Procès en appel de Julie, le verdict de la honte

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SOURCE : Blog de Christine Delphy

Ce jeudi 12 novembre fut très certainement un jour noir pour les victimes de viol en France : la Chambre d’Instruction de Versailles a rendu son délibéré au sujet de l’appel de Julie (pour rappel, on en parlait déjà ici et ). Celle-ci avait fait appel d’une ordonnance du juge d’instruction requalifiant en « atteinte sexuelle » les viols en réunion commis par 20 pompiers de Paris, qu’elle a subis entre 13 et 15 ans. Or, c’est la qualification des faits qui détermine l’orientation de l’affaire dans la chaîne pénale : le régime applicable à l’infraction, les délais de prescription, les pénalités encourues ainsi que l’orientation pénale. Cette requalification a eu pour conséquence directe que les viols dont Julie a été victime soient seulement considérés comme un délit, et non un crime (1).

Par cette ordonnance, le juge avait également refusé de mettre en examen les 20 violeurs pédocriminelsdont 18 avaient pourtant reconnu avoir eu des « relations sexuelles » avec elle. La Chambre d’Instruction de Versailles n’a opposé qu’une fin de non-recevoir à Julie et a cyniquement rejeté son appel. Ce jugement révèle un mépris total de la justice à l’égard des victimes de viol, des droits des enfants et des femmes, de leurs familles et des associations qui luttent sans relâche à leurs côtés. Une fois de plus, la justice s’est montrée incompétente et impitoyable envers la victime, ce jugement est une violence morale supplémentaire contre Julie qui a non seulement vécu ces viols, mais en a aussi subi les conséquences à long terme, conséquences qui ont été dévastatrices pour elle. Julie s’était engagée dans une démarche de vérité et de dignité auprès de la justice, cette démarche s’est cruellement retournée contre elle, dans un mouvement pervers, mais si récurrent, d’inversion de la culpabilité et de non reconnaissance des préjudices subis.

Le procès d’Aix au cours duquel Gisèle Halimi avait plaidé la cause de deux victimes de viol avait abouti à la loi du 23 décembre 1980, reconnaissant le viol comme un crime et non plus comme un simple délit, avancée majeure pour les droits des femmes (2). C’est le mouvement féministe qui a été à l’initiative du changement législatif en matière de répression du viol (3) et depuis les années 70, toujours sous l’influence du mouvement des femmes, on observe une tendance à la dénonciation croissante du viol. Les femmes rapportent plus qu’avant les agressions sexuelles dont elles sont victimes, cela se manifeste notamment à la lecture des enquêtes de victimation.

Il est aussi à noter qu’il existe une tendance à la judiciarisation croissante, ce qui fait du viol le crime le plus jugé en cour d’assises, les plaintes pour viol se sont multipliées en 40 ans (malgré une baisse de 40% des condamnations depuis 10 ans) (4). Néanmoins, un fort décalage persiste entre les viols rapportés lors des enquêtes de victimation et les faits connus de la justice, les violences sexuelles ont encore un important potentiel de judiciarisation, la justice ignorant encore la majorité des viols commis (2).

Si on s’en tient aux chiffres de 2018, le décalage entre le nombre de plaintes pour viol auprès de la justice et les viols évoqués lors des enquêtes de victimation laisse à penser que la sous-déclaration reste la règle en France. Il faut ajouter à cela que pour 100 victimes de viol adultes connues de la justice, on dénombre un peu moins de 7 condamnations de ce type d’infraction, et ce sans tenir compte des nombreux viols correctionnalisés (5). Si le viol est officiellement considéré en France comme un crime, les violeurs bénéficient toujours d’une impunité de fait. La situation est d’ailleurs encore pire pour les mineur.e.s (on en parle dans cet article).

De plus, le faible taux de condamnation et la lourdeur des procédures dissuadent les victimes de s’engager dans une bataille judiciaire. Le mouvement de libération de la parole, de dénonciation et de judiciarisation qui s’est fait sous l’impulsion du mouvement des femmes se heurte à une inertie de la justice, le système judiciaire reste sourd à la demande des femmes d’être dûment protégées.

À l’heure actuelle en France, pour être reconnu le viol doit juridiquement être caractérisé par une pénétration avec exercice de la « violence, menace, contrainte ou surprise » par l’agresseur. Dans cette conceptualisation du viol provenant du droit du 19ème siècle, le non consentement des victimes n’est même pas envisagé : enfants ou adultes, elles doivent prouver qu’il y a eu l’exercice d’une violence, d’une menace, d’une contrainte ou d’une surprise lors des procès pour viol. Cette législation équivaut à une présomption de consentement vis-à-vis des femmes : elles sont légalement supposées consentir aux relations sexuelles, sauf à pouvoir prouver le contraire ; dans ce système de pensée, le législateur adopte le point de vue de l’agresseur, et ainsi le protège. Or pour quiconque connaît un tant soit peu la réalité des violences sexuelles, il est évident que la victime d’un viol peut être sidérée, dans l’incapacité de se défendre, de résister. De plus, 91% des victimes de viol connaissent leur agresseur (6), qui est la plupart du temps un membre de leur entourage, il n’a donc pas forcément besoin de recourir à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise pour commettre des violences sexuelles.

Le droit pénal français reste un droit de l’abus, un droit qui garantit aux hommes l’accès au corps des femmes et des enfant.e.s, il sanctionne la méthode employée par l’agresseur pour violer, pas le viol en lui-même ; il reste fidèle à l’imagerie populaire misogyne : une vraie victime est une victime qui résiste physiquement.

Pourtant, d’autres modèles législatifs existent : au Canada par exemple, il est admis par le droit que ne rien faire ou ne rien dire n’équivaut pas à consentir à un rapport sexuel, l’initiateur de l’activité sexuelle a la responsabilité de s’assurer du consentement de l’autre. En cas de procès pour viol, il devra prouver que le consentement a bien été recueilli et que celui-ci n’était pas vicié, ce qui permet de faire peser la charge de la preuve sur l’agresseur (3).

Au regard des avancées législatives qui se déroulent ailleurs dans le monde, la législation française en matière de violences sexuelles paraît terriblement rétrograde et archaïque. Elle a clairement montré dans l’affaire de Julie son inefficacité, son caractère inepte et son incapacité à protéger les femmes et les enfants. Ce constat appelle un changement législatif qui ne ferait plus peser la charge de la preuve sur la victime, et qui établirait clairement, enfin, qu’un.e enfant.e ne peut pas consentir à une relation sexuelle avec un adulte, notamment par l’instauration d’un seuil légal d’âge en dessous duquel toute pénétration sexuelle sera jugée comme un viol. 

Christine

http://feministoclic.olf.site/proces-en-appel-de-julie-le-verdict-de-la-honte/

Bibliographie

1. Le traitement pénal des viols les affaires classées par le parquet, Véronique Le Goaziou, viol, 2019

2. Les viols aux assises : regards sur un mouvement de judiciarisation, Véronique Le Goaziou, Pédone, archives de politique criminelle, 2012, n°34, p93-101.

3. Viol et consentement en droit pénal français, réflexions à partir du droit pénal canadien, Catherine Le Magueresse, Pédone, archives de politique criminelle, 2012, n°34, p223-240.

4. https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/09/14/en-dix-ans-le-nombre-de-personnes-condamnees-pour-viol-a-chute-de-40_5354839_1653578.html

5.  https://www.liberation.fr/checknews/2020/07/22/pour-100-viols-et-tentatives-une-seule-condamnation-dupond-moretti-a-t-il-raison-de-douter-de-ce-chi_1794833#

6. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b0721_rapport-information#P122_5245


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