La Loi sur la Recherche française : le Gouvernement poursuit sa croisade néolibérale

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SOURCE : Les crises

Le projet de modernisation de la recherche française s’appuie sur le modèle américain. Il favorise les financements privés, une logique commerciale et compétitive, suscitant de vives critiques de la communauté scientifique.

par Amelia Veitch

Le modèle universitaire américain séduit par son prestige. Est-il transposable en France ? Frédérique Vidal, ministre qui a mené la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) jusqu’à son adoption finale le 20 novembre, semble penser que oui. En important des mesures du système universitaire anglo-saxon, la LPR ambitionne de « porter la France à la pointe de la recherche scientifique mondiale pour relever les défis de demain » et à « améliorer l’attractivité des métiers scientifiques ».

En premier lieu, la LPR prévoit d’augmenter le budget de la recherche, afin qu’il atteigne 3% du PIB et ainsi « rattraper le retard de la France ». Plutôt que de miser sur les dotations publiques des laboratoires, la loi favorise les financements par « appels à projets ». Ces derniers sont le mode de financement dominant aux États-Unis : ils prennent la forme de dons ou de contrats avec des structures privées, publiques, et les nombreuses fondations philanthropiques.

« Une défiscalisation des revenus qui financent la recherche garantit le succès économique du système » explique Romain Huret, membre du Centre d’études nord-américaines. Dans ce contexte, les universitaires bénéficient à la fois d’un cadre de recherche exceptionnel ainsi que de salaires très valorisants.

Si les conditions sont nettement moins attractives en France, la recherche par projet inquiète. Selon les Économistes Atterrés, ce genre de subvention ponctuelle a deux défauts : les chercheurs passeraient plus de temps à séduire les potentiels financeurs plutôt que de se consacrer à la recherche en elle-même; et la sélection des projets serait soumise à des « effets de mode ». Les thématiques les plus médiatisées et orientées vers les intérêts du secteur privé seraient valorisées, plutôt que celles ayant le plus d’intérêt scientifique.

Pour François Garçon, historien et maître de conférence à Paris 1, admirateur du modèle anglo-saxon, « la concurrence est un excellent moyen de savoir qui sont de bons chercheurs ». Or, le comité d’éthique du CNRS avertit que la compétition entre les laboratoires pour obtenir des financements serait « propice au développement de méconduites et fraudes telles que le plagiat et la falsification des résultats ».

Ensuite, la LPR promet l’amélioration des salaires des universitaires, nettement inférieurs à ceux de leurs collègues américains. En revanche, l’accès au statut d’enseignant-chercheur, un véritable chemin de croix actuellement, ne sera pas facilité. Deux dispositifs « facultatifs », précise le texte, sont créés : les CDI de mission, qui prendraient fin avec le projet de recherche, et les chaires de professeur junior. Ces derniers sont l’équivalent des tenures tracks américaines : un dispositif de pré-titularisation sous conditions.

Dans une tribune au Monde, cinq professeurs du Collège de France expliquent qu’il s’agit d’une « norme internationale largement répandue » qui permet aux jeunes chercheurs « d’entrer dans la carrière académique après avoir fait la preuve de leur autonomie ». Déjà mise en place à Sciences Po, la tenure track est perçue comme étant un dispositif d’évaluation stimulant. Mais l’Association Française de Sociologie dénonce la « fétichisation dérisoire des systèmes de recrutement en vigueur à l’étranger, expurgés des limites pourtant bien réelles (standardisation sociale et scolaire des profils des étudiants, émergence d’une anxiété généralisée chez les doctorants et les universitaires en tenure tracks) et déjà bien connues ».

Un « réseau Science et Médias » chargé des liens entre la recherche et la société, sera également créé, sur le modèle du Science Media Center britannique. Celui-ci est pourtant critiqué dans The Guardian pour agir comme une agence de communication, voir un groupe de lobbyiste, plutôt qu’une source d’information fiable.

Malgré la contestation déjà forte contre la philosophie néolibérale du texte, le gouvernement a glissé en dernière lecture deux amendements faisant polémique. L’un, sécuritaire, sanctionne durement les intrusions en réunion dans les universités – réprimant ainsi tout mouvement contestataire. L’autre permet l’embauche de professeurs sans l’exigence de qualification délivrée par le Conseil National des Universités (CNU). Son fonctionnement collégial attaqué, celui-ci a riposté en demandant la démission de la ministre.

Inquiets de la précarisation du personnel, les opposants à la LPR auraient préféré l’embauche massive de permanents, afin de mener de la recherche de fond dans un contexte de sérénité de l’emploi. Pour Gabriel Marais, chercheur au CNRS, le modèle américain est à « bout de souffle ». Il serait dommage, selon lui, de mettre de côté les spécificités de la recherche française, qui font également des envieux chez les chercheurs étrangers : démocratie scientifique, liberté de revendiquer, statut stable des personnels, valorisation de l’autonomie. La créativité scientifique serait davantage stimulée par une organisation « positive » plutôt que par « l’hyper-compétitivité » que favorise la LPR.

Dans un contexte sanitaire qui souligne plus que jamais la nécessité, pour la science, de se mettre au service de la société, la réforme est vue comme mettant la recherche aux petits soins du secteur privé. Le seul recours réside désormais dans la saisine du Conseil constitutionnel.

Références :

Dossier législatif LPR : https://www.vie-publique.fr/loi/275347-loi-de-programmation-de-larecherche-2021-2030-lppr

Romain Huret, « Un modèle américain ? », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 45 | 2007, 127-134.

Note des Economistes Atterrés : http://atterres.org/article/loi-de-programmation-dela-recherche-une-loi-de-pr%C3%A9carisation

Avis du Comité d’Ethique du CNRS (COMETS) sur la LPR : https://comiteethique.cnrs.fr/avis-comets-lppr/

Tribune au Monde pour la LPR : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/21/laloi-de-programmation-pluriannuelle-permettra-a-la-france-de-rester-un-phare-de-la-recherche-europeenne_6052987_3232.html

Note de l’Association Française de Sociologie : https://afs-socio.fr/gouverner-par-lesinegalites/

Le Science Media Center par The Guardian : https://www.theguardian.com/science/2002/jun/02/gm.observersciencepages

Gabriel Marais sur la LPR : https://blogs.mediapart.fr/gmarais/blog/181120/loi-pourla-recherche-lpr-consequences-pour-la-qualite-de-vie-au-travail


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