une audience la plus large possible pour obtenir des contributions financières plus nombreuses. Là aussi, notre microscopique budget double tous les ans, parallèlement à la progression de notre audience. Sans pour autant atteindre l’objectif de nous rémunérer autrement qu’à la marge pour le moment. En parvenant à maintenir la même progression que ces trois dernières années, nous pouvions imaginer trouver une viabilité financière à l’horizon 2022. Ce qui signifiait : bricoler encore deux années, en plus des trois années dernières nous. Mais si au lieu de progresser, notre audience et notre visibilité reculent, à minima, nous pouvons projeter que la progression des dons se tarisse. Sans elle, l’abnégation et les sacrifices trouveront leurs limites. Et la possibilité d’un média sur les mouvements sociaux réalisés par des journalistes professionnels avec.

 

La presse indépendante reste un sport de combat

 

Pour autant, même si nous vous alertons dès maintenant des conséquences à moyen et long terme de cette situation, nous n’allons pas baisser les bras. Nous étudions toutes les possibilités que nous pourrions mettre en œuvre pour contrecarrer la décision de Facebook de nous bannir de sa plateforme. Une mobilisation de la profession sur les dangers pour la liberté de la presse que fait peser une telle situation, une campagne des lecteurs, des démarches en justice : nous n’excluons rien. Bien sûr, nous vous tiendrons informés de tout cela et vous solliciterons au besoin.

En attendant, nous allons tenter de continuer à faire notre travail, à vous informer, même s’il faut bien l’admettre : cette histoire nous fait perdre beaucoup de temps et nous limite dans nos capacités à traiter l’actualité comme nous le voudrions. D’ores et déjà, nous allons être obligés de différer de quelques jours ou de quelques semaines une campagne de dons que nous projetions de démarrer le 2 novembre et de faire vivre sur les réseaux sociaux jusqu’en décembre. Un premier effet immédiat et très concret.


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