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SOURCE : Cerveaux non disponibles
Oui, l’adoption de l’article 24 de la loi “Sécurité globale” (qui vient d’être adoptée en première lecture à l’assemblée) aura un seul effet : empêcher la production de preuves de violences policières
Si, pour satisfaire les syndicats policiers d’extrême-droite, le gouvernement défend avec une telle obstination un article de loi considéré comme parfaitement inutile – car il ne sanctionnerait rien qui ne soit déjà réprimé par les lois actuelles – ça ne peut pas être, comme il le prétend, pour créer un cadre juridique protégeant les policiers d’une menace dont ils seraient les cibles, mais plutôt pour fournir un prétexte aux policiers sur le terrain pour empêcher “légalement” la captation des images de leurs actions. En effet, là où aujourd’hui, toute intervention policière visant à empêcher de filmer est illégale, l’article 24 permettra à tout policier d’intervenir pour empêcher une personne de filmer au prétexte qu’il la soupçonne de commettre le délit de “diffuser, dans l’intention manifeste de leur nuire, les images des visages de policiers ou de tout autre élément permettant de les identifier”.
Un article de loi “inutile”…
Selon le texte de loi adopté en première lecture vendredi à l’assemblée nationale, l’article 24 vise à rendre illégal le fait diffuser, dans l’intention de leur nuire, des images montrant le visage non flouté de policier·e·s ou tout autre élément permettant de les identifier. Si l’on regarde dans le passé, à part le cas d’Emilie H. (“Marie Acabland” qui photographiait à leur insu des policiers pour pouvoir les identifier plus tard en cas de violences policières), on peine à trouver des situations où cet article 24 aurait pu s’appliquer concrètement.
Mais surtout, selon Claire Hédon la défenseure des droits et de nombreux juristes, cet article est parfaitement inutile : des lois existent déjà pour sanctionner ce type préjudice (harcèlement, diffamation, menaces…). Et ce sont d’ailleurs précisément ces lois qui ont permis à l’état de condamner lourdement Emilie H. Bref, cet article 24 semble vouloir s’attaquer à un phénomène inexistant ou le cas échéant déjà répréhensible par les lois existantes.
… ardemment désiré par l’extrême-droite…
Alors pourquoi les syndicats policiers les plus radicalisés (aka fascistes) mais néanmoins majoritaires ont-ils exercé une telle pression sur l’exécutif pour faire adopter cet article, au point de contraindre le ministre de l’intérieur G. Darmanin à se ridiculiser en proférant devant la représentation nationale des mensonges tous plus éhontés les uns que les autres (“les policiers ne sont pas masqués”, “aucun policier n’empêche les gens de filmer”, …) ?
… qui scandalise les défenseurs des libertés publiques
Et pourquoi tant de personnes, militants, gilets jaunes, associations de défense des droits humains, l’ONU, etc s’insurgent-ils contre cet article 24 (et toute la loi “Sécurité globale”) ?
Jusqu’à présent, on a le droit de filmer la police…
Pour répondre à ces questions, il faut commencer par s’intéresser à la situation actuelle à deux niveaux : le droit et le respect du droit . Aujourd’hui, toute personne qui filme – ou photographie – la police (à part certaines unités spécifiques) à tout instant et en tous lieux, est dans son droit. Les policier·e·s n’ont donc aucun droit de l’empêcher, de quelque façon que ce soit :
+ lui demander d’arrêter de filmer ou de partir
+ lui demander si elle possède une carte de presse
+ contrôler arbitrairement son identité
+ effacer la carte mémoire de son appareil
pas plus que :
+ la matraquer ou la gazer au visage
+ lui casser son matériel
+ l’interpeller pour des motifs fantaisistes
+ lui envoyer une grenade de désencerclement dans les jambes
+ …
… mais ce droit n’est pas respecté
Bien que ce soit illégal donc, ce type de situations se produit régulièrement – surtout en manifestation mais aussi sur des piquets de grève, des rond-points ou dans la rue – pour empêcher de filmer des arrestations, des violences policières ou tout autre type d’abus de pouvoir. Par crainte de subir ce type d’interventions policières, de nombreuses personnes s’abstiennent déjà de filmer la police. Et tous ceux qui filment malgré tout prennent le risque d’en être victimes.
Pour étouffer l’indignation générale face aux violences policières…
Du côté des policier·e·s, si l’on en croît les discours dithyrambiques à leur égard dans la bouche des responsables politiques, on pourrait imaginer qu’iels pourraient être fier·e·s de rendre visible “l’extrême professionnalisme” de leurs actions. Mais bref, la réalité se permettant parfois de s’écarter des récits officiels et leurs actes ne pouvant pas tous être qualifiés d’héroïques (des milliers de vidéos disponibles sur les réseaux sociaux en attestent), les policier·e·s n’aiment généralement pas beaucoup être filmés – et après tout, personne ne trouve ça très agréable d’être filmé sans y avoir consenti. Mais la république est ainsi faite, la police est fondée au service des citoyens (et financée par le contribuable) et elle agit sous leur contrôle, incluant le droit de filmer.
… l’article 24 tombe à point nommé
Mais d’autre part, les policiers sont fondés à intervenir et interpeller toute personne, dès lors qu’ils la soupçonnent de commettre un délit. Et c’est là qu’apparaît tout l’intérêt de l’article 24 pour les policiers désireux de ne pas être filmés : il servira de prétexte sur mesure pour intervenir au motif de la suspicion de contrevenir à l’article 24 et pour empêcher la captation d’images gênantes. Du coup de matraque au placement en garde à vue, c’est déjà une manière arbitraire de faire payer ceux qui les filment. A terme, cette exposition renforcée à l’arbitraire policier finira par décourager tous ceux qui voudraient filmer leur action, et particulièrement les violences policières et autres abus de pouvoir. Et qu’importe si au final, personne ne sera condamné au nom de cet article 24, les violences policières auront “disparu”. Et bientôt, elles n’auront jamais existé. Avec la généralisation de la vidéosurveillance et autres dispositions liberticides de la loi “Sécurité globale”, l’état policier a un boulevard.