Entre crise politique et crise de régime

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SOURCE : Le fil des communs

Par les temps qui courent, il n’est pas si fréquent pour une femme ou un homme de gauche de recevoir une bonne nouvelle politique. C’est pourtant ce qui s’est passé samedi dernier avec le puissant mouvement de rejet de la loi dite « sécurité globale ». Que des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour défendre des libertés fondamentales – en l’occurrence la liberté d’expression et celle d’informer – est un événement très encourageant et hautement significatif..

Il montre d’abord de façon spectaculaire que le peuple de gauche ne s’est pas évaporé, et qu’il n’a pas non plus sombré dans l’apathie. Il est toujours là, il est même aux aguets et prêt à se mettre en mouvement dès lors qu’il lui apparaît que c’est non seulement nécessaire, mais aussi utile. C’est à dire quand il sent qu’il peut réussir à arracher quelque chose face au rouleau compresseur néolibéral, comme avec le mouvement des gilets jaunes ou les manifestations contre la réforme des retraites. L’espoir politique : c’est là qu’est le problème.

Si tant de femmes et d’hommes de gauche s’abstiennent ou se dispersent dans des votes supposés de moindre mal, ce n’est pas que leurs aspirations à la liberté, la démocratie, l’égalité ou la justice sociale auraient disparu. C’est qu’elles et ils ont le pus grand mal à percevoir des raisons d’espérer du côté des forces politiques de gauche et de l’écologie. Certes, il y a bel et bien une crise de la gauche – et l’idée de gauche ne peut aujourd’hui qu’inclure celle d’écologie. Elle pourrait même finir par déboucher sur une vraie catastrophe si cette gauche écologiste persistait dans son incapacité à se réinventer. Mais cette capacité de mobilisation, comme aussi les près de 20% de JL. Mélenchon à la présidentielle de 2017, montrent que le peuple de gauche répond (encore) présent quand un projet ou une lutte lui paraît en valoir la peine.

La seconde bonne nouvelle est que, manifestement, rien ne va plus comme avant au royaume enchanté d’E. Macron. Le jeune homme avait réussi son holdup politique, en 2017, en faisant croire à une partie de la droite et une partie de la gauche qu’il pouvait mener une politique « et de droite et de gauche ». Comme si on pouvait « en même temps » favoriser les superprofits des multinationales et lutter contre les inégalités et la pauvreté, ou mater les mouvements sociaux et respecter les libertés publiques. Et bien la place de la République noire de monde lui répond clairement que c’est ou l’un, ou l’autre.

Et comme tout le monde voit bien désormais que son « en même temps » était une supercherie, on passe de la crise sociale (ou « sociétale », comme on dit maintenant) à la crise politique. La gauche, heureusement rassemblée dans cette histoire, crie à l’unisson au scandale de l’article 24 de la loi qui prétend interdire de montrer les violences policières, et même de la loi tout entière à juste titre qualifiée de liberticide. Et la droite, en embuscade, dénonce en sens contraire les renoncements laxistes dont elle soupçonne le pouvoir macronien à la recherche d’une issue. Quant à la majorité qui le soutient, composée de gens venant de la droite et de la gauche, elle se lézarde donc un peu plus.

Mais la crise politique cache elle-même une crise de régime dont la hausse continue de l’abstention, la décrédibilisation de la parole publique ou le rejet massif du personnel et même des institutions politiques sont d’autres signes patents. Car le holdup de Macron n’a été possible qu’en raison de la double incapacité de la droite (minée par le très haut niveau atteint par le RN) et de la gauche social-démocrate (ruinée par ses renoncements), à continuer de gouverner en alternance. Le fait que la solution acrobatique imaginée en 2017 révèle à son tour son extrême fragilité montre que c’est bien le divorce entre le pays et le système politique qui est le véritable fond de la crise, et rend le pays ingouvernable.

C’est une crise aigue, sans doute plus encore que celle qui, en 1958, a accompagné la fin de la colonisation algérienne, le retour de De Gaulle au pouvoir et l’avènement de la 5ème République. Car les enjeux de cette crise sont à la fois considérables et imbriqués les uns dans les autres : affronter la crise écologique, rompre avec le productivisme et le néolibéralisme, redonner sens à la démocratie, transformer l’Union européenne, infléchir le cours de la mondialisation. Sortir de cette crise, au total, suppose donc de s’engager concrètement dans une transition post-capitaliste. C’est la tâche historique des forces de la gauche et de l’écologie de se reconstruire pour affronter ces défis et d’y apporter des réponses crédibles. Ce qui suppose à la fois qu’elle élabore un projet politique à la hauteur de la situation et, condition sine qua non, qu’elle réussisse à se rassembler pour le porter e semble. C’est l’un des principaux enjeux des élections de 2022.


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