LE COVID-19, UN VIRUS CAPITALISTE : ENTRETIEN AVEC ROB WALLACE

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SOURCE : ACTA

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les gouvernements du monde entier plaident la surprise, généralement pour justifier les manquements de systèmes de santé exsangues, lessivés par des décennies de néolibéralisme. Il y a quelques jours encore, Emmanuel Macron a justifié de nouvelles mesures de restriction des libertés publiques par l’avancée « inattendue » de la propagation du virus sans pour autant conférer plus de moyens aux infrastructures hospitalières. Il n’en reste pas moins que les épidémiologistes radicaux alertent depuis des années sur les risques d’irruption de nouvelles pandémies.

Dénonçant le modèle de l’agrobusiness et son intégration dans les circuits du capitalisme mondialisé, Rob Wallace montre ici combien l’apparition du Covid s’inscrit dans la logique même du capital qui favorise la déforestation, met à sac les écosystèmes locaux et fait passer le profit avant toute chose. Il se livre également à une analyse impitoyable de la classe politique états-unienne et de son incapacité à prévenir la population du pays contre la contagion du virus, tout en indiquant combien les pressions exercées par les États et les multinationales sur les institutions internationales comme l’Organisation mondiale de la santé nous ont désarmés collectivement contre l’émergence de nouveaux virus, dont il y a fort à craindre que le Covid-19 ne soit pas le dernier.

Commençons par Trump. Que pensez-vous du fait qu’il ait contracté le virus ? Qu’est-ce que cela révèle sur la manière dont son administration et la classe politique états-unienne dans son ensemble ont géré la pandémie ?

Rob Wallace : Pour être honnête, pendant au moins un peu de temps hier, j’ai eu la chance de ne pas penser à Trump. Dans ces moments-là, je consacre mon esprit et mon attention à mon implication dans l’activisme et la recherche pour nous aider à sortir de la catastrophe.

Pour ce qui est de la contraction du COVID-19 par Trump, je pense que c’est un spectacle et une intrigue de palais – cela sert de distraction. Le fait même qu’il l’ait contracté est à la fois stupéfiant, ahurissant, et pourtant tout à fait prévisible.

Les scientifiques mettent en garde contre une telle pandémie depuis au moins une décennie. Et les plus radicaux avancent que de telles épidémies ne sont pas un accident mais le résultat d’un système capitaliste qui fait passer le profit avant l’environnement, les êtres humains et la santé publique. Quelle idée radicale : nos systèmes sociaux ont un impact sur nos épidémiologies !

Ce que nous voyons sous l’administration Trump, c’est l’effondrement de l’exceptionnalisme américain, même en tant qu’idéologie. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont pris en charge la gestion du système capitaliste mondial en imposant leur puissance politique et militaire dans le monde entier pour protéger les profits de leur bourgeoisie et de ceux qui s’alignent sur elle.

Dans le cadre de leur domination impériale, les États-Unis avaient l’habitude de s’occuper des épidémies. Le CDC (Centers for Disease Control & Prevention) était l’un des bras de cette opération, qui consistait principalement à garder les pandémies potentielles sous contrôle et hors des États-Unis.

Le CDC a progressivement pris conscience que ce n’était qu’une question de temps avant qu’un virus ne traverse le bouclier américain, et il a commencé à alerter les administrations sur ce type de menaces. Mais Trump a ignoré les mémos que le CDC avait envoyés à plusieurs administrations.

Le fait même que Trump ait réussi à gagner la présidence est en soi un signe de la faiblesse de l’ensemble de l’establishment politique, républicain et démocrate. Ils n’ont pas été capables de le « filtrer » et d’assurer la gestion continue de l’empire.

La responsabilité de l’émergence de Trump incombe clairement au Parti démocrate. Sous la direction d’Obama, la situation de la grande majorité de la population s’est dramatiquement détériorée, en particulier dans les régions abandonnées par les investissements capitalistes, notamment les greniers à blé agricoles et les zones anciennement industrialisées du Midwest.

Dans ces régions, les maladies de désespoir comme l’addiction aux opiacés ont explosé. Il suffit de regarder les comtés où le taux de ces maladies est élevé. Ces comtés sont passés d’Obama en 2012 à Trump en 2016, en particulier dans le Midwest et le Sud.

Ils sont passés à Trump parce que les politiques néolibérales des démocrates les avaient abandonnés, les laissant se débrouiller seuls. Prenez Obamacare. Même si vous avez une assurance sur l’un des marchés, vous devez quand même payer des primes, des co-paiements et des franchises énormes. Pire encore, Obamacare n’aide même pas les 28 millions de personnes qui ne sont pas encore assurées ou les 44 millions d’autres qui sont sous-assurées.

De telles conditions de chômage et de détérioration du niveau de vie, ainsi que toute la colère et le désespoir qui les accompagnent dans certains milieux, font de la politique fasciste un choix judicieux. Surtout s’il y a peu d’alternatives à gauche. En ce sens, Trump est un symptôme aigu de l’incapacité totale du Parti démocrate à répondre aux besoins réels des gens.

Trump a profité de cette situation et a fait peu de cas de toutes les institutions qui dirigeaient l’empire, y compris le CDC. Il l’a transformé en une unité de propagande politique au point qu’elle est incapable de faire face à une épidémie majeure, même à l’intérieur de nos propres frontières. Les États-Unis commencent à montrer les caractéristiques d’un État-nation en faillite.

La pandémie ne montre aucun signe d’essoufflement. Elle s’est propagée dans une grande partie du monde capitaliste avancé et elle fait de même dans tout le Sud. À quoi pouvons-nous nous attendre dans les mois et les années à venir ?

Rob Wallace : Sur la base des modélisations effectuées jusqu’à présent, les scénarios les plus pessimistes montrent que nous pourrions encore être au cœur de la pandémie en 2024. La prévision la plus optimiste est que nous en serons sortis dans un an. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes encore qu’au début de la crise.

Il n’y a pas de leadership pour y faire face de manière conséquente, que ce soit de la part des républicains ou des démocrates. Les pires étant, bien sûr, les républicains : ils sont engagés dans un eugénisme social d’une grande brutalité.

