AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Lundi matin
Voilà tout juste deux ans, nous avions rendu compte de la publication de Dérider le désert – Chroniques d’un babyboomer par notre ami Daniel Denevert. L’article qui suit est extrait d’une nouvelle salve de textes fraîchement publiée par les éditions de la Grange Batelière dont nous vous conseillons chaudement la lecture.
Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent.
Jules Romain,Knock ou le triomphe de la médecine, 1924.
Le scénario infernal des terreurs sanitaires, avec son train spécial de mesures d’exception, démarré avec la dissémination planétaire du sida dans les années 1980 et affiné par l’invention du bioterrorisme à la suite du 11 septembre 2001, est en place. Il n’attend que la prochaine aberration, biologique ou autre, mutée en serial killer pour ressortir du chapeau.
— Extrait d’un article écrit à l’automne 2010. Repris dans Dérider le désert, 2018.
Les bonnes manières qui traînaient dans l’air du temps voulaient jusque-là qu’on s’inquiétât pour le climat. Pour tous, c’était affaire entendue, chacun savait la planète malade. Convaincu mais impuissant face à la dimension du problème. Faute de mieux, on triait vertueusement nos déchets, on boycottait l’huile de palme, on covoiturait comme des fous, on se nourrissait de paniers bios, se conformant à toutes sortes de gestes vertueux dont les exemples ne manquaient pas. Dans la rue, des jeunes gens en colère, et même des vieillards à la page, braillaient leur indignation, tançaient les puissants de ce monde trop lents à réagir. Alors que jusqu’aux cimes de l’État, l’écologie faisait florès, la « transition » était en route, on lui avait même fait son ministère.
En attendant, chaque nouvelle année apportait son lot de phénomènes ravageurs, faisant partir en fumée des contrées entières ou les noyant sous les inondations. De saisons en saisons, la taxinomie des êtres vivants en devenait plus simple, au rythme où disparaissaient les espèces. D’aucuns redoutaient les accidents industriels,
ou bien nucléaires, du fait de l’incurie humaine, un tremblement de terre, une guerre qui dégénère. D’autres scrutaient les convulsions de l’économie, nous voyant sombrer dans la disette avec l’effondrement de la finance, ployant sous les fièvres spéculatives et l’évolution sidérale de la dette. Les plus pessimistes enfin redoutaient la conjonction de tous les fléaux s’abattant en même temps sur nos têtes à la faveur d’une désorganisation générale.
Mais jusqu’ici, rien de tout cela ! Ou bien si peu. Le sort préféra nous envoyer le Covid, qu’évidemment personne n’a senti venir ; excepté Bill Gates depuis 2015. Du jour au lendemain, des semaines durant, des mois parfois, la moitié de l’humanité se vit brusquement assignée à résidence. Les rues et les campagnes désertées furent confiées à la surveillance sourcilleuse des gardes-chiourmes. L’économie mondiale s’en trouva brutalement mise en sommeil ; aucun expert des questions humaines, toutes idéologies confondues, ne l’aurait jugé pensable. Plusieurs siècles durant, il n’est pas un mouvement révolutionnaire qui n’en avait rêvé. C’est un virus qui l’aura fait ! Un virus qui redessina en quelques jours l’essentiel de ce que les humains considéraient depuis des lustres comme d’incontournables nécessités.
Devenus les jouets d’une mauvaise épidémie et surtout des États qui se sentaient repousser des ailes, il nous fallut endurer, plus encore qu’à l’ordinaire, la diarrhée verbale des médias, adaptée chaque minute afin de rester arrimée aux plus récentes injonctions des gouvernants. Les experts médicaux et scientifiques de tous poils, prompts à oublier ce qu’hier encore ils auraient certifié impossible – une pandémie à cette échelle –, toujours prêts à tenter d’expliquer l’inexplicable, défilaient jouant des coudes devant micros et caméras pour verser un énième et minuscule avis à la cacophonie des improvisations et des insignifiances savantes.
On ne comptait plus les sommités du monde médical projetées par les circonstances au devant de la scène, alors que le navire coulait, et qui, avant le moindre geste thérapeutique, arguant du manque de connaissances, n’avaient à suggérer que d’interminables études cliniques, dans le but de torpiller les théories et les initiatives des confrères. Parmi les observations réalisées sur les malades hospitalisés, on s’étonna un moment de la faible proportion des fumeurs. Un paradoxe qui aurait mérité qu’on s’y intéresse de près lorsqu’on est réputé combattre une maladie respiratoire massive. Le constat ne manquait pourtant pas de piquant, un soi-disant fléau qui protègerait d’un autre. Après des décennies de dogme hygiéniste et de diabolisation du tabac ! Mais sans surprise, ce constat bien encombrant disparut sous le boisseau.
