Mobilisés contre le risque de coup d’État en Thaïlande

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SOURCE : NPA (Pierre Rousset)

Pierre Rousset
Hebdo L’Anticapitaliste – 546 (03/12/2020)

Le roi Rama X renforce sa mainmise sur un pan des forces armées. Le mouvement pro-démocratie cible cette garde prétorienne et se prépare à l’éventualité d’un coup d’État.

Le mouvement pro-démocratie thaïlandais poursuit très systématiquement son combat. Le 25 novembre, il manifestait devant la banque où se trouvent les avoirs de la Couronne (la Siam Commercial Bank), un bien public géré par le ministère des Finances que le roi Rama X a privatisé à son profit. Le 27 novembre, le mouvement a mené au cœur de Bangkok des exercices anti-coup d’État et rediffusé un manuel de résistance publié initialement en 2014. Le 30 novembre, il s’est rassemblé devant la caserne de l’un des régiments attachés à la ­protection personnelle du monarque.

Qui détient le pouvoir ?

Qui de la monarchie ou des militaires détient la réalité du pouvoir en Thaïlande ? La réponse à cette question est disputée. Est-ce le soft power du roi (et son immense fortune) ou, plus visible, la capacité de l’armée à façonner les institutions à son avantage ? Quoi qu’il en soit, l’équilibre des pouvoirs dont dépend la stabilité du royaume semble aujourd’hui sous tension.

Le roi est officiellement à la tête des forces armées, ce qui ne veut pas dire qu’il les contrôle effectivement. Rama IX (Bhumibol Adulyadej), père de Rama X (Maha Vajiralongkorn), a influencé, directement ou indirectement, la promotion d’officiers supérieurs. Son fils cherche de toute évidence à étendre qualitativement ce pouvoir, modifiant en sa faveur le rapport des forces au sein même du régime.

Rama X a changé d’autorité, en 2017, le statut de trois agences gouvernementales, les faisant sortir du droit commun. Elles obéissent depuis à « son bon plaisir ». Cela inclut le Commandement de la sécurité royale, en charge de tout ce qui concerne la protection et la glorification de la famille royale ou de ses collaborateurs. Ancien pilote de chasse, Maha Vajiralongkorn appartient à l’armée de l’air, mais cette dernière, mal équipée, pèse peu. C’est l’infanterie qui compte. Alors, comme il en a décidé, deux régiments d’infanterie basés à Bangkok (et qui ont été les forces vives de précédents coups d’État) n’obéissent dorénavant qu’à lui. Il a, par ailleurs, placé ses proches (dont la reine Suthida) à la tête de la Garde royale. Ce faisant, Rama X prend le risque de fracturer l’armée qui considère qu’elle doit être, elle-même, la garante de la sécurité royale et de l’ordre établi.

L’éventualité d’un putsch

Le pouvoir use à nouveau de l’arme juridique de dissuasion massive qu’est le « crime » de lèse-majesté (qui couvre toute la famille royale et la régence) à l’encontre des figures de proue du mouvement pro-démocratie, dont 15 sont à ce jour et à ce titre mis en accusation. Cette loi peut coûter quinze ans de prison et plusieurs chefs d’inculpation à l’encontre d’un même accusé peuvent être cumulés.

Le mouvement démocratique se prépare à l’éventualité d’un putsch. En cas d’urgence, il appelle à engager immédiatement des grèves et des grèves scolaires ; à bloquer les artères avec des véhicules vides ou en manifestant ; à exprimer sa volonté de dénoncer toute attaque contre la Constitution et la démocratie. Lors du rassemblement du 25 novembre, les orateurEs (habillés en canards jaunes, leur symbole) se sont succédé à la tribune, appelant notamment à transformer la résistance en rébellion. « En 2014, un coup s’est produit. Si la population s’était mobilisée en masse, Prayut [général et Premier ministre] n’aurait pas pu rester [au pouvoir]. »

Le manuel de résistance à un coup d’État, publié en 2014 et rediffusé aujourd’hui, propose aussi d’organiser une grève générale d’une semaine ; de refuser toute forme de coopération avec la junte ; d’inviter les soldats à se ranger du côté du peuple ; de refuser de payer ses impôts ; de retirer son argent des banques…

Le régime thaïlandais est en crise. Une crise que Rama X ne fait qu’attiser en cherchant à rétablir ce qui ressemble de plus en plus à une monarchie absolue, quitte à aggraver le fossé entre des institutions archaïques et une société en pleine évolution.

Comme il est de règle en cas d’une crise globale de régime, de multiples conflits croisés se jouent et interfèrent. Au sein des élites dont les enfants manifestent. Au sein et entre les corps d’armée ou entre promotions d’officiers, ainsi qu’entre militaires et famille royale. Entre une jeunesse qui ne supporte plus l’ordre moral rigide auquel elle se heurte, à l’usine comme à l’école, dans la rue comme en famille, et les conservateurs.

Face à une situation dont l’évolution est assez imprévisible, le mouvement pro-démocratie cherche à se préparer à toute éventualité.


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