Plutôt que de parler de vertu ostentatoire, il faudrait parler de vice ostentatoire lorsqu’ils prétendent que leurs partisans sont imperméables aux résultats de leur propre politique. C’est pourquoi il n’est guère surprenant que Trump ait contracté le virus : ce dernier s’est répandu dans une grande partie de la Maison Blanche et maintenant dans ses fiefs de soutien à travers tout le pays.

Mais les démocrates de la plupart des grandes villes et des États républicains n’ont pas fait beaucoup mieux. Ils ont tous opté pour une approche néolibérale. Ils n’ont pas fait comme la Chine, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande : imposer des confinements stricts mais plus courts, effectuer des tests de masse, organiser des systèmes de recherche des contacts et fournir au moins une forme de réponse massive et bien organisée en matière de santé publique.

Au mieux, les États-Unis se sont engagés dans des confinements temporaires dans certaines parties du pays, suivis d’une réouverture rapide de l’économie et d’une reprise des bénéfices. Le résultat a été un spectacle d’horreur qui a compromis leur propre espoir de reprise économique.

Ils sont tellement désorganisés que les partisans de la réouverture, de Trump à sa base, n’ont même pas utilisé l’alibi de l’immunité collective, que la Grande-Bretagne et la Suède ont invoqué avec des résultats meurtriers, sacrifiant la vie de milliers de leurs propres partisans. Ce n’est que maintenant, alors que la pandémie est essentiellement hors de contrôle aux États-Unis, que le personnel politique a commencé à parler d’immunité collective, l’utilisant essentiellement comme une excuse pour continuer à ne rien faire.

Ils ne se soucient surtout pas des personnes qui ont été les plus touchées : les personnes âgées, les travailleurs essentiels, les non-blancs. C’est étrangement similaire à leur réaction au VIH. Ils laissent ce virus se propager dans les populations parce qu’il s’est d’abord répandu parmi les hommes homosexuels et s’est propagé aux BIPOC (Littéralement les individus noirs, indigènes et de couleur – NdT).

Mais, comme le VIH l’a prouvé, concentration ne signifie pas confinement. Une pandémie va commencer à un endroit et se propager dans le reste de la population. De la même manière, et nous le voyons maintenant avec le début d’une deuxième vague sur la côte Est, le COVID-19 continuera à se répandre dans tout le pays, écrasant des systèmes de santé publique éviscérés.

Pour maîtriser cette crise, nous aurions besoin de confinements suivis d’une réouverture prudente, avec des plans élaborés de tests et de traçage des contacts pour stopper les nouvelles épidémies. Mais aucune administration ne dispose des systèmes de dépistage et de traçage dont nous avons besoin, y compris les États et les villes contrôlés par les démocrates.

Les deux partis ont vidé l’infrastructure de santé publique de sa substance et refusent de réorienter leurs priorités de dépenses en taxant les riches pour la reconstruire. Ainsi, le gouvernement fédéral, les États et les villes n’ont pas la capacité de faire face à la crise.

Ils ne font que trébucher sur la pandémie. Le seul point positif est que grâce aux efforts héroïques du personnel médical, qui a appris à traiter les gens sur le tas, le taux de mortalité est en baisse. Mais même avec cette avancée, des dizaines de milliers de personnes continueront de mourir d’un virus dont la première vague aurait dû être maîtrisée en deux ou trois mois seulement.

Qu’en est-il d’un vaccin ? Quand pouvons-nous en attendre un et cela va-t-il mettre fin à la crise ?

Rob Wallace : Nous devons comprendre comment l’impulsion en faveur des vaccins est compromise par la façon dont le gouvernement a abandonné la santé publique. Le gouvernement travaille désormais principalement par l’intermédiaire de sociétés pharmaceutiques privées, qui cherchent avant tout à gagner de l’argent.

Bien sûr, je ne suis pas contre les vaccins et les antiviraux. Notre camp a longtemps exigé le développement et la mise à disposition d’innovations médicales pour améliorer la vie des gens, indépendamment de leur capacité à payer.

Mais la combinaison de l’appât du gain et de la politique réactionnaire – faire réélire Trump, par exemple – peut compromettre d’emblée la santé publique. De telles politiques peuvent miner la confiance du public, ce qui est d’une importance décisive.

Prenons par exemple l’approche du virus Ebola par les Nations unies au Congo. L’ONU a collaboré avec la mafia locale lorsqu’elle s’est implantée au Congo, ce qui l’a conduit à s’aliéner la population. Ainsi, les populaitions locales jetaient des pierres sur les agents de santé des Nations unies, non pas parce qu’ils étaient fous ou anti-scientifiques, comme l’ont dépeint les médias mainstream, mais parce qu’ils étaient en colère que les Nations unies renforcent le pouvoir des voleurs et des voyous locaux.

La manière dont Trump gère sa campagne pour un vaccin pose un risque similaire. Il fait pression pour qu’un vaccin soit développé avant l’élection, afin de la remporter, et tout le monde le sait. Ainsi, au fait qu’une large partie de la population ait été convaincue que le virus n’est pas une menace, vient s’ajouter une méfiance généralisée à l’égard de tout vaccin. En conséquence, les sondages montrent que seuls 50 % des Américains déclarent qu’ils prendront le vaccin.

Les scientifiques qui dirigent les agences gouvernementales n’ont rien fait pour améliorer la situation. Le directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, Anthony Fauci, a ainsi rédigé un papier au début de la pandémie qui affirmait que le taux de mortalité du COVID était similaire à celui de la grippe. Ce genre de position a aidé Trump à diffuser des informations erronées et a sapé la confiance du public dans le CDC.

Il ne faut donc pas se mettre à aduler Fauci comme le font les libéraux. N’oubliez pas qu’il a une histoire longue et ternie qui remonte loin, jusqu’à sa catastrophique gestion de la crise du sida sous Reagan. Il ne conteste en rien les problèmes systémiques qui produisent des pandémies.

Malgré ses appels à la mise en place de masques et autres, Fauci part du principe que la santé publique se limite largement aux vaccins et aux médicaments. Les disparités systémiques de l’exposition aux maladies et leurs résultats sont rarement discutées. Pourquoi ? Parce que cela implique de changer le système.