Tâtonnant en plein brouillard, tandis que les malades s’empilaient dans les hôpitaux en manque de moyens, le clan des docteurs Knock, en dignes courtisans de la haute administration, se jetaient réciproquement à la figure la faiblesse de leurs « preuves scientifiques ». Invariablement, ils finissaient par soutenir l’unique remède valable à leurs yeux, encore qu’assez peu médical : l’enfermement général de tous sous contrôle policier. Les penchants clairement comportementalistes du corps médical, dus sans doute à l’habitude de prescrire, font très bon ménage avec le comportementalisme d’État servant de philosophie à toutes les institutions.
L’épidémie, une fois n’est pas coutume, avait l’air d’une malédiction qui s’abat de préférence sur les pays nantis ; y menaçant n’importe qui, pauvres et riches ; sa rapidité de dissémination tirant profit des structures mêmes du système. Deux facteurs propres à l’économie mondialisée ont concouru à propager la maladie : — Le gigantisme urbain où réside la très grande majorité de la population sur la planète. — Le fait que l’essentiel des biens manufacturés soient à présent produits en un seul point du globe.
Toutes les élucubrations sur l’origine exacte du virus (transmis à l’homme par l’animal, échappé accidentellement d’un laboratoire, ou fruit de l’action malveillante d’une quelconque force occulte) sont de peu d’intérêt. Aucune épidémie ne serait pensable à cette échelle sans rencontrer l’environnement mondial adéquat, capable de relayer et de généraliser la contamination.
L’urbanisation à marche forcée des grandes métropoles – l’artificialisation de tout ce qui peut l’être – réputée si propice à la marche des affaires, grande accélératrice des cycles du capital, faiseuse des points de croissance et de la bonne tenue d’un pib, se retourne en talon d’Achille contre le système. Une brèche grande ouverte à toutes les vengeances de la nature et du vivant. L’épidémie de Covid n’est que l’un des visages de ce « retour du refoulé » qui partout, comme le dérèglement du climat, la pollution des océans, l’extinction des espèces ou la prolifération des cancers, vient mettre en évidence les dénis et les points aveugles qui sont comme la chair même de cette civilisation du capital en phase terminale.
La métropolisation à outrance de notre espace vital, qui marque à la fois la réussite et toute l’obscénité de cette version du monde, se révèle pour finir être ce réservoir infernal de nuisances et de promiscuités. Réservoir alimenté par l’infrastructure tentaculaire des loisirs et de la grande distribution, par l’enchaînement ininterrompu des événements sportifs, culturels ou festifs qui, jusqu’à hier, attisant la frénésie consumériste, concentraient les foules en toutes occasions. L’épidémie de Covid, comme celles qui suivront, est impensable sans ce terreau-là.
Pour s’en tenir à l’exemple de la France, il suffit de regarder la répartition géographique de l’in- fection. Paris et sa proche banlieue concentrent à eux seuls la moitié des cas ; l’axe Grand-Est Lille-Strasbourg-Lyon-Marseille, le tiers ; et tout le reste du territoire, moins urbanisé mais englobant tout de même des villes comme Le Havre, Rennes, Nantes, Bordeaux et Toulouse, un petit sixième. C’est ici le modèle omniprésent de la
« ville-monde » (plus de dix millions d’habitants), idéal architectural de la démence affairiste, qui menace à présent de finir en tombeau dans lequel le système va s’ensevelir. Le Covid n’est probablement qu’une première sommation, parmi les plus douces qui nous attendent.
L’autre vecteur épidémique tient à l’organisation mondiale du travail qui a fait de la Chine « l’usine du monde ». Cette configuration suicidaire, qu’aucun stratège du pouvoir n’aurait risqué il y a encore un demi-siècle, suppose l’acheminement permanent des marchandises vers le reste de la planète, avec les incessants voyages d’affaires qui vont avec ; des millions de colporteurs de germes, qui font au passage les choux gras des compagnies d’aviation. On réalisa à ce propos, lors du rapatriement en urgence de huit cents Français basés à Wuhan, que cette ville de onze millions d’âmes qui, dit-on, raffolent de chair de pangolin, fabriquait, parmi d’autres choses, l’essentiel des médicaments nécessaires à l’Occident, la quasi-totalité des pièces détachées des marques automobiles psa-Citroën et Renault, ainsi que celles de l’aéronef Airbus, fleuron de l’aéronautique toulousaine. Pour ceux qui s’étonneraient encore du manque prolongé de masques et de respirateurs dans les hôpitaux au point le plus critique de l’épidémie, de ce travers bizarre qui a conduit l’Occident à tout faire fabriquer en Chine, il n’est pas si difficile de comprendre que cette civilisation occidentale qui s’est entièrement abandonnée à la bosse du commerce et à son goût du lucre, préfère, selon une pratique millénaire, s’attribuer de grosses marges sur le travail des autres, plutôt que d’avoir à faire soi-même !