La part accablante de l’UE dans les 427 milliards de dollars d’évasion fiscale mondiale

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SOURCE : Libération

Des militants de l'ONG Oxfam mettent en scène des riches cachant leur argent dans des paradis fiscaux, le 5 décembre 2017 à proximité de la Commission à Bruxelles.

Des militants de l’ONG Oxfam mettent en scène des riches cachant leur argent dans des paradis fiscaux, le 5 décembre 2017 à proximité de la Commission à Bruxelles.

L’ONG Tax Justice Network révèle dans un rapport inédit que l’évasion fiscale s’élèverait chaque année à 427 milliards de dollars (360 milliards d’euros) dans le monde. Si d’autres experts saluent la qualité du rapport, ils en soulèvent également les limites.

Le chiffre donne le tournis. 427 milliards de dollars (360 milliards d’euros) partiraient chaque année dans les poches d’entreprises et de particuliers au détriment des Etats. C’est ce que révèle ce vendredi l’ONG Tax Justice Network dans un rapport sur l’évasion fiscale dans le mondequ’elle présente comme étant unique en son genre.

Sur les 427 milliards qui échappent à l’impôt, 245 milliards (206 milliards d’euros) sont l’œuvre de sociétés multinationales transférant leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Les 182 milliards (153 milliards d’euros) restant «résultent de l’action d’individus fortunés qui cachent des biens et des revenus non déclarés à l’étranger, hors de portée de l’application de la loi» détaillent-ils. Pour l’économiste Thomas Piketty, «c’est un rapport historique et particulièrement accablant pour les Pays-Bas (36 milliards de dollars de recettes fiscales volées chaque année aux autres pays), le Luxembourg (28 milliards), l’Irlande (16 milliards), et plus généralement pour l’UE», explique-t-il à Libération

Les pays pauvres sont les plus touchés

Si les régions les plus riches du monde perdent la majorité de cet argent (l’Amérique du Nord 95 milliards de dollars et l’Europe 184 milliards), ce sont les pays les moins favorisés qui sont les plus touchés proportionnellement à leur budget national selon l’ONG. «Si l’on prend la valeur relative par rapport au Produit intérieur brut (PIB), les pays les plus pauvres sont évidemment les plus impactés, confirme Eric Vernier, chercheur associé à l’Iris et spécialiste des questions de blanchiment et de paradis fiscaux. En plus, les pays en développement sont confrontés à un problème de corruption ayant un impact important sur leur fiscalité.» Et de préciser que cette corruption n’échappe pas aux pays développés. «Les multinationales exploitent les ressources des régions en développement comme en Afrique mais ne veulent pas payer d’impôts, reprend-il. Résultat : à l’aide de dirigeants corrompus, ils signent des rescrits fiscaux, accords tout à fait légaux que l’on a beaucoup vus dans les Luxleaks notamment, et qui permettent à l’entreprise de négocier un taux d’imposition très bas.»

Et la France dans tout ça ? D’après les auteurs du rapport, l’Hexagone est le quatrième pays le plus affecté par l’évasion fiscale avec une perte annuelle estimée à près de 20 milliards de dollars (16,8 milliards d’euros). Un chiffre «bien en deçà de la réalité» estime Eric Vernier qui, pour donner un ordre d’idée, rappelle que 12 milliards d’euros ont déjà été récupérés l’an dernier par l’Etat français dans la lutte contre la fraude fiscale. «D’autres études montrent plutôt une perte globale allant de 100 à 120 milliards d’euros annuels», souligne le chercheur.

Des données agrégées et anonymisées

Une telle différence s’explique par la méthodologie employée par les auteurs du rapport. Il est important de le préciser : l’ONG considère comme évasion fiscale tout flux financier transféré vers l’étranger en vue d’éviter une imposition, qu’il soit illégal ou non. Pour l’évasion fiscale visant l’impôt sur les sociétés, l’analyse des auteurs s’appuie sur les données agrégées et anonymisées des déclarations des multinationales aux autorités fiscales des 26 membres de l’OCDE publiées en juillet 2020 par l’institution.

Problème : l’agrégation des données ne permet pas de se rendre compte avec précision de l’ampleur de l’évasion dans certains pays. «Il faut que l’on ait les données de tous les pays, pays par pays, qu’elles soient rendues publiques et surtout, qu’elles ne soient ni agrégées ni anonymisées, si l’on veut creuser plus loin», estime Denis Dupré, enseignant chercheur en finance et éthique à l’université de Grenoble-Alpes.

Pour ce qui est de l’évasion fiscale privée, les chercheurs ont utilisé les données des dépôts bancaires transfrontaliers disponibles auprès de la Banque des règlements internationaux (BRI) à partir de 2016 ainsi que des travaux de référence déjà réalisés dans le domaine (Annette Alstadsætera, Niels Johannesenb, Gabriel Zucman (2018) et James S. Henry (2012)). Mais encore une fois, l’exercice revêt quelques limites : «Là aussi l’évasion fiscale est minimisée car certains éléments n’apparaîtront pas, relève Eric Vernier. Les banques qui reçoivent de l’argent sale ne déclarent pas leur centre de dépôt.» 

De même, Thomas Piketty analyse: «Par construction, la méthodologie utilisée ne prend en compte qu’une partie des pertes fiscalesEn particulier, elle ne considère pas les pertes indirectes, c’est-à-dire le fait que les possibilités d’évasion offertes par les paradis fiscaux conduisent des pays comme la France ou l’Allemagne à offrir à ses entreprises et à ses contribuables les plus aisés des possibilités légales d’échapper à l’impôt, à travers diverses niches fiscales et une moindre progressivité fiscale.»

Ce rapport, tout de même très complet au vu des données à disposition, permet ainsi de «réaffirmer l’ordre de grandeur des montants de l’évasion fiscale» selon Denis Dupré. La perte fiscale infligée par certains pays à d’autres est également mise en lumière : «Pourquoi continue-t-on de pratiquer le libre-échange et la libre circulation des capitaux avec des pays qui volent les caisses publiques des pays riches et plus encore des pays pauvres?, s’interroge Thomas Piketty. Sans doute parce que les contribuables les plus aisés en France et en Allemagne bénéficient, eux aussi, de cette opacité et de ce scandaleux dumping fiscal.»

Julie Renson Miquel


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