En ce qui concerne la production d’un vaccin, les autorités sanitaires sont confrontées à de réels problèmes. Il n’y a jamais eu de vaccin efficace contre un coronavirus. En plus de ces défis, les sociétés passent outre les protocoles de sécurité habituels. On voit ainsi certaines tentatives de vaccination passer directement du laboratoire à l’homme sans tests sur des animaux ou sauter certaines étapes des tests sur les humains.

En conséquence, il a déjà fallu interrompre les essais d’un vaccin potentiel en Angleterre en raison des effets secondaires découverts tardivement lors de tests sur l’homme. Les efforts déployés pour mettre les vaccins sur le marché en un temps record entraînent des omissions qui sapent encore davantage la confiance du public.

Beaucoup de gens n’obtiendront pas le vaccin s’il est distribué à la hâte avant les élections ou avant la fin de l’année pour tenir la promesse de Trump. Même les sociétés pharmaceutiques ont renoncé à promettre de respecter ce délai, par crainte d’être blâmées pour des effets secondaires, des décès et voir ainsi leur réputation entachée sur le marché.

Nous sommes confrontés à deux défis très difficiles : trouver un vaccin et obtenir la confiance du public. Le mieux est de faire en sorte que les différents laboratoires mettent au point un vaccin au moins partiellement efficace. C’est mieux que rien, mais cela ne signifie pas la fin de l’épidémie elle-même.

Nous pourrions voir des épidémies cycliques aller et venir. Certains virus s’épuisent et disparaissent. D’autres, comme le VIH, la tuberculose et le paludisme, persistent. Ils trouvent de nouvelles voies pour infecter les humains si un mode de transmission important est interrompu.

Nous disposons d’antirétroviraux pour le VIH, qui sont efficaces pour traiter les personnes qui présentent des symptômes. Mais le VIH continue de se propager dans le monde entier, en partie à cause de la médiocrité des infrastructures de santé, mais aussi parce que la plupart des nouvelles infections surviennent avant que les gens ne se rendent compte qu’ils sont infectés. Les mêmes types de complications se produisent pour d’autres maladies, comme le paludisme et la tuberculose.

Ainsi, le COVID-19 pourrait devenir une maladie saisonnière comme la grippe ou une maladie à poussées épisodiques. Elle pourrait ne pas être aussi mortelle qu’auparavant, car sa virulence peut s’atténuer. L’immunité collective pourrait finalement être obtenue, des années plus tard et si c’est le cas, par un vaccin partiellement efficace uniquement. Mais il est complètement absurde de penser que la solution consiste à laisser le virus se propager dans la population.

Ce genre de négligence n’est en fait qu’une déclaration de capitulation sans pitié. C’est un meurtre. Le nombre de personnes tuées au cours de ce processus serait astronomique. On estime que laisser le COVID circuler librement pourrait entraîner plus de 600 000 décès rien qu’aux États-Unis.

Prenons un peu de recul et examinons la relation entre la pandémie et le capitalisme. Les économistes bourgeois et Trump affirment que cette maladie est sortie de nulle part et n’a rien à voir avec le système capitaliste. En quoi cela est-il faux ? Quels sont les évolutions du capitalisme mondial qui ont créé les conditions propices au développement de ce genre de pandémie ?

Rob Wallace : La vérité, c’est que la bourgeoisie connaît très bien la relation entre le système dont elle profite et la pandémie, tout comme elle connaissait la relation entre le tabagisme et le cancer. Le système s’efforce de cultiver une amnésie qui fait que nous ne relions pas suffisamment les points entre eux pour pouvoir agir.

De nombreux scientifiques savent que la bourgeoisie agit ainsi, mais ils se taisent pour apaiser leurs bailleurs de fonds sans lesquels ils ne pourraient pas faire fonctionner leurs laboratoires. Il existe une conspiration structurelle du silence sur les racines capitalistes des pandémies.

Le développement du capitalisme mondial, en particulier de l’agrobusiness international et de ses fermes industrielles, a tellement englouti le monde naturel que notre société se rapproche de plus en plus d’écosystèmes autrefois isolés. Cela permet aux virus d’animaux sauvages auparavant isolés de passer dans le système alimentaire et les travailleurs agricoles, puis, par le biais des produits alimentaires et des voyageurs, de se déplacer dans le monde entier en quelques semaines.

En d’autres termes, l’ère du capitalisme mondial est une ère de pandémies. La grippe aviaire, ou grippe H5N1, est devenue le premier virus célèbre de cette époque lorsqu’il est apparu à la fin des années 1990. Cela a alerté les États capitalistes et les organismes internationaux qu’ils financent, comme l’ONU, sur la réalité soudaine de la menace représentée par les pandémies.

Les agences de l’ONU comme l’Organisation mondiale de la santé animale, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la santé ont commencé à se rencontrer pour comprendre comment se produit la transmission de la faune sauvage au bétail puis à l’homme.

Faire partie de la nature est toujours une entreprise risquée. Nous devons nous approprier les ressources de la nature pour survivre. C’est la vie. Mais détruire la grande totalité de la nature pour remplir les poches de quelques milliardaires nous place au bord du précipice de l’extinction.

Cela entraîne également l’apparition de multiples maladies mortelles, les unes après les autres. Dans une société rationnelle, nous nous comporterions avec la nature en vue de protéger l’environnement dont nous dépendons tous. Sinon, nous ne sommes pas en mesure de nous reproduire socialement de génération en génération.

Cela semble évident, mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le capitalisme mondial. La classe capitaliste qui le dirige se concentre presque exclusivement sur les bénéfices du prochain trimestre fiscal. Une fois que les entreprises épuisent un environnement local, elles s’engagent dans ce qu’on appelle un « spatial fix »1, en se déplaçant vers d’autres endroits pour piller.

Mais il reste peu d’endroits à piller (smash-and-grab), à l’exception du Congo et de l’Amazonie, et les sociétés d’agroalimentaire, d’exploitation minière et forestière travaillent d’arrache-pied pour abattre les dernières forêts. Pourquoi ? Parce que ce qui est moins disponible et encore essentiel au système devient plus précieux. Il y a donc une ruée vers ces ressources – et non pas, comme l’affirment les partisans du capitalisme vert, un élan pour les protéger.

Les capitalistes et les scientifiques savent ce qu’il en est : avec la destruction complète des derniers vestiges de la forêt surgissent les explosions de pandémies. Mais ils ne peuvent pas s’en empêcher, car la concurrence systématique pour le profit les pousse à continuer même si cela signifie l’effondrement de l’écosphère.

J’ai un problème avec cela. J’ai un enfant de 12 ans et je veux protéger son avenir. Je pense que nous avons presque tous un problème avec cela. Mais nos systèmes de production transforment rapidement la terre en une nouvelle planète Mars. Je veux pouvoir me promener avec mon fils sans combinaison spatiale. Je pense que la quasi-totalité de l’humanité souhaite pouvoir jouir de ces actes simples sans subir les ravages que laisse dans son sillage le capital myope des décombres.

Le système et ses sociétés capitalistes empêchent de faire quoi que ce soit pour arrêter ce scénario cauchemardesque qu’ils savent être imminent. Par exemple, One Health avec le soutien des Nations unies et des groupes comme EcoHealth Alliance attirent l’attention sur le pillage des dernières forêts, mais leurs efforts sont soutenus par des fonds d’entreprise, car ces dernières prétendent protéger les prochaines générations dans une vaste opération de greenwashing.

Ainsi, au lieu de blâmer les véritables coupables, ces scientifiques bien financés accusent les groupes indigènes et les petits exploitants locaux. Ou alors, ils se concentrent sur les conditions locales qui ont produit directement la situation. Bien sûr, nous devons étudier ces conditions et les comprendre, mais dans le contexte d’un système global.

Si nous ne le faisons pas, nous finirons par faire porter le chapeau aux acteurs locaux en oblitérant le rôle du système et des grandes entreprises. Nous devons regarder la situation dans son ensemble ou ce que les géographes appellent les géographies relationnelles – voir comment ce qui se passe d’un côté de la terre est lié à ce qui se passe de l’autre côté.

Nous devons nous concentrer sur les circuits du capital dans le système mondial et sur la manière dont ils alimentent les pandémies. Dans cette optique, il n’est pas surprenant que des endroits comme New York, Londres et Hong Kong soient les pires foyers de maladies, car ce sont les centres de capitaux qui financent la déforestation et le développement qui sont à l’origine de la contagion.

Tout cela devrait être assez évident, et tout le monde le sait, y compris la bourgeoisie et la classe politique qui travaille pour eux. Mais parce qu’ils ont un intérêt dans l’ordre actuel, ils bloquent toute solution sérieuse. La classe politique très instruite et bien éduquée, qui compte parmi les personnes les plus sympathiques que vous puissiez rencontrer, est en réalité structurellement sociopathe.

L’un des points que vous faites valoir dans Big Farms Make Big Flu (Monthly Review, 2016) est que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne joue aucun rôle dans la remise en cause de la dynamique que vous venez d’exposer. Au contraire, elle aide et encourage les coupables qui créent les conditions propices à l’apparition de pandémies : les États et les entreprises capitalistes. Comment l’OMS s’y prend-elle ?

Rob Wallace : L’OMS est complice parce qu’elle est structurellement liée aux États et aux entreprises capitalistes. Elle était auparavant financée par les États qui avaient de l’argent. Ainsi, comme toutes les agences des Nations unies, elle dépendait des pays donateurs et était liée à leurs intérêts.

Les principaux pays donateurs se trouvant au sein du Nord global, dans les pays impérialistes, en particulier les États-Unis. Ainsi, les politiques et l’approche de l’OMS reflétaient inévitablement leurs priorités : maintenir un système dans lequel 20 % de la population mondiale consomme 80 % de ses ressources.

Ces États impérialistes pillent le monde et ont mis en place des institutions comme l’OMS pour les couvrir et faire des victimes les plus pauvres, y compris les groupes indigènes et les petits exploitants forestiers, des boucs émissaires. Aujourd’hui, cependant, même les pays les plus riches ont réduit le financement de l’OMS et d’autres institutions des Nations unies. Des capitalistes « philanthropiques » comme Bill Gates ont comblé le vide. Aujourd’hui, environ 70 % du budget de l’OMS provient de dons privés.

Ainsi, ce sont désormais les capitalistes qui façonnent directement les politiques de l’OMS, et moins les États impérialistes et leur classe politique. C’est comme le dernier acte du néolibéralisme : vous réduisez tellement le rôle de l’État qu’il ne peut plus remplir ses anciennes fonctions et les capitalistes prennent le relais, utilisent leurs dons comme des déductions fiscales et font passer la politique de santé publique pour le remboursement des obligations liées à la pandémie avant de servir ceux qui sont en première ligne, tout cela au nom de la philanthropie.

Ces « philanthro-capitalistes » ne font que doubler la mise en œuvre de la même approche que celle des États impérialistes : exonérer leur système, se concentrer sur le nettoyage de certains effets plutôt que sur les causes, et faire des populations locales des boucs émissaires.

L’une des choses que vous soulignez dans Big Farms Make Big Flu est la bataille qui se joue entre les États-Unis et la Chine au sujet de l’OMS. Ils l’ont utilisée comme une sorte de terrain de jeu politique, chaque partie essayant de dissimuler son mauvais comportement et de blâmer l’autre. Quelle est votre évaluation de ce que chaque État a fait de l’OMS ?

Rob Wallace : Le point de départ est la façon dont les États-Unis ont géré le système mondial depuis la Seconde Guerre mondiale. L’élection de Trump doit être considérée comme le signe que les États-Unis déclinent en tant que puissance impériale. Ils gèrent toujours le système, mais depuis une position plus faible, et sous Trump, ils menacent d’abandonner leur rôle de gestionnaire mondial et de faire cavalier seul.

La menace de Trump de le faire est le symptôme d’une bourgeoisie devenue encore plus myope qu’elle ne l’était déjà. En cette fin de cycle d’accumulation, les riches d’ici encaissent l’imperium, vendant ses infrastructures.

Comment expliquer autrement le fait qu’ils détruisent leurs propres pays et empoisonnent notre eau ? Ils vendent tout, y compris le système de santé publique américain des 40 dernières années.

Ce faisant, ils démolissent la forteresse Amérique et permettent aux dangers qu’ils avaient gardés à l’extérieur et externalisés au Sud d’émerger à l’intérieur des frontières américaines. Bien sûr, l’esclavage, le génocide et l’apartheid ont été les fondements du système américain dès le début.

Et je ne partage pas la position nativiste consistant à défendre les biens mal acquis de l’Amérique aux dépens du Sud. Je ne fais que souligner la phase terminale que le néolibéralisme a fait s’écrouler sur son propre centre impérial.

Où cela nous mène-t-il ? Ce que nous devrions faire, c’est travailler avec les gens du monde entier pour s’attaquer aux racines des problèmes comme les pandémies et le changement climatique.

D’autres centres du capital peuvent avoir d’autres projets. Avec le déclin des États-Unis en tant que gestionnaire mondial du capitalisme, la Chine se présente comme un challenger potentiel pour le remplacer. Mais il n’est pas certain qu’elle puisse le faire, car elle, et en fait tous les États capitalistes, se heurtent à des limites écologiques. Que reste-t-il à piller (smash-and-grab) ?

La rivalité entre les États-Unis et la Chine dans ce contexte est particulière. Les deux pays semblent opposés l’un à l’autre, mais en même temps ils sont totalement dépendants l’un de l’autre, la Chine détient la dette de Washington, les directions des conseils d’administration de leurs grandes entreprises sont imbriquées, les deux pays investissent dans les économies de l’autre et s’intègrent à travers le commerce et la production.

Par exemple, après l’effondrement du marché immobilier en 2008, Goldman Sachs a diversifié ses avoirs en achetant des fermes en Chine centrale. De l’autre côté, un consortium dirigé par des Chinois a racheté Smithfield, le géant américain du porc.

Cela dit, leur interdépendance n’empêche pas ces camps d’entrer en conflit, voire en guerre. Les États-Unis et la Chine sont donc, selon la caractérisation de Marx, des « frères ennemis ». Ils se battent pour obtenir un avantage dans un système mondial qu’ils acceptent tous deux.

Ce qui est inquiétant, c’est la façon dont chaque puissance tente de rallier sa population autour de son drapeau pour détourner la responsabilité des problèmes du système sur l’autre. Les États-Unis et la Chine utilisent tous deux l’OMS et d’autres agences intergouvernementales comme une arme dans cette rivalité.

Trump menace de retirer de l’argent à l’OMS pour collusion avec la Chine dans la propagation du virus. Et la Chine utilise l’OMS pour redorer son image dans le système mondial dans l’espoir d’améliorer sa position mondiale contre les États-Unis.

Nous devons nous opposer à de telles tentatives de division des travailleurs dans le monde entier dans le sens de cette rivalité. Les travailleurs ont plus en commun entre eux par-delà les frontières qu’avec leurs dirigeants.

Ironiquement, la pandémie le montre très clairement. J’ai eu le COVID-19 très tôt. Mon expérience de la maladie n’est en aucun cas unique. Mon médecin ne voulait pas me voir ; j’ai été renvoyé à un système informatique et j’ai été diagnostiqué par une infirmière en ligne qui ne m’a même pas testé.

Aucun personnel de santé ne s’est présenté à ma porte et aucun agent de santé communautaire n’a assuré le suivi. Comparez cela avec le traitement immédiat et financé par l’État que Trump a reçu à Walter Reed.

Ou prenez l’exemple des Brooklyn Nets. Dans les premiers jours de l’épidémie, tous leurs joueurs ont reçu des tests immédiats, tandis que les infirmières des urgences de New York, même celles qui étaient manifestement infectées, ne pouvaient pas se faire tester. C’est presque comme si les Américains vivaient dans des pays différents, même s’ils se côtoient tout le temps dans la rue.

La plupart des Américains ont plus de points communs avec les Africains de l’Ouest qui ont été infectés par le virus Ebola qu’avec les Américains plus riches.

Cela montre bien pourquoi les travailleurs ont des intérêts communs et sont solidaires les uns des autres dans le monde entier. Malgré nos différences de lieu et de culture, nous sommes finalement dans des positions similaires, confrontés à des problèmes similaires enracinés dans un système capitaliste organisé autour de la protection de la bourgeoisie, indépendamment de ses origines nationales.

Comment les États ont-ils utilisé l’OMS pour dissimuler leur mauvaise conduite ?

Rob Wallace : Dans Big Farms Make Big Flu, je montre comment les États les plus riches et l’industrie agro-alimentaire font pression sur l’OMS et d’autres agences des Nations unies pour les exonérer de toute responsabilité. La menace de perdre toute source de financement est un moyen de pression efficace.

Ces menaces introduisent une distorsion diplomatique de la science par des moyens directs et indirects. Elles conduisent au filtrage des scientifiques qui expriment ce qui sont des points de vue considérés comme radicaux dans ce contexte, comme la protection des forêts locales et de leurs communautés contre l’accaparement des terres. Cela a à son tour un impact sur les études produites par l’OMS.

Bien sûr, ce n’est pas tout à fait le cas. Ces institutions ne sont pas monolithiques. Il y a des gens brillants partout. Certains chercheurs font des études importantes, même à la Banque mondiale, en suivant les impacts du néolibéralisme sur la pauvreté, par exemple.  De même, il y a des gens à l’OMS qui écrivent la vérité sur les pandémies.

Mais les dissidents sont l’exception, pas la norme. La norme, c’est la déférence envers les États qui financent, les philanthropes privés et les entreprises. Ainsi, l’OMS peut agir pour protéger la Chine qui, dans le cas du SARS-1, a essayé de dissimuler la gravité de la menace. L’OMS a procédé à une correction de trajectoire après cela. Mais la possibilité que les origines du SARS-2 soient dissimulées de cette manière est à nouveau en jeu.

Je pense que le SARS-2 est apparu sur le terrain à partir de chauves-souris, a été transmis aux animaux destinés à l’alimentation, puis aux humains. Mais il y a une autre hypothèse que nous évoquons dans notre nouveau livre Dead Epidemiologists, à savoir qu’il serait apparu dans un laboratoire de Wuhan.

Je veux maintenant distinguer cette version de l’hypothèse de la théorie conspirative de Trump selon laquelle le gouvernement chinois aurait délibérément libéré le virus. Tout cela n’est que du sectarisme sinophobe qu’il utilise pour blâmer la Chine pour sa propre gestion catastrophique de la pandémie – exactement le type de transfert de responsabilité dont nous avons déjà parlé.

Même si je soutiens l’hypothèse des origines du COVID sur le terrain, il y a lieu d’étudier la possibilité qu’un accident au laboratoire ait très bien pu libérer le virus. Nous ne sommes qu’à dix mois du début de la pandémie. Il y a de la place pour examiner ces origines.

Même de nombreux piliers de l’establishment, comme la journaliste Laurie Garrett et les scientifiques Marc Lipsitch et Alison Galvani, ont longtemps craint qu’un tel accident soit de plus en plus probable. Au lendemain du 11 septembre, des milliers de laboratoires ont proliféré, testant des virus dans le monde entier. Cela fait partie d’une tentative pour comprendre comment les virus fonctionnent et comment les arrêter.

Certains des pays qui ont créé ces laboratoires ne disposent pas de systèmes réglementaires solides ou n’appliquent pas les normes de sécurité mondiales. Cela inclut les États-Unis. Ces conditions posent des risques, comme la possibilité d’accidents et de contagion. Mais même le simple nombre de laboratoires impliqués fait pencher un événement rare comme un accident de laboratoire vers l’inévitable. Aux États-Unis, il y a eu de multiples accidents, notamment la mise à la poste d’échantillons mortels de grippe aviaire.

De même, il y a eu de multiples accidents en Chine avec le SARS-1. Ainsi, l’inquiétude concernant un accident pour le COVID n’est pas sans fondement et doit faire l’objet d’une enquête approfondie. L’Alliance EcoHealth travaille avec des scientifiques chinois sur des études de gain de fonction qui consistent à laisser un virus évoluer selon ses propres moyens pour percer le système immunitaire humain. Même si le système de biosécurité de votre laboratoire est rigoureux, de telles expériences comportent les risques énormes de voir un virus mortel se répandre parmi la population.

C’est pourquoi un moratoire a été imposé sur les expériences de gain de fonction aux États-Unis. Après le moratoire, l’Alliance EcoHealth a utilisé les fonds du NIH (National Institute of Health) pour aider à relancer les expériences en Chine. Ainsi, pour le meilleur et, dans ce cas, pour le pire, les directions imbriquées s’étendent à la pratique scientifique. Dans ce cas, cela a permis à Trump de blâmer la Chine pour le virus.

Mais nous ne devons pas laisser la source immédiate du virus, que ce soit chez les chauves-souris ou un laboratoire, masquer l’origine des pandémies. L’empiètement de l’agro-industrie, de l’exploitation minière et forestière sur les dernières forêts du monde demeure la cause principale. De telles incursions augmentent l’interface entre la faune sauvage, auparavant isolée, qui abrite des agents pathogènes mortels, et le bétail, et les travailleurs qui s’en occupent.

Ni la recherche de la source immédiate d’un virus, ni la mise au point de vaccins ne permettront de résoudre ce trafic croissant. Aucune étude de l’EcoHealth Alliance, financée par Colgate, qui contribue à la déforestation pour l’huile de palme, ne s’attaquera aux circuits de capitaux qui alimentent le développement et qui produisent ces maladies.

Ainsi, les politiciens et les chercheurs, et pas seulement Trump, sont complices de la dissimulation des origines documentées des pandémies. Un exemple classique est l’émergence de la pandémie de H1N1 en 2009 sous la surveillance d’Obama.

Des sociétés agroalimentaires comme Smithfield, qui représentent une part importante de l’économie américaine, ont profité de l’ALENA pour s’implanter au Mexique, ce qui a conduit de petites exploitations porcines mexicaines à la faillite. Une série d’études génétiques a montré que les exploitations agro-alimentaires américaines et canadiennes ont infecté ces nouvelles fermes industrielles et leurs porcs avec la grippe porcine qui a donné lieu à la pandémie H1N1. C’est pourquoi notre équipe a renommé ce virus « grippe de l’ALENA ». Ce sont les données moléculaires qui ont permis une telle caractérisation.

Comparez cela avec la réponse d’Obama à l’épidémie. Il a fait en sorte que le virus soit appelé par le terme plus générique, « H1N1 », même si la souche pandémique est clairement apparue dans les élevages de porcs américains. Obama a voulu s’assurer que le terme « grippe porcine » n’était pas utilisé parce qu’il souhaitait protéger l’industrie porcine des conséquences d’une mise en cause. Et il a obtenu que l’OMS joue le jeu.

Trump est terrible, mais il n’est certainement pas le premier président à jouer à des jeux politiques avec des pandémies. C’est un projet bipartisan.

Passons maintenant à l’impact de la pandémie aux États-Unis. Elle a frappé de manière disproportionnée la classe ouvrière, en particulier les non-blancs. Cela se produit en même temps que nous avons cette incroyable rébellion multiraciale menée par les Noirs contre la brutalité policière, les meurtres policiers et le racisme en général. Que signifie cette rébellion pour la lutte autour de la santé publique ?

Rob Wallace : La pandémie et la rébellion soulignent le fait que le capitalisme, depuis ses débuts, est un capitalisme racial. Il a été largement fondé sur l’esclavage et le colonialisme racialisés et ses dirigeants ont depuis utilisé le racisme pour diviser et conquérir les travailleurs. Plus spécifiquement, la politique américaine est consacrée à la reconstitution quotidienne de ces origines : esclavage racial, génocide et exploitation.

Les liens entre le racisme et la pandémie devraient être évidents. Les militants de la santé publique ont longtemps décrit la brutalité policière comme la crise de la santé publique. Je comprends leur idée, car la brutalité est une autre exposition de la santé. Mais je pense que ce cadre masque l’intention systémique de la brutalité policière et des meurtre racistes.

Des études récentes montrent qu’il y a beaucoup plus de Noirs tués par la police lorsqu’elle n’est pas armée que de Blancs tués lorsqu’elle est armée. Si vous regardez où ces meurtres policiers sont concentrés, ce sont dans les villes les plus ségréguées, caractérisées par des divisions semblables à l’apartheid dans toutes les formes de vie et de communauté, y compris le logement et l’emploi.

Oui, le racisme a un impact sur la santé publique et il interagit avec la violence policière raciste.

Des hommes politiques de droite comme le député Peter King ont affirmé que le meurtre d’Eric Garner par la police résultait de sa mauvaise santé hylique plutôt que du bras du policier enroulé autour de son cou. C’est un argument, bien sûr, utilisé pour essayer d’accuser la victime de sa propre mort. Donc, c’est des conneries.

En même temps, la brutalité policière et la mauvaise santé sont toutes deux des conséquences de l’oppression raciale sous le capitalisme. Les flics tuent de manière disproportionnée les non-blancs dans le cadre d’une politique raciale pour diviser et vaincre la classe ouvrière. Et le racisme institutionnel et les taux élevés de pauvreté produisent de mauvaises conditions sanitaires.

Parmi les multiples sources de mauvaise santé, les non-blancs souffrent de taux plus élevés de maladies infectieuses et chroniques. Il en va de même pour le COVID. En Géorgie, par exemple, au début de l’épidémie, 80 % des personnes qui se sont rendues dans les hôpitaux pour le COVID étaient noires. C’est probablement pour cette raison que la Géorgie a décidé de rouvrir l’économie.

Un tel racisme est rendu visible au niveau national dans la façon dont Trump a géré la pandémie. Il n’a pas utilisé la loi sur la production de défense pour fabriquer des équipements de protection individuelle. Il a utilisé son pouvoir pour étiqueter les travailleurs du secteur de l’emballage de la viande comme étant essentiels, obligeant ces travailleurs, largement non-blancs, à rester ou à retourner travailler sur la chaîne de production même en cas d’exposition indue au virus mortel.

Lorsque certains ont refusé de retourner dans les usines de l’Iowa, le gouverneur a déclaré que ces travailleurs n’auraient pas droit à l’assurance chômage. En conséquence, des milliers de ces travailleurs dans l’Iowa et dans tout le pays ont été contraints de retourner dans les usines, où plusieurs centaines ont contracté le COVID.

Il y a une longue histoire d’une telle contrainte de l’État sur les travailleurs non-blancs dans l’agroalimentaire qui remonte à l’esclavage racialisé. Comme l’ont affirmé les historiens Walter Johnson et Monica Gilsolfi, les racines de l’agrobusiness se trouvent dans l’esclavage d’avant la guerre. De nombreuses pratiques de travail de l’agriculture esclavagiste ont été reprises de l’époque de Jim Crow jusqu’à aujourd’hui.

Comme l’a dit Malcolm X, les joueurs peuvent changer, mais le jeu reste le même. Nous assistons à une nouvelle itération du capitalisme racial sur lequel le pays a été construit. Il s’exprime de nombreuses façons, de la brutalité policière aux mauvaises conditions sanitaires.

La vie et la mort de George Floyd condensent tout cela. Son espérance de vie a été bloquée par le racisme, la police raciste l’a assassiné, et son autopsie a révélé qu’il avait le COVID-19. Comme le COVID est une maladie circulatoire qui attaque le système vasculaire, de nombreux travailleurs de l’industrie de la viande contraints de retourner au travail par des pratiques de travail racistes et tués par le COVID ont souffert du genre d’étranglement sanguin qui a mis fin à la vie de Floyd.

Compte tenu de votre analyse des racines de la pandémie, il est évident que nous avons besoin d’un changement structurel massif de l’ensemble du système économique mondial. Quel genre de réformes les militants devraient-ils exiger dès maintenant ? De quel type de changement systémique avons-nous besoin pour arrêter les pandémies ?

Rob Wallace : Il existe deux sources principales de pandémie. La première est le pillage des forêts, qui ouvre la société humaine aux virus, notamment ceux des chauves-souris qui abritent le virus Ebola et les coronavirus. Les forêts complexes, denses et isolées ont généralement pour effet d’enfermer les agents pathogènes dans leurs populations hôtes et peut-être dans quelques autres espèces.

Une fois que l’agrobusiness s’attaque à la forêt, plusieurs choses se produisent. La complexité de la forêt qui avait emprisonné les pathogènes est simplifiée. Cela libère les agents pathogènes qui peuvent alors se propager plus facilement à d’autres espèces et plus loin géographiquement.

Les espèces hôtes typiques quittent également leurs anciens habitats. Elles ne s’éteignent pas comme ça. Nombre d’entre elles sont comportementalement plastiques. Lorsque les chauves-souris sont chassées de la forêt, elles trouvent de nouveaux habitats plus proches des populations humaines, ce qui ouvre de nouvelles voies de propagation des virus.

Lorsque les oies voient leurs zones humides détruites le long du golfe du Mexique, elles se nourrissent de céréales dans des fermes industrielles jusqu’au Minnesota. Tout ce grain entraîne une explosion de la population d’oies. Les nouvelles écologies augmentent également les interfaces entre ces hôtes de maladies et les humains, créant ainsi de nouveaux vecteurs de transmission des virus.

Il est évident que nous devons immédiatement cesser d’abattre les forêts. Nous devons mettre fin à l’expulsion des résidents et des petits exploitants indigènes. Ensemble, ils pratiquent le type d’agroécologie qui aide à préserver les forêts et ne violent ces pratiques que lorsqu’ils sont soumis aux pressions capitalistes. Lorsque l’agrobusiness s’installe, il force les populations locales à couper dans la forêt voisine simplement pour survivre.

L’autre grande source de pandémie est l’industrie du bétail et de la volaille. Elle construit des fermes industrielles avec des animaux presque génétiquement identiques pour nourrir les populations urbaines. C’est le moyen le plus efficace de sélectionner les pires agents pathogènes imaginables.

Pensez-y. Lorsque vous mettez 15 000 dindes presque génétiquement identiques dans une étable, vous enlevez tous les pares-feux immunologiques nécessaires pour empêcher les agents pathogènes de se propager. Cela permet de sélectionner les agents pathogènes qui peuvent brûler le plus rapidement à travers ces animaux non protégés. Cela sélectionne les souches les plus mortelles.

L’autre pratique des fermes industrielles qui aggrave le problème est de ne pas permettre aux animaux de se reproduire sur place. L’industrie élève des bêtes aux caractéristiques morphométriques comme une croissance plus rapide chez les porcs et une plus grande poitrine chez les poulets et les dindes. Tout cela est fait par des sociétés d’élevage au niveau des grands-parents des animaux et loin de la ferme.

Cet élevage homogénéise les populations et les rend moins résistantes aux virus. Mais il empêche également les populations de bétail de réagir en temps réel à une maladie en circulation. Supposons qu’une maladie se déclare dans une étable et tue la plupart des animaux, mais que certains survivent. Logiquement, vous prendriez ces animaux résistants et vous les élèveriez pour permettre au troupeau d’acquérir une résistance à jour à l’agent pathogène circulant. Mais sans laisser les animaux se reproduire sur place, vous ne pouvez pas faire cela. Vous avez supprimé la sélection naturelle dans l’agriculture.

Au lieu de cela, l’agroalimentaire s’appuie davantage sur des interventions telles que les vaccins et les antibiotiques qui, souvent, ne fonctionnent pas lors d’une épidémie. Ces produits lucratifs expliquent le chevauchement et la fusion totale entre l’agrobusiness, les sociétés pharmaceutiques et les entreprises chimiques.

Leur activité consiste à concurrencer la nature. Pourquoi ? Parce que c’est rentable. Si elles se débarrassent des sols fertiles, elles peuvent vendre des engrais. Si elles se débarrassent de la capacité des troupeaux à se protéger en développant une immunité en temps réel, elles peuvent vendre des vaccins et des antibiotiques.

C’est une question de géographie. Ce complexe industriel agro-pharmaceutique n’est pas une industrie rurale. C’est une industrie de banlieue. La quasi-totalité de leurs sièges sociaux sont situés dans les banlieues, tandis que les comtés ruraux sont traités comme des zones de sacrifice. C’est le cas tant dans le Nord global que dans le Sud global.

La guerre totale contre les moyens de subsistance ruraux et le contrôle des communautés contribue à expliquer à la fois les maladies de désespoir qui en résultent, comme l’alcoolisme et l’épidémie d’opiacés, ou encore l’élection de Trump en 2016. Dans ces communautés rurales, les agriculteurs vivant sous le néolibéralisme de l’ère Obama ont été contraints de vendre leurs fermes parce qu’ils ne pouvaient pas s’en sortir et qu’ils luttaient pour trouver du travail autour de chez eux.

Les agriculteurs qui ont pu survivre et racheter les fermes de leurs voisins n’ont pas d’argent car la quasi-totalité de leurs revenus est consacrée à l’achat des intrants que leur vend l’agroalimentaire, des antibiotiques aux engrais chimiques. Ainsi, en substance, les revenus des agriculteurs ne circulent pas localement pour reproduire une économie locale mais sont aspirés dans les caisses des entreprises. En conséquence, les comtés ruraux se retrouvent démolis et appauvris.

Ainsi, se protéger contre l’évolution et la propagation d’agents pathogènes mortels est intimement lié au droit des agriculteurs à exercer leur autonomie. De la porte de la ferme à travers tout le paysage rural.

La gauche doit apprendre les spécificités de ces dynamiques dans les zones rurales et aider à soutenir la résistance. Mais nous ne devons pas débarquer et expliquer aux gens ce qu’ils doivent faire. Nous devons les accompagner dans leur combat pour défendre leurs exploitations, repousser les agro-industries et redévelopper des méthodes agricoles écologiquement saines, comme le remplacement des monocultures par des cultures diversifiées et l’élevage d’animaux naturellement divers et résistants.

Nous devons résister aux éco-modernistes de gauche qui parodient notre argumentation en la présentant comme hostile aux travailleurs. Nous devons faire valoir que les travailleurs urbains devraient développer des alliances avec les peuples indigènes et les petits agriculteurs.

Mes collègues et moi expliquons comment en détail dans Dead Epidemiologists. Nous soutenons que notre mouvement devrait viser à aider à surmonter le fossé métabolique qui divise actuellement les ruraux et les urbains au sein des pays et à l’échelle mondiale. Les travailleurs urbains, les petits exploitants et les populations indigènes ont clairement des intérêts communs à remettre en question l’agrobusiness capitaliste.

Nous devons unir ces forces ensemble, et ne pas permettre que nos luttes soient divisées et conquises séparément. Une gauche urbaniste bien trop instruite mais peu expérimentée limite la lutte aux seuls travailleurs urbains alors que nous devrions aider à combler la division entre les populations ouvrières urbaines et rurales.

Nous devons faire ce que Martin Luther King a accompli. Il a réussi à faire en sorte que les États-Unis et le monde entier prennent conscience, comprennent et assimilent comme leur propre histoire ce qui se passe dans les zones rurales de l’Alabama, de la Géorgie et du Mississippi.

Nous devons construire un mouvement qui amène les gens dans les rues de Philadelphie à s’intéresser à ce qui se passe dans le Nebraska rural et vice versa. C’est une façon de surmonter le clivage politique qui reflète également le clivage écologique.

Historiquement, comme nous l’a montré King, nous pouvons le faire aux États-Unis. Nous l’avons également fait au niveau international dans les années 1960, lorsqu’une grande partie du peuple américain s’est identifiée à la lutte du peuple vietnamien pour la libération. Nous devons converger vers ce type de solidarité, au niveau national et mondial.

Nous devons nous orienter davantage vers la création d’alliances avec des personnes avec lesquelles nous ne sommes pas nécessairement d’accord sur tout, mais avec lesquelles nous sommes d’accord sur les luttes immédiates pour tout, des cours d’eau pollués aux sources d’épidémies mortelles, en passant par le logement, la faillite des fermes, la brutalité policière, les luttes sur le lieu de travail, le racisme et la guerre.

Du Sud américain au Sud global, nous devons nous unir dans des luttes concrètes et nous sortir de ce qui semble être une catastrophe après l’autre.

Ce faisant, je pense que nous pouvons récupérer notre droit de réimaginer notre monde. Les gens se rendront compte que nous devons remplacer le mode de civilisation actuel. Il est basé principalement sur le mode de production capitaliste et est la source de presque tous nos problèmes les plus dangereux. Ensemble, nous sommes notre propre voie vers un monde meilleur.

Cet entretien a été initialement publié dans la revue Spectre, qui nous a aimablement autorisé à le reproduire.

  1. Cette notion, difficilement traduisible, a été largement développée par le géographe marxiste David Harvey. On en trouvera une explication ici – NdT

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