Population jeune, solidarité, mémoire des épidémies : pourquoi le Covid-19 touche moins le continent africain

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SOURCE : Marianne

Au début de l’épidémie, l’OMS annonçait une catastrophe pour le continent, pourtant jusqu’ici relativement épargné par le virus. Pour Marianne, le chercheur du CNRS Yannick Jaffré analyse les premières hypothèses qui expliqueraient sa résilience.

Population jeune, solidarité, mémoire des épidémies : pourquoi le Covid-19 touche moins le continent africain

Le cataclysme annoncé par l’Organisation mondiale de la santé ne s’est pas produit. Alors que le continent africain représente 17 % de la population mondiale, il ne compte jusqu’ici que 4 % des cas de Covid-19. Pour l’heure, les soixante-trois pays dénombrent près de 35.000 décès, quand la seule France en comptabilise 53.816. “L’Afrique n’a pas connu une propagation exponentielle (du) Covid-19 comme beaucoup le craignaient au départ”, a observé fin septembre Matshidiso Moeti, la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique.

Comment l’expliquer alors que tous les autres continents ont été touchés ? D’après le chercheur au CNRS Yannick Jaffré, sa résilience est le résultat d’une conjugaison de plusieurs facteurs. Entretien.

Marianne : Le continent enregistre très peu de cas graves ainsi qu’un faible taux de mortalité depuis mars. Les premières hypothèses pour l’expliquer pointaient la jeunesse de la population ainsi que le climat. Est-ce toujours le cas ?

Yannick Jaffré : Le facteur âge semble en effet extrêmement important. Puisque l’on sait aujourd’hui que le virus touche plus souvent les personnes âgées. Or à l’échelle du continent, les personnes ayant plus de 65 ans représentent à peine plus de 5 % de la population (contre près de 20 % dans les pays occidentaux, N.D.L.R.). On a donc des personnes qui peuvent être porteuses du Covid mais asymptomatiques. On peut aussi supposer que les personnes âgées sur le continent ont sans doute un matériel génétique plus solide du fait d’avoir affronté de nombreuses situations infectieuses au cours de leur vie.

En ce qui concerne le climat, les épisodes de froid favorisent de multiples manières le développement du virus. Mais ces hypothèses ne peuvent suffire, puisqu’au Brésil par exemple, on a aussi une population jeune et une chaleur régulière, mais on a malgré tout un développement du virus prégnant.

Certains experts intègrent aussi le facteur “préparation aux épidémies”. Qu’en dîtes-vous ?

Je crois que l’efficacité technique des pays du continent est évidente. Les mesures de restrictions pour contenir l’épidémie ont été prises très tôt et de façon très rapide. Dès lors que le virus a commencé à se répandre sur le globe, la première mesure de beaucoup de pays africains a été de fermer les frontières.

Par ailleurs, je pense qu’il y a la certitude en Afrique que l’épidémie est possible et la vie fragile. Il y a une mémoire des épidémies de la part des Africains : les gens sont habitués à cette inquiétude et celle-ci semble produire des conduites adaptées au risque. Il ne faut pas oublier que l’Afrique est régulièrement confronté aux épidémies (Rougeole, HIV, Ebola). Alors qu’en France et globalement dans les pays du Nord, on vit dans un espace qui ne connaît plus les épidémies, ce qui fait qu’on a peut-être plus de mal à les appréhender. Il en va de même pour les services hospitaliers, quand on a été confronté à Ebola, on a sans doute moins de craintes à affronter le Covid-19.

Néanmoins, 80 % des cas se concentrent dans une poignée de pays, notamment en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie ou encore en Libye. Comment l’expliquer ?

Dans ces pays, la saisonnalité serait incriminée. C’est pour l’instant la seule hypothèse. En effet, le pic de contaminations en Afrique du Sud correspond à l’hiver austral dans le pays et donc à une baisse des températures. Il en va de même pour les pays du Maghreb. C’est pour ça qu’il est important de prendre en compte plusieurs facteurs pour expliquer pourquoi le continent est davantage épargné. Il faut se demander comment se conjuguent ces différents facteurs. On n’a pas un facteur à lui seul qui pourrait expliquer la situation.

On peut avoir à la fois un climat chaud, une population jeune, un mode de vie en milieu extérieur (qui freine la progression de l’épidémie) mais aussi une habitude et une intelligence des pouvoirs publics à gérer les épidémies. Ce faisceau de variables créer une sorte de densité protectrice en Afrique, alors que dans d’autres endroits, comme au Brésil, pour prendre toujours le même exemple, il peut y avoir un climat chaud sans toutes les autres variables énoncées.

Y a-t-il une possibilité que le nombre de cas sur le continent soit sous-estimé ?

Dans un sens oui, puisqu’il y a moins de tests donc moins de données quant aux nombres de personnes touchées. C’est évident. Le manque de tests ne peut pas objectiver le nombre de personnes contaminées. Mais en ce qui concerne le faciès de l’épidémie, ce qui est très visible c’est qu’il y a peu personnes hospitalisées pour Covid dans les établissements de santé. Il n’y a pas non plus de surmortalité constatée. Alors que pour des épidémies comme le Choléra ou Ebola, c’est très visible, même dans les campagnes.

Au Sénégal, le directeur de SOS médecin a récemment expliqué qu’il pourrait être question d’immunité collective. Est-ce possible d’après vous ?

Ce n’est pas prouvé mais l’hypothèse est intéressante. En réalité, il y a deux possibilités. La première, c’est celle d’une immunité collective dite “croisée”. La théorie repose sur le fait que la population en général aurait déjà croisé le chemin d’autres pathologies plus ou moins similaires. Il y aurait ainsi une sorte de mémoire génétique.

L’autre hypothèse, c’est que la population étant jeune, de nombreuses personnes auraient été asymptomatiques, et cela aurait créé une sorte d’immunité naturelle. Celle dont voulaient se prémunir certains pays européens au début de la crise (Pays-Bas et Royaume Uni par exemple, N.D.L.R.) en laissant le virus se propager dans la population.

Le fait que les politiques et autorités sanitaires de différents pays africains travaillent constamment dans ce qu’ils appellent “l’hypothèse pessimiste”, peut-il avoir été favorable à la lutte contre l’épidémie ?

L’hypothèse pessimiste a été construite avant tout par un regard mondial porté sur le continent. Quand on parle du continent, certains qualificatifs apparaissent presque automatiquement dans les débats, comme celui de la pauvreté, et j’en passe. Dès le mois de mars, les ONG se sont inquiétées pour les pays africains, prédisant une catastrophe si le virus venait à s’y développer. Je crois que le fait de toujours avoir été dans cette posture pessimiste a peut-être contribué à épargner le continent. Pendant que nous, en Europe, on se disait qu’on avait un très bon système de santé…

J’ajouterais aussi que la gestion de l’épidémie a plutôt été transparente dans la plupart des pays. Certains ont nié l’épidémie, mais il s’agit d’une minorité. Prenez l’exemple des masques, les gouvernements n’en ont pas promis. Néanmoins ils n’ont pas dit non plus qu’ils étaient inutiles pour se protéger du virus. Ainsi, les populations n’ont pas forcément attendu de leurs dirigeants qu’ils leur en fournissent. Des mécanismes de solidarité pour fabriquer des masques, que l’on a vus en France aussi, sont apparus très vite. Encore une fois, je crois qu’il n’y a pas qu’une seule explication au fait que l’Afrique n’est pas été tant touchée. Cela dépend de plusieurs facteurs.


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