Il est presque 10h ce samedi matin, à Saint-Denis. Les rues sont désertes ou presque. Nous sommes au deuxième jour de ce nouveau confinement annoncé par Emmanuel Macron, et mis en place depuis le 29 octobre dernier.

Sous le périphérique, à quelques pas du Stade de France, des centaines de personnes vivent dans un camp de fortune. À l’heure où l’exigence sanitaire est de mise pour tout le territoire, l’insalubrité du lieu frappe aux yeux. Des ordures s’amoncellent sur le sol humide comme autant de points noirs au milieu des tentes. 

Je n’ai pas d’endroit où aller.

Dans ce camp, c’est plusieurs centaines de personnes qui vivent une autre forme de distanciation sociale, au sens propre du terme. Sous la ligne de démarcation qui sépare Paris de sa banlieue, ils ne sont les proches de personne. Sans domicile, la consigne gouvernementale « restez chez vous » face au Covid-19, n’a jamais sonné aussi injuste.

Sous le périphérique, les tentes s’amoncellent, dans un espace où la distanciation sociale n’est pas la priorité. 


Ils vivent dehors, dorment dehors, mangent dehors… Des personnes aussi fragiles physiquement que psychologiquement et qui échappent malgré eux à tout contrôle sanitaire.

Khadja, une jeune maman somalienne de 33 ans, rencontrée devant sa tente en train de préparer du lait pour ses deux enfants âgés de 20 et de 10 mois, confie sa peine et ses inquiétudes. Sa copine Oumu Kalssoum traduit : « Je suis sortie il y a deux semaines de l’hôpital après une opération parce que j’ai des problèmes au niveau de mon cœur. Je sais que le Covid existe. On me l’a rappelé quand j’étais à l’hôpital, mais je n’ai pas d’autre choix que de venir iciJe n’ai pas d’endroit où aller. J’ai peur de la maladie pour mes enfants et pour moi aussi. Je demande vraiment de l’aide. On ne dort même pas la nuit parce qu’il y a des moustiques, des rats et le froid ». Un sentiment d’impuissance se manifeste dans son visage, dans lequel on peut aussi lire une tristesse intense. 

 

Des tentes installées sur sol gras, humide, sur lequel les détritus fleurissent. 

Nos conditions de vie ici sont pires que tout, pires que le coronavirus. 

Derrière la porte de la Chapelle et la porte d’Aubervilliers, ce campement à ciel ouvert est devenu un nouveau terminus de la misère. Une étrange odeur charge la brise. Cette odeur nauséabonde peut causer des évanouissements dangereux. Il y a des enfants, des femmes vieilles et jeunes, des hommes vieux, et des jeunes, des mineurs. Nombreux sont les exilés venus d’Afghanistan, du Soudan et de la Somalie. Ce nouvel épisode de confinement rend visibles ceux que jusque là on ne voulait pas voir. Dans les rues, on ne voit plus qu’eux, les confinés du dehors. 

Certains, comme Abdallah, n’ont plus d’espoir. Ce jeune Afghan de 23 ans est arrivé dans ce campement il y a quatre mois. Après plusieurs tentatives pour rejoindre l’Angleterre sans succès, il souhaite finalement rester en France. Il « s’en fout un peu » du coronavirus.

Pour lui, il y a pire que l’épidémie. « Moi je n’ai pas peur du coronavirus. J’ai déjà fait deux fois le test covid, toujours négatif. Il faut que tu saches que nos conditions de vie ici sont pires que tout, pires que le coronavirus. Pas d’eau portable, pas de toilettes. Il est impossible d’appliquer les mesures de protection. Comment voulez-vous expliquer aux gens qu’il faut se laver les mains régulièrement alors que nous n’avons même pas de savon ? Ici, il n’y a plus d’espoir. Souvent, le soir, il y a des embrouilles. Les gens prennent de la drogue, boivent de l’alcool et se battent. Parce qu’ils sont désespérés. À beaucoup d’entre nous, on nous a refusé l’asile », explique-t-il en anglais. 

On a bien plus peur de mourir de faim que du virus. 

Menace supplémentaire, les associations, les volontaires qui, au printemps, accompagnaient « ceux des tentes », qui s’en occupaient, qui distribuaient des vivres, manquent à l’appel, obéissant comme nous tous aux mesures d’éloignement.

Cette diminution de leurs passages angoisse ces exilés. « On ne sait pas comment faire si on a plus toutes les maraudes quotidiennes des associations. Avec eux au moins, on mangeait, mais aujourd’hui, avec le nouveau confinement, on ne sait plus où on va trouver de la nourriture et les restos sont fermés. Parmi nous, beaucoup de ceux qui bénéficiaient de l’aide d’État n’ont plus de droits parce qu’on a refusé leur demande d’asile. On a bien plus peur de mourir de faim que du virus », explique Mamadou Diakité, Sénégalais de 30 ans sans papier depuis deux ans, qui se débat de campement en campement.

 

Près de 1500 personnes sont installées dans ce camp à Saint-Denis.  

Vous trouvez jusqu’à trois personnes dans une tente.Nous n’avons même pas de masque.

« Vraiment, c’est la misère. Quand il pleut, on ne sait pas quoi faire avec nos tentes. Vous trouvez jusqu’à trois personnes dans une tente. C’est beaucoup. Le sol devient de plus en plus humide et, avec les ordures, il y a des vers. Nous n’avons pas non pas de bains-douches. On est vraiment délaissés. Alors qu’ici, il y a des gens qui sont malades, y a des femmes avec des enfants. Ce n’est pas normal. Il y a forcément le risque d’infection au Covid-19, nous n’avons même pas de masque », continue Mamadou Diakité.

En début d’après-midi, arrivent enfin les équipes du Médical Aid for Refugees and Displaced People spécialisées dans les maraudes médicales. Elles viennent sensibiliser les 1500 personnes qui se trouvent sur le campement aux risques du coronavirus, soigner des gens blessés, repérer et orienter ceux qui sont malades vers les structures de soins adaptées.

« Avant le confinement, ils étaient déjà les oubliés de la société et ils le sont encore plus aujourd’hui. Ce n’est pas une vie que de vivre dans une tente sous le périphérique dans cet état dégradant. Regardez comment ils sont entassés. C’est plus que difficile d’appliquer les mesures de protection. Quand on prend des décisions comme le confinement, il faut réfléchir aux conséquences engendrées sur ces personnes, dans cette situation », argue Youssef El Atrassi, 23 ans, membre de l’organisation.

Les conditions de vies précaires de ses personnes sans-abris, sont alarmantes.  En cette période où on enregistre plus de 1413915 contaminations, et au regard des conditions de surpopulation et d’insalubrité de ces lieux à la porte de la capitale, le gouvernement doit prendre en charge en urgence cette partie de la population qui vit sur le territoire national, cette partie de la population qu’on appelle souvent les invisibles. 

Kab Niang