En coulisses, le gouvernement a dézingué des propositions de la Convention citoyenne pour le climat

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SOURCE : Reporterre

Côté scène, l’exécutif cajole la Convention citoyenne pour le climat. Côté coulisses, la haute administration s’est appliquée, comme le montre un document interne que publie Reporterre, à démonter une proposition forte des conventionnels : la redevance sur les engrais azotés, forts émetteurs de gaz à effet de serre, a été secrètement décrédibilisée.

Emmanuel Macron va tenter une ultime opération de séduction. Ce lundi 14 décembre, il doit rencontrer les membres de la Convention citoyenne pour le climat afin de leur présenter le contenu qu’il envisage pour le projet de loi issu de leurs propositions. Le texte a du plomb dans l’aile depuis sa présentation la semaine dernière, car nombre de propositions ont été détricotées, réécrites ou complètement vidées de leur sens. La fronde gagne du terrain et plusieurs citoyens et citoyennes ont même décidé de boycotter le processus de concertation.

Sans aucun doute, le président de la République essayera lundi de les ramener dans le rang, usant de son talent de comédien, pour se présenter à nouveau comme un champion du climat. Il n’hésitera pas à saluer l’investissement des citoyens et appellera, certainement, à continuer le travail ensemble coûte que coûte.

Un document interne que s’est procuré Reporterre montre pourtant que le gouvernement n’a, en réalité, aucune intention de suivre les propositions exigeantes de la Convention citoyenne. En parallèle de la concertation, l’exécutif a mené un véritable travail de sape, mobilisant tout au long de l’automne son administration pour démonter les mesures des citoyens. Sans jamais les en informer.

« C’est à la limite du sabotage »

Grâce aux Amis de la Terre, Reporterre a trouvé une note du ministère de l’Agriculture écrite par la DGPE (Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises) qui porte sur la proposition d’une redevance sur les engrais azotés.

Pour rappel, la mise en place d’une telle redevance avait été plébiscitée par la Convention citoyenne. Les 150 citoyens y voyaient à juste titre un levier indispensable pour limiter la pollution dans le monde agricole. L’application d’engrais azotés produit, en effet, du protoxyde d’azote, une substance au pouvoir réchauffant 265 fois supérieur au CO2 et dont la progression rapide menace l’accord de de Paris.

Cela n’émeut guère l’administration centrale. Dans la note que Reporterre publie, la DGPE déconseille au ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, de « donner suite à cette proposition à un niveau franco-français ». Elle critique « le manque de pertinence de l’approche proposée » et « le risque élevé de perte de compétitivité pour l’agriculture française vis-à-vis de ses concurrents européens » et « son faible rendement en termes de bénéfices environnementaux ». Dans le document, pour marquer visuellement leurs désaccords, les auteurs ont même rayé d’un trait la mesure des citoyens et des citoyennes.

Cette vision semble avoir obtenu gain de cause. La semaine dernière, Julien Denormandie a renvoyé la proposition de la Convention aux calendes grecques et expliqué aux citoyens que la redevance pourrait être mise en place à partir… de 2024. « C’est à la limite du sabotage », se sont écriés des membres de la Convention lors de la réunion. « Les ministres ne sont pas francs, s’emporte Guy Kulitza, interrogé par ReporterreIls ont travesti nos propositions sans nous avertir, en avançant masqués pendant des mois. D’un côté, ils nous flattaient mais de l’autre, dans l’ombre, ils déconstruisaient notre travail. »

« C’était une mesure de justice sociale »

Le document, qui date de septembre, révèle en effet les efforts déployés au sein de l’Etat pour démolir les propositions de la Convention. Contrairement à la promesse présidentielle, l’exécutif n’a pas voulu transmettre les mesures « sans filtre » au Parlement. Il a préféré mobiliser ses fonctionnaires pour produire des contre-argumentaires et des éléments de langage opposés à ces mesures.

Ce travail s’est fait dans l’opacité, sans aucune transparence. Cet automne, les citoyens qui étaient consultés au sein des ministères ne bénéficiaient pas de ces informations. Reporterre a pu lire les notes qui leur étaient envoyées. Comparées à celle de la DGPE, elles étaient largement aseptisées. Tout juste le gouvernement reconnaissait-il que « les effets de la taxation ne faisaient pas consensus ». Nulle part, il ne disait aux citoyens vouloir enterrer la mesure. Pourtant, au même moment, il faisait déjà plancher ses services sur le sujet.

Dans leur note, les fonctionnaires de la DGPE se sont fait les porte-voix de l’industrie. Ils ont déploré que « la profession agricole et l’industrie de la fertilisation » n’aient pas été consultées par la Convention citoyenne. Une assertion erronée puisque les 150 citoyens ont rencontré, au cours des neuf mois de travail, de nombreux acteurs du monde agricole, dont des salariés de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. « Plusieurs membres sont eux-mêmes agriculteurs ou fils ou filles d’agriculteurs », souligne Yolande Bouin, une citoyenne impliquée dans le groupe de travail Se nourrir.

« Nous tenions beaucoup à cette mesure, rappelle la Bretonne. Quand on voit le pognon que coûtent les pollutions provoquées par les engrais azotés sur l’air, l’eau et les sols, c’est affreux. » Les citoyens avaient même évalué à 500 millions d’euros la somme pouvant être collectée. Ils avaient proposé qu’elle soit redistribuée aux agriculteurs pour les aider à se reconvertir dans l’agroécologie. « C’était une mesure de justice sociale », décrit Yolande Bouin, qui aurait pu répondre à l’engagement présidentiel : atteindre 15 % de la surface agricole française en bio d’ici 2022. Un objectif dont nous sommes encore très éloignés.

« Le lobby n’est pas seulement chez les professionnels mais au cœur de l’État »

À l’origine, Emmanuel Macron avait répété à plusieurs reprises sa volonté de transmettre « sans filtre » les travaux des citoyens. Lors de la conférence de presse du 25 avril 2019, il avait annoncé que :

Ce qui sortira de cette Convention sera, je m’y engage, soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit au référendum, soit à application réglementaire directe. »

Puis, le 10 janvier 2020, lors d’une visite aux membres de la Convention, il avait indiqué :

Si, à la fin de vos travaux, vous donnez des textes de loi, des choses précises, là, je m’engage à ce qu’ils soient donnés ou au Parlement ou au peuple français tels que vous les proposerez. »

Enfin, le 29 juin dernier, dans les jardins de l’Élysée, il avait déclaré :

Je vous confirme que j’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie en transmettant la totalité de vos propositions à l’exception de trois d’entre elles. »

Pour de nombreux citoyens, comme Guy Kulitza, le président de la République a rompu ses engagements. « C’est choquant. Emmanuel Macron a trahi sa propre parole, dit-il. La redevance sur les engrais azotés en est un parfait exemple. Elle n’avait rien d’une mesure vague. Elle avait été chiffrée et bien réfléchie. » Elle avait même bénéficié d’une traduction juridique avec l’appui d’un groupe de juristes, qui avait proposé des modifications très précises du Code de l’environnement.

Qu’importe, le gouvernement a préféré reporter la mesure à la Saint-Glinglin et suivre les recommandations de la technostructure. Il est intéressant de noter aussi que Fabrice Rigoulet-Roze, le directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, a été entre 2008 et 2011 directeur général de la stratégie du Groupe Roullier, un des leaders français de la fabrication d’engrais azotés. « Tous nos efforts se sont heurtés à un mur, s’emporte Yolande Bouin. Le lobby n’est pas seulement chez les professionnels mais au cœur de l’État ».